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Méditerranée

Tensions Grèce-Turquie : un révélateur de la fragilité de l’OTAN

Les tensions entre la Grèce et la Turquie se ravivent autour de la question de l’armement. L’unité retrouvée de l’OTAN à la suite de l’agression russe en Ukraine montre ses contradictions et sa fragilité.

Irène Karalis

25 mai 2022

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Crédits photo : ADEM ALTAN / AFP

La semaine dernière, lors de sa rencontre avec Joe Biden, le premier ministre grec a pris la parole devant le Congrès américain et demandé aux parlementaires de prendre en compte les violations de l’espace aérien de la Grèce par la Turquie lorsqu’ils décideraient de leur politique d’armement pour la défense en Méditerranée orientale. Par ces déclarations, Mitsotakis cherchait à empêcher la vente d’avions F16 par les États-Unis à la Turquie qui, après avoir été exclue du programme d’avions de chasse américains F-35 pour avoir acheté le système de défense antiaérienne russe S-400, cherche à moderniser son armement. En réaction, Erdogan a annoncé qu’il ne participerait pas à une « réunion stratégique de conseil » où il aurait dû rencontrer son homologue grec, expliquant : « Nous étions convenus de ne pas impliquer de pays tiers dans notre différend [...]. Il n’existe plus pour moi. Je n’accepterai jamais de le rencontrer. Nous allons poursuivre notre chemin avec des responsables politiques honorables. »

Alors que l’union de l’OTAN vient tout juste de se reconstituer autour de la guerre en Ukraine, les tensions internes réapparaissent et menacent cette unité retrouvée.

La Turquie tente de se repositionner sur la scène internationale et les tensions avec la Grèce se ravivent

Ayant une histoire commune de tensions et d’affrontements armés, la Grèce et la Turquie étaient au bord d’un nouveau conflit armé en 2020, quand la Turquie a envoyé des navires dans les eaux méditerranéennes disputées avec la Grèce pour explorer des hydrocarbures tout ijuste découverts et dont la valeur était estimée à 400 milliards de dollars sur 25 ans. Depuis, les deux pays continuent de se livrer une concurrence aiguë, dont l’armement est la pierre angulaire. En décembre 2020, la Grèce achetait ainsi 18 Rafales à la France, retournant la situation à son avantage et plaçant la Turquie face à un adversaire doté d’avions de chasse plus modernes que les siens, la pénalisant par là dans ce jeu des puissances dans lequel la domination des airs est un élément central. En septembre 2021, la France annonçait de plus vendre de nouvelles armes de contrôle maritime et trois frégates militaires d’ici 2024 à la Grèce. Pour la Turquie, l’achat d’avions F16 aux États-Unis constitue donc un moyen essentiel de moderniser son armement pour rétablir la balance.

Or, depuis la guerre en Ukraine, l’ensemble des puissances impérialistes ont fait bloc derrière l’OTAN, mettant les frictions internes sous le tapis. La Turquie et la Grèce ont même fait mine de se réconcilier lors de la rencontre entre Mitsotakis et Erdogan à Istanbul au mois de mars. Mais l’unité de l’OTAN est très précaire, et la guerre en Ukraine n’efface pas la lutte pour les intérêts économiques et géopolitiques de ses membres. La Turquie, en particulier, cherche à se repositionner sur le plan géopolitique depuis son isolement sur la scène internationale après l’achat des missiles S-400.

C’est en ce sens qu’il faut comprendre les déclarations d’Erdogan à l’adresse de Mitsotakis, mais également son opposition apparente à l’intégration de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN. En profitant de la condition d’approbation à l’unanimité pour intégrer l’alliance transatlantique, Erdogan tente ainsi de négocier une place de choix au sein de cette dernière. Son opposition constitue en effet pour lui un moyen de faire pression sur la Suède pour négocier la fin de son embargo sur la vente d’armes depuis 2019 et, surtout, un moyen de s’assurer la vente des avions F-16 par les États-Unis. Tout cela dans un contexte de forte crise politique en Turquie : avec une inflation à 70% en avril selon les chiffres officiels, la plus forte depuis 20 ans, la popularité d’Erdogan est au plus bas. User des ressorts nationalistes lui permet ainsi de créer un semblant d’unité nationale et de reconstituer sa base de soutien autour de sa politique internationale.

L’OTAN face à la guerre en Ukraine : une unité retrouvée très fragile

Dans ce contexte, si d’habitude, les Occidentaux ont tendance à soutenir la Grèce, cette fois-ci, les États-Unis prennent des pincettes. Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, a ainsi affirmé à propos de l’opposition de la Turquie au sein de l’OTAN : « Nous avons confiance dans le fait qu’au bout du compte, la Finlande et la Suède auront un processus d’adhésion effectif et efficace et que les préoccupations de la Turquie pourront être traitées. » Et pour cause : la Turquie est une alliée bien trop importante, notamment par son contrôle des détroits reliant les mers Noire et Méditerranée.

Or, pour la France, qui est habituée à être un allié indéfectible de la Grèce, la situation est plus compliquée. Depuis plusieurs années, le gouvernement français attise le conflit entre les deux puissances pour défendre ses intérêts économiques et géopolitiques. Le contrat de vente des 18 Rafale à la Grèce, de 2 milliards d’euros en tout, constituait ainsi un beau cadeau pour une de ses plus grosses entreprises, Dassault Aviation. En outre, le soutien de la France à la Grèce doit se comprendre par sa volonté de maintenir et d’étendre son hégémonie en Méditerranée, où elle se heurte à l’avancée de la Turquie, autour de la découverte des gisements gaziers mais également de la concurrence pour les marchés, les routes commerciales et les partenariats avec les pays méditerranéens. En somme, il n’est pas dit que sur ce dossier-là, l’OTAN fasse bloc.

Dans cette concurrence, les travailleurs et les classes populaires vont payer la facture

Dans cette résurgence des tensions entre la Grèce et la Turquie, ce sont bien les travailleurs et les classes populaires qui vont payer la facture. Selon le Financial Times, la livre turque a déjà chuté de plus de 1% ce mardi en raison de la politique étrangère d’Erdogan, les factures des importations augmentent et les réserves en devise de la banque centrale turque ont connu le 13 mai la plus forte baisse de l’année. L’inflation, elle, connaît son plus haut niveau depuis 20 ans, et la population turque fait déjà face à une augmentation terrible du coût de la vie.

Mais ces tensions se traduisent également sur le terrain le plus brutal et inhumain qui puisse exister. Ce mardi, le gouvernement grec a ainsi annoncé que ses garde-côtes avaient empêché 600 migrants d’entrer en Grèce sous prétexte que la Turquie ne respectait pas l’accord « UE-Turquie » de 2016 prévoyant une surveillance de la frontière par les autorités turques. En 2020, quand la Turquie avait ouvert ses frontières pour que les migrants passent en Grèce, ce sont 102 personnes qui étaient mortes lors de la traversée pendant l’année. Une fois de plus, les migrants se retrouvent au milieu du conflit réactionnaire entre la Grèce et la Turquie.

En somme, les contradictions du bloc de l’OTAN refont surface et menacent son unité tout juste retrouvée. Dans ce contexte, ce sont les travailleurs et les classes populaires qui vont payer la facture des tensions réactionnaires internes au bloc et de la remilitarisation de l’Europe.


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