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Enquête internationale

Uber files : Macron et des économistes médiatiques lobbyistes pour la start-up

Ce week-end, le consortium international des journalistes d’investigation révélait les conclusions de l’étude de milliers de documents internes à Uber. Parmi les révélations, le rôle joué par Macron dans l’implantation de l’entreprise en France.

Matteo Falcone

11 juillet 2022

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L’enquête publiée par le consortium international des journalistes d’investigations se fonde sur 124 000 documents internes du géant des VTC, datant du moment où la multinationale était dirigée par Travis Kalanick et s’implantait en Europe. Les e-mails, SMS, PowerPoint et mémos révèlent les liens entre l’entreprise et des dirigeants politiques, fonctionnaires ou anciens fonctionnaires, journalistes, économistes et grandes fortunes, mais aussi les méthodes utilisées pour contourner les lois et éviter les poursuites juridiques.

En France, c’est Le Monde et France Télévisions qui ont eu accès aux documents et qui expliquent comment l’entreprise a développé de nombreuses méthodes à l’international, allant de cadeaux à des personnages politiques à l’instrumentalisation de la violence contre les VTC pour étendre son marché. Parmi les personnes courtisées, des personnalités comme Neelie Kroes, ancienne vice-présidente de la Commission européenne. Un lobbying impressionnant, avec plus de 90 millions d’euros investi en 2016.

Mais c’est en France que les « Uber files » révèlent l’un des soutien politique les plus puissants de l’entreprise. Cette dernière a pu s’appuyer sur les services de l’État français pour développer son activité, avec la complicité d’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie entre 2014 et 2016. L’entreprise californienne résumera leur relation dans un e-mail par : « faire en sorte que la France travaille pour Uber afin qu’Uber puisse travailler en et pour la France. »

Quand Macron travaillait pour Uber au ministère de l’économie

Comme l’explique France Info « lorsqu’Uber cherche à s’implanter à Paris en 2011, la société se heurte à une application stricte de la loi par les autorités françaises et à une opposition farouche des chauffeurs de taxis. » Des manifestations qui vont forcer l’Etat à légiféré en favorisant les taxis par rapport aux VTC (loi Thévenoud), et entraîner des enquêtes pour violation de lois fiscales - que l’entreprise évitera à de nombreuses reprises grâce à son système de « kill switch », bloquant l’accès au serveur pendant les perquisitions.

Mais l’entreprise va trouver un allié en la personne d’Emmanuel Macron. Un premier entretien tenu secret aura lieu le 1er octobre 2014 entre ce dernier et les quatre plus grands dirigeants de l’entreprise notamment Travis Kalanick. Cette réunion est résumée ainsi par Mark MacGann, lobbyiste en chef, dans un sms à ses collègues : « meeting méga top avec Emmanuel Macron ce matin. La France nous aime après tout ».

Selon Le Monde « au moins dix-sept échanges significatifs (rendez-vous, appels, SMS) ont eu lieu entre Emmanuel Macron ou ses proches conseillers et les équipes d’Uber France dans les dix-huit mois qui ont suivi son arrivée au ministère, dont au moins quatre rencontres entre le ministre et Travis Kalanick ». Un suivi qui souligne la profondeur de la relation nouée entre les deux parties, qui conduira à de nombreux arbitrages et gestes en faveur de l’entreprise de la part de l’ancien ministre actuellement président.

À cette époque, l’entreprise subit par exemple de nombreuses perquisitions dans le cadre d’enquête sur sa plateforme UberPop qui permet aux particuliers non licenciés de se proposer comme chauffeurs. Le service sera finalement abandonné par l’entreprise suite à un deal avec Emmanuel Macron : abandon de la plateforme contre une modification de la loi Thévenoud avantageant les chauffeurs de taxi au profil d’Uber. Dès le premier entretien, jour d’entrée de la loi Macron se serait « presque excusé » selon le rapport de MacGann a ses collèges anglophones. Le ministre proposera par la suite à l’entreprise de rédiger des amendements allégeant les contraintes en janvier 2015 dans le cadre de sa « loi macron 1 ». Ce sera finalement par décret du ministre que seront allégées certaines règlementations.

Autre élément révélé par les Uber files, une intervention auprès du préfet des Bouches-du-Rhône après que celui-ci ait décidé de suspendre UberX suite à de nombreux conflits avec les chauffeurs de taxis. France Info rapporte que Mark MacGann se dit « consterné » par cette décision, et qu’Emmanuel Macron lui répond : « Je vais regarder cela personnellement. Faites-moi passer les éléments factuels et nous décidons d’ici ce soir. Restons calmes à ce stade. » Peu de temps après la préfecture limite son interdiction aux chauffeurs Uber non licenciés. Si la préfecture dément avoir eu des liens avec Bercy, MacGann remerciera Macron pour son « soutien ».

Ce soutien n’a rien de surprenant si l’on se rappelle de la façon dont le jeune ministre de l’économie a fait de Uber et la promotion de « l’ubérisation » sa marque de fabrique entre 2014 et 2016. D’autant que ces liens s’inscrivent dans la continuité des liens organiques qui existent entre les grandes entreprises et un Etat à leur service. Pour autant, elles jettent une lumière crue sur ces pratiques et rappellent la justesse des slogans qualifiant Macron de « Président des patrons » ou « des riches ».

Influencer l’image en faveur d’Uber : des économistes rémunérés et l’investissement de grandes fortunes

Au-delà du deal avec l’actuel président de la République, l’entreprise californienne a également fait en sorte d’influencer l’opinion publique en sa faveur. Une politique qui commence par l’identification d’« investisseurs stratégiques » comme le révèlent France Info et Le Monde. Parmi eux, Xavier Niel, patron de Free, qui investira 10 millions de dollars, et Bernard Arnault de LVMH, l’une des plus grandes fortunes mondiales. Tous deux ont partie liée à d’importantes entreprises de presse. Dans un e-mail à propos de Bernard Arnault écrit par le directeur général du groupe en Europe de l’Ouest, Pierre-Dimitri Gore Coty, celui-ci note : « nous n’avons pas besoin de leur argent en soi. Mais ils pourraient être des alliés utiles pour gagner la France. »

Face à l’image entachée de l’entreprise, Uber va également payer des économistes pour promouvoir son activité. Accuser de créer des emplois sous-payés et qui ne sont pas protégés par le Code du travail, l’entreprise californienne cherche à redorer son blason, notamment auprès des décideurs politiques. Le mot d’ordre : « une entreprise qui crée des milliers d’emplois », idée reprise par Emmanuel Macron lors de son entretien à Mediapart en 2016. Le champion du VTC va donc rémunérer deux économistes pour qu’ils publient des rapports en faveur de l’entreprise.

C’est le cas de Augustin Landier, économiste reconnu et ayant accès facilement aux médias. Celui-ci sera rémunéré 100 000 euros pour son étude. Selon Le Monde, un lobbyiste d’Uber justifie : « le message-clé, c’est l’emploi. (…) Nous utiliserons le rapport de Landier à toutes les sauces pour obtenir un retour sur investissement ». Les « Uber Files » montrent également que M. Landier a accepté, dès les prémices de ses négociations avec la société, de prendre sa défense dans les médias. L’économiste médiatique Nicolas Bouzou accepte également de rédiger pour Uber « une étude facturée « 10 000 euros hors taxes », assortie d’un service après-vente auprès de la presse et des parlementaires. » Là encore, le rapport entre les économistes médiatiques et les grandes entreprises est largement documenté, mais ces révélations viennent étayer ces relations rarement assumées.

Au total, les Uber files viennent s’ajouter à la longue liste de scandales démontrant l’imbrication profonde entre intérêts des grandes entreprises, services de l’Etat et sphère médiatique. Tout cela, évidemment, sur le dos des travailleurs.


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