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Le Covid-19 a-t-il tué la réforme des retraites ?

Une autre mission pour Pietraszewski : la réforme des retraites est-elle morte et enterrée ?

Laurent Pietraszewski, successeur de Delevoye au pilotage de la très détestée et combattue réforme des retraites, est devenu, par décret publié au Journal officiel il y a 10 jours, « chargé de la protection de la santé des salariés contre l’épidémie de covid-19 ». Suspension ou enterrement de la réforme ?

Claude Manor

1er juin 2020

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Crédit photo : ALAIN JOCARD VIA GETTY IMAGES

Un secrétaire d’Etat en reconversion ou en réserve ?

Le 16 mars, Macron annonçait, en même temps que le déclenchement du confinement, la suspension de toutes les réformes en cours, y compris l’emblématique réforme des retraites adoptée en première lecture à l’Assemblée, à coup de 49.3, deux semaines auparavant : « Parce que nous sommes en guerre, toute l’action du gouvernement et du Parlement doit être désormais tournée vers le combat contre l’épidémie. De jour comme de nuit, rien ne doit nous en divertir. C’est pourquoi j’ai décidé que toutes les réformes en cours seraient suspendues, à commencer par la réforme des retraites », déclarait-il.

Une nouvelle donne et probablement un soulagement pour Laurent Pietraszewski. Ayant pris peu de temps auparavant la succession de Delevoye chargé du « dossier » des retraites et dégagé après le scandale de ses activités et mandats non déclarés, l’ex-directeur d’Auchan, fraîchement nommé secrétaire d’Etat, n’ayant plus ni à négocier avec les syndicats, ni à défendre le texte de loi, s’est rapidement retrouvé au « chômage technique ». Il a donc fallu lui trouver autre chose à se mettre sous le portefeuille. Mué désormais, par décret, en gentil protecteur de « la santé des salariés contre le covid-19, “il prépare et met en œuvre les mesures de prévention et de suivi” sous l’autorité de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. », comme l’indique le Huffington post. Il faut toutefois préciser que cette mission ad hoc n’annule pas la précédente mais vient s’y ajouter. En effet, le décret dispose notamment qu’il « prépare et met en œuvre la réforme des retraites, en lien avec les ministres intéressés »Un signal qui va dans le sens de laisser la porte ouverte à la reprise de la réforme des retraites après la fin de l’épisode de pandémie. Une carte risquée.

En milieu parlementaire on ne semble plus y croire

Cette réforme des retraites, enjeu social et politique majeur, avait suscité une forte mobilisation de secteurs combatifs comme la RATP, la SNCF, la santé, les enseignants… et la jeunesse avec un très fort soutien de la population. Une opposition déterminée qui n’avait pas baissé la garde au moment où s’est déclarée la pandémie.

Engagée depuis le 17 février, adoptée en première lecture après un recours au 49.3 début mars, la loi organique sur les régimes de retraite devait être examinée par le Sénat début avril. Le cheminement institutionnel a donc été mis entre parenthèses par Macron, appuyé par la « loi d’urgence sanitaire », sans qu’aucune date de report n’ait été fixée. Cette « pause » avait d’ailleurs, au moment de son annonce, été accueillie favorablement aussi bien par un député LR comme Bruno Retailleau affirmant : « On ne peut ajouter l’angoisse à l’angoisse ou la division à la division. Il faut nous rassembler pour faire face à l’épreuve. » que par le socialiste Boris Vallaud renchérissant : « Il est bienvenu que le gouvernement ait décidé de différer la poursuite de l’examen du texte »

Mais leurs propos, fortement teintés « d’union nationale », dans un contexte où la gestion désastreuse de la pandémie par Macron et son gouvernement faisait grandir son discrédit, n’abolissait en rien le cours normal institutionnel à reprendre ultérieurement. On s’interrogeait alors principalement sur le calendrier. La machine institutionnelle pourrait-elle reprendre en septembre, voire en 2021, le tout sur fond d’échéances électorales ? Telle était la question.

Aujourd’hui l’état clinique de la réforme est bien plus dégradé. Le confinement et toutes les conséquences de la gestion de la pandémie supportées par les travailleurs et la population ne lui ont pas été salutaires. Chez un certain nombre de parlementaires on doute de la poursuite de la démarche. Au point que Cendra Motin, députée LREM et rapporteure de l’un des volets va jusqu’à avouer, lors d’une interview réalisée par l’AFP, que « Le sujet est maintenu en vie pour que ce ne soit pas enterré. Mais ça va juste être très très compliqué de retrouver un moment politique. Je ne sais pas comment on va faire ».

Un vent venu des Etats Unis pourrait bien renforcer une certaine prudence

Après les mois de confinement et au moment où la crise économique est au centre de toutes les préoccupations, l’heure n’est plus, ni chez les patrons, ni dans les rangs du gouvernement, ni chez les parlementaires, à la lutte « commune » contre le Covid-19 mais à la prévention d’un retour en force, plus que probable, de la lutte des classes. Le terme de « moment politique » utilisé par la rapporteure LREM, qu’elle juge si difficile à trouver, est lourd de sens. Bien plus qu’une allusion à un calendrier complexe, ce terme est l’évocation de la peur des affrontements sociaux et politiques que la reprise et l’application des réformes chocs comme l’assurance chômage ou les retraites auraient toutes les chances de provoquer.

Les révoltes qui embrasent actuellement plusieurs villes des Etats-Unis vont sûrement donner à réfléchir en haut lieu. Rappelons que, au-delà d’un racisme structurel bien réel, c’est aussi la rencontre avec les conséquences dramatiques de la pandémie, notamment pour les couches les plus défavorisées : morts, chômage, faim, haine de la répression policière qui alimentent une colère dévastatrice qui pourrait faire trembler l’arrogance et le pouvoir d’un Trump. Ce sont majoritairement dans les masses qui aujourd’hui se soulèvent que se trouvent ceux qui ont été en « première ligne » pour répondre aux besoins essentiels de la population. Certes les Etats unis ce n’est pas la France mais…

Dès maintenant, des secteurs clés comme ceux de la santé ou de l’automobile, loin de se laisser juguler par le chantage sanitaire ont repris le chemin de la lutte et cherchent les voies pour aboutir. Dans les secteurs les plus pauvres et les plus précaires où le chômage et la faim ont déjà frappé durement et menacent de frapper encore plus fort dans les mois qui viennent, au sein de la jeunesse et dans la plupart des secteurs où il a été démontré que c’était les activités les plus nécessaires qui étaient le plus mal payées, un retour en force du gouvernement avec son train de mesures mortifères risquerait de mettre le feu aux poudres. Quant aux violences policières, où qu’elles se passent, elles deviennent l’objet d’une réprobation et d’une colère qui se répand très au-delà des frontières.

Macron serait donc bien inspiré de retirer ses réformes de son tiroir pour aller les enterrer dans un coin du parc de l’Elysée.


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