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"Continuité pédagogique" ?

Une étudiante : "Entre la culpabilité et le stress, je pleure quasiment tous les jours"

H., étudiante en troisième année de sociologie, a adressé ce soir un mail à sa responsable de licence, que nous reproduisons avec l'accord de son autrice. Elle y raconte la tension et le stress intenses provoqués par la difficulté à suivre les « cours » pendant le confinement ; des facteurs de pression qui s'ajoutent à sa précarité financière, qu'un redoublement pourrait venir dramatiquement aggraver.

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Bonsoir Mme XX,

Je vous adresse ce mail pour vous faire part de mes conditions réelles de confinement, de mes inquiétudes quant à la validation de mon dernier semestre de licence.

Je suis retournée chez mes parents suite à l’annonce du président Macron, par envie d’être auprès de mes proches. Au moins, l’épidémie du coronavirus nous a rappelé que la vie pouvait basculer du jour au lendemain, d’où mon rapprochement avec ma famille.

Nous étions 6 au début du confinement. Mes deux parents, ma petite sœur de 25 ans, son fils de 4 ans, mon petit frère de 23 ans, et moi.
Nous sommes 5 à présent car avec les nombreuses crises et caprices de mon neveu à longueur de journée, les tensions se font sentir et mon petit frère a décidé de se rendre chez mon grand-frère (avec qui je n’ai pas d’affinité).

Je ne pourrais me plaindre de mes conditions de travail sur le plan matériel. Cependant, il n’en va pas de même pour les conditions psychologiques du confinement.
Nous habitons dans une maison de 130 m² qui pourrait faire penser à un loft, par la grandeur d’espace, où l’on voit le toit depuis le rez-de-chaussée. Un réel avantage pour la communication, mais aussi un réel inconvénient pour avoir accès au calme.
Comme je le disais, je suis en troisième année de licence sociologie. Le travail qui nous est demandé de fournir pendant cette période est de l’ordre de la cogitation.
Comment cogiter quand je ne trouve aucun moment de calme dans la journée ? J’ai tenté de mettre le bureau de mon frère dans la chambre de mes parents dans un premier temps (chambre au rez-de-chaussée), sans succès. Dans un second temps, quand mon petit frère est parti, j’ai remis le bureau dans sa chambre à l’étage, espérant avoir un peu de calme pour cogiter.
Rien n’y fait, le bruit persiste, entre nos deux chiens qui aboient sur chaque passant, mon neveu qui fait des crises à longueur de temps, et les gens qui s’occupent en tondant leur pelouse.
J’ai également retourné la maison, à la recherche de boules Quies. J’étais tellement heureuse d’en avoir trouvé, jusqu’à ce que je me rende compte que c’était des bouchons d’oreilles pour la piscine, donc qui ne coupaient pas du bruit. J’ai bien tenté avec mes écouteurs, mais je n’arrive pas à travailler avec la musique. Je me rends compte à cette période à quel point j’ai besoin de calme, je dirai même plus, j’ai besoin de silence pour cogiter. Un travail précieux, que je chérirai davantage quand je retournerai à mon appartement, sur Chambéry.

J’ai aussi tenté de travailler dehors, quand il faisait beau, cachée, mais la connexion n’est pas au rendez-vous dans la campagne d’Arenthon. J’ai bien tenté de travailler au sous-sol, dans ma chambre, mais le problème reste le même : je n’ai pas de réseau, ni de connexion internet.

Je pleure quasiment tous les jours entre la culpabilité de ne pas savoir me concentrer sans bruit, le stress liée au coronavirus que mes parents qui travaillent en Suisse pourraient contracter et transmettre (je viens d’apprendre à l’instant que le mari d’une de ses collègues de travail a contracté la maladie + les informations des médias (500 morts en France en 24h)), et la pression car pour reprendre mes études, j’ai contracté un crédit bancaire de 25 000 euros (5000 euros par an pour une durée de 5 ans). J’ai bien peur de redoubler cette année, ça me paraît inévitable. 5 ans de crédit, donc une obligation de réussite chaque année car je dispose d’un total de 10 ans pour le rembourser au moment où je l’ai contracté. Et si je redouble, je ne peux pas me dire que ce sera une année où je serai employée pour éviter de contracter le crédit de 5000 euros (ce qui m’enlèverait beaucoup de pression) car si je ne le fais pas à chaque début d’année scolaire, il sera complètement annulé, ce pour les années suivantes. Par ailleurs, si je redouble, je n’aurai pas de crédit pour la seconde année de master.

Ces différents facteurs jouent sur ma santé, autant mentale que physique. Le stress a atteint un tel point qu’on me diagnostique régulièrement des névralgies faciales et torticolis. En ce moment, ce sont les crises névralgiques qui prennent le dessus sur ma santé et mon moral.
Un ami a entendu ma détresse, et je devrai bientôt recevoir une quarantaine de boules Quies jetables qu’il a retrouvé dans son garage. En espérant que cela puisse m’aider à me concentrer, car c’est tout ce dont j’ai besoin pour réussir.

Je me bats depuis trois ans maintenant pour réussir. J’ai eu mon baccalauréat en 2010, avec une moyenne générale de 11/20. Au lycée, ma professeure principale m’a répété que je n’étais pas faite pour les études longues, discours repris par mes parents. Avec plus de confiance en moi, avec beaucoup d’acharnements et de sacrifices pour réussir mes études (au détriment de ma vie sociale) et espérer une vie meilleure que celle que je vivais, aujourd’hui je suis au bout de mes capacités.
J’hésitais déjà à la rentrée de Février 2020 à faire mon année en deux ans, compte tenu de l’accumulation de pression d’année en année. Les cours et le mémoire nécessitaient beaucoup d’énergie, énergie que je n’arrive pas à recharger (employée de Mai à Août 2019 en boulangerie).
Le confinement a définitivement achevé ma motivation. Quand je suis au courant le Lundi 29 Mars que j’ai contrôle ce Mercredi en préprofessionnalisation des métiers de l’enseignement, car je n’ai reçu aucun mail (ni sur ma messagerie étudiante, ni sur ma messagerie personnelle, ni dans mes spams), je me dis « à quoi bon continuer ? Si je n’avais pas fait un Skype avec mes camarades pour un travail de groupe (écriture sociologique), je n’aurai pas été au courant de ce contrôle, et rien que pour ça, mon année aurait été invalidée ».

Voilà, je n’ai pas les pires conditions de travail, j’en suis consciente, mais pour toutes ces raisons, je ne pense pas que je validerai mon dernier semestre. Auriez-vous des conseils à me donner ? Je suis complètement démotivée…

Je vous remercie du temps passé à lire mon mail, et je vous dis à très bientôt.

YY, L3 Sociologie

Crédit photo : yanalya - fr.freepik.com 


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