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La Izquierda Diario
11 de septembre de 2015 Twitter Faceboock

Conscience…
Tout n’est pas « sex and money » dans le rap

Aujourd’hui beaucoup se représentent le rap avec les images des grosses voitures, les liasses de billets, les armes, la drogue… Et c’est en effet le rap qui se vend le mieux en France actuellement. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas et il faut se rappeler des années 1990 où le rap était celui de NTM, d’IAM ou d’Assassin, où l’on clamait avec violence des paroles anti-flics, anticapitalistes et surtout représentatives de ce que vivaient de nombreuses personnes dans les quartiers populaires.

Maël Ache

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Le rap et le mouvement hip-hop sont apparus au milieu des années 1970 aux États-Unis et en France au début des années 1980. Dès ses débuts, le rap dénonce les problèmes subis par la jeunesse populaire des quartiers et permet à beaucoup de se créer une identité autour de cette musique ; ceci en réponse à la discrimination que cette jeunesse subit de plus en plus avec la fin des « Trente Glorieuses » et surtout le racisme qui se fait de plus en plus présent.

Aux États-Unis, les premiers rappeurs sont antiracistes et revendiquent l’héritage de Malcolm X (révolutionnaire afro-américain et musulman assassiné en 1965). Le rap devient vite un outil d’éducation et de prise de conscience, la jeunesse qui écoute Public Ennemy ou KRS-One s’éveille en partie grâce à cette musique. Le rap est également un reflet des conditions de vie des Noirs aux États-Unis : entre guerres de gangs, trafics, prostitution (mais aussi racisme)… Les rappeurs deviennent des portes-paroles de cette jeunesse afro-américaine délaissée. Le rap va même jouer un rôle sur le terrain, notamment dans le soulèvement d’avril-mai 1992 à Los Angeles, où les rappeurs deviennent des emblèmes de la rébellion.

Public Ennemy, Fear Of A Black Planet, 1990

« Quelque chose change aujourd’hui dans le climat de la conscience de cette planète
Voilà ce que nous devons dire
Pouvoir au peuple tout de suite
Pour que tout le monde voie
Qu’il faut lutter contre le pouvoir existant »

Les rappeurs français se sont beaucoup inspirés de leurs homologues nord-américains et les thèmes abordés par le rap à ses débuts (années 80-90) sont proches : violences policières, difficultés diverses dans les quartiers, critiques des politiques… En France, les rappeurs sont pour la plupart des représentants de la jeunesse des banlieues, fils d’immigrés ou eux-même immigrés. Le rap se fait de plus en plus populaire en France, bien que contrairement à ce que l’on peut voir aux États-Unis, où les rappeurs anticipent et encouragent les luttes, la scène française se calque sur celles-ci. Le morceau La Rage de Keny Arkana, sorti en 2006, et qui fait référence à la révolte des banlieues en 2005, en est un parfait exemple.

L’émergence du rap dans le paysage musical est surtout marqué par une grande liberté artistique, sur la forme comme sur le fond. De la chanson d’amour Caroline de MC Solaar à Police de NTM, le rap des années 1990 et du début des années 2000 associe à la fois un vaste champ thématique à une diversité musicale aux sonorité mêlant Jazz, soul, funk ou encore rock.

Keny Arkana, La Rage, 2006

« Parce qu’on a la rage rien ne pourra plus nous arrêter
Insoumis, sage, marginal, humaniste ou révolté (…)
La rage car l’irréparable s’entasse depuis un bout de temps
La rage car qu’est-ce qu’on attend pour foutre le boucan »

Si l’image publique du rap n’est plus du tout contestataire, que ce soit aux États-Unis ou en France, elle le doit aussi a un changement culturel progressif. Les groupes, majoritaires dans les années 90-2000, ont laissé place à des rappeurs en solo, aux textes plus centrés sur le ressenti et l’intérêt personnel. Mais même si le rap n’est plus principalement un outil de lutte, il reste représentatif dans beaucoup de cas de ce que vivent les quartiers et la haine du système policier reste présente.

Des morceaux comme 93 100 Montreuil (2008) de Swift Guad, Elman, Penchak et Salgos , sont à la fois des descriptions de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils aimeraient vivre, mais surtout dans ce cas précis ils insistent sur l’identité et la fierté banlieusarde et l’unité en son sein.
Certes, ce rap n’est plus un appel à sortir dans la rue, mais on y retrouve quelques thèmes proches de ce qu’était le rap à ses débuts. De plus, la musique est toujours un outil de lutte et étant donné que ce sont les musiques écoutées aujourd’hui, il arrive même que ces morceaux soient repris directement dans les luttes.

Swift Guad, Elman, Penchak et Salgos, 93100 Montreuil, 2008

« Des maliens, des gitans, il parait que ma ville craint
Les narvalos sont ancrés du coté de l’est parisien
Les raclos sont tous des fous, c’est pour mes frère instables
Le décor change tout les jours mais la mental reste intact
Ouais, ma rue elle est bien pâle, demande à Vision de faire un tag
C’est pour ceux qui laissent une trace et qui squattent les terrains vagues
Dans ma case on pète un câble, Montreuil c’est dans mes gènes »

Beaucoup distinguent deux catégories : le rap politique (ou conscient), dont le but est de faire passer une idée politique, et le rap commercial, où l’on cherche d’abord à vendre (préférant les sonorités au sens des paroles). Cependant, beaucoup de rappeurs que l’on ne peut pas considérer comme « politiques » décrivent avec une vision critique leur quotidien ou abordent des thèmes comme ceux des enfants soldats ou de l’incarcération en décrivant la situation, sans pour autant fournir une remise en cause poussée. C’est ce genre de rap, qui se vend relativement bien (plus que le rap politique) qui est un réel outil de prise de conscience pour les auditeurs. Bien que beaucoup d’entre eux connaissent un quotidien identique, il n’en va pas de même pour tous et au-delà de cela les autres thèmes abordés permettent d’avoir une vision différente de celle des politiques sur beaucoup de sujet. Une vision qui compte étant donné sa grande portée.

Ci-dessous, un morceau d’un groupe, Shtar Academy, qui s’est formé en prison. Les trois membres apportent leur vision du système carcéral et de ses nombreuses difficultés.

Shtar Academy (Mirak), Les Portes du Pénitencier, 2013

« Je suis français pendu comme sur un cintre
Depuis qu’je suis au placard
La justice m’a repassé
La juge m’a taillé un costard
Maintenant l’amour est au parloir »

Le rap dit « politique » est un réel outil de lutte. Beaucoup de morceaux peuvent être vus comme des tribunes politiques. Ils permettent de faire passer un message, en général autour d’un thème précis, la plupart du temps avec des idées d’extrême gauche. Il va de soi que le rap politique est un réel outil de politisation. De nombreux morceaux, comme La Rage, sont associés aux luttes et permettent la diffusion des idées qui les animent à large échelle. Cependant, le rap politique a des limites : beaucoup des morceaux ne s’adressent qu’à des personnes qui sont d’accord avec le sens des paroles et même parfois déjà militantes, ce qui fait que l’audience reste limitée, car beaucoup d’auditeurs préfèrent le rap dit « commercial », notamment pour les sonorités que l’on ne retrouve pas dans le rap politique. Par conséquent, le rap politique est beaucoup moins écouté aujourd’hui qu’à ses débuts.

Skalpel, Palestine Abdallah, 2015

« Qui détruit les maisons, bombarde des villes
Bombes au phosphore contre lances-pierres habiles
Qui pratique l’apartheid envers Arabes et Falachas
Citoyens de seconde zone de Tel Aviv à Ramallah
Démocratie raciste, rempart de l’occident
Depuis quand les persécutés sont devenus blancs »

Enfin, on voit apparaître ces dernières années énormément de nouveaux rappeurs, notamment grâce à internet et à l’expansion du rap à de plus en plus de genres variés (surtout au niveau des instrumentales). Ces nouveaux rappeurs permettent au rap de se diversifier encore plus et atténuent la barrière entre rap politique et commercial (voir l’anéantissent). On peut tout aussi bien retrouver des groupes comme Milk Coffee and Sugar, qui a une approche très sociologique, musicale et poétique, sans pour autant être exclusivement dans la contestation (on peut voir certains morceaux comme des témoignages), des rappeurs comme Nekfeu qui pour le coup n’ont pas d’approche politique vis-à-vis du rap, ou encore le TSR Crew qui connait un réel succès grâce à internet et qui parle à la fois du quotidien des quartiers, mais également des problèmes politiques, comme dans le morceau Eldorado (titre solo d’un des membres du groupe, Hugo TSR), où il critique les politiques d’immigrations. Un morceau par ailleurs criant d’actualité par rapport à « la crise des migrants » actuelle. Malgré le fait que certains rappeurs sont réellement « politiques » ou « commerciaux » il y a une grande partie (si ce n’est une majorité) qui ne peut être catégorisée comme l’un ou l’autre.

Hugo TSR, Eldorado, 2012

« Eldorado, j’parle de c’pays là où la police règne
Eldorado, la liberté c’était qu’un joli rêve
J’dis pas qu’c’est d’sa faute mais malgré tout faut qu’elle assume
Qu’elle rassure les p’tits d’ici qui s’dissipent avec la fume’
Eldorado, une fois les pieds sur terre ils savent
Eldorado, y en a qui tentent le train d’atterrissage
Pays d’mon enfance, avec le Diable ils pactisent
Bienvenue en France : terre d’asile psychiatrique »

Aujourd’hui, le rap est un des genres musicaux les plus écoutés par la jeunesse française, il est certain qu’il y a un potentiel énorme qui reste assez peu exploité pour éveiller les consciences à travers la musique. Le rap est assez peu utilisé à cette fin, mais il faut rappeler que la musique est un outil essentiel dans la lutte : le blues, le rock, le punk ont chacun été à leurs époques respectives des moyens de contestations essentiels.

 
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