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La Izquierda Diario
7 de novembre de 2020 Twitter Faceboock

Loi « sécurité globale » : en France, le meurtre de George Floyd ne pourrait plus être filmé
Joachim Bertin

Les médias ont insisté : « les États-Unis ne sont pas la France, notre police ne saurait être coupable de violence raciste ». Avec le passage de la loi de sécurité globale, la différence fondamentale serait qu’aux États-Unis on puisse encore filmer les violences policières !

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Certains ne croient que ce qu’ils voient. Mais, « ce que vous avez vu est faux, ça n’existe pas, vous avez sûrement mal compris » sermonnent les dominants.
Face aux difficultés de persuasion de cet argument, le gouvernement s’est dit qu’il était plus simple que les gens ne voient plus. S’il ne peut, pour des raisons évidentes de logistiques, généraliser l’utilisation du LBD au point de retirer la vue à toute une population, une solution de facilité reste celle d’interdire les images. Ainsi est en train d’être examinée la loi de sécurité globale qui va avancer dangereusement vers la reconnaissance faciale en direct dans les manifestations (article 21) va entériner l’utilisation de drones pour leur surveillance (article 22), et revient à la charge, dans l’esprit de la Loi Avia (qui restreint déjà les libertés sur Internet) pour empêcher la diffusion d’images de la police (article 24) !

Les images, leur démocratisation et leur circulation instantanée ont considérablement impacté la vie politique et la lutte des classes. Elles ont joué un grand rôle dans la prise de conscience pour de nombreux militants en venir du rôle de la police, de l’État et des exactions auxquels ils se livrent pour maintenir leur ordre social. Des ZAD aux Gilets jaunes, en passant par la Loi Travail, une grande partie de la population en France, et en particulier de la jeunesse, a été confrontée à des centaines et des centaines d’images de répression contre les manifestations et les mouvements sociaux. L’omerta qui règne sur la question de la gestion néo-coloniale de la police dans les quartiers populaires et la répression quotidienne qui y est exercée est parlante : ce qui n’est pas filmé et diffusé n’existe pas ! Pour preuves de nombreux Gilets jaunes n’ont été convaincus que face à la hargne et la violence de la police que ce que racontaient les habitants et militants des quartiers populaires était bien réel. C’est à ce travail de long terme auquel s’attellent par exemple aujourd’hui les membres du Comité Adama. La peur des Gilets jaunes et d’un embrasement des cités, que le gouvernement a redouté au mois de juin, rappelle l’urgence pour la bourgeoisie de profiter du climat de réaction, qu’elle a réussi à instaurer ces dernières semaines, pour avancer vite et fort.

Mais l’événement central et qui n’est sûrement pas étranger à la décision de la bourgeoisie d’inscrire ce nouveau texte dans la loi, la cascade d’eau qui fait exploser le vase : le meurtre lent et de sang-froid de George Floyd par Derek Chauvin, le 25 mai dernier à Minneapolis. Il ne tient à pas grand-chose que ce meurtre débouche sur une révolte locale contre le Minneapolis Police Departement ou bien qu’il devienne le mouvement d’ampleur inégalé aux États-Unis qu’il a été. Cela tient à une jeune femme qui, horrifiée par ce qui se passe sous ses yeux, la mise à mort d’un homme parce qu’il est Noir, sort son téléphone et filme. La colère et la révolte contre le racisme et les violences policières se répand alors comme une traînée de poudre (celle laissée dans chaque pays par les balles de la police) à travers le monde entier.

Déjà en 1991, le passage à tabac de Rodney King par le LAPD – qui entraînera lors de l’acquittement des policiers, les grandes révoltes de Los Angeles en 1992 – avait choqué les États-Unis, grâce au réflexe d’un passant de sortir son caméscope, mais n’aurait été autrement qu’un énième cas de déchaînement raciste de la police étasunienne, sans suite. Ben Harper le chantera plus tard dans sa chanson « Like a King » : «  Assure-toi que c’est filmé, montré à la télé, ils n’auront pas de pitié  ».

Les défaites vietnamiennes et irakiennes pour l’armée américaine avaient déjà apporté un signal fort quant à la relation entre images et opinion publique : la guerre doit être menée sans témoin pour qu’il soit possible de dire qu’elle est « chirurgicale » et « démocratique ». Les images d’enfants brûlés au napalm, ou de cadavres de prisonniers irakiens avec lesquels jouent des marines après leur avoir pissé dessus, avaient quelque peu entaché ce tableau idyllique.

Dans la mesure, où l’État bourgeois mène une guerre de classe, et que les techniques de répression reposent sur l’héritage des manuels de contre-insurrection dans les sales guerres coloniales, il n’y a pas de raison de laisser pulluler les images qui montrent à la face d’un pays ou du monde, que le pouvoir de la bourgeoise n’est qu’un pouvoir répressif en particulier en temps de pandémie quand il y a plus de moyens pour les flics que pour la santé. Ces vidéos mises bout à bout montrent en action, la police comme ce qu’elle est, le bras armé du racisme d’État et de l’inégalité économique et sociale.

Ces vidéos viennent aussi régulièrement montrer que la police n’est pas concernée par la loi bourgeoise qui vient mettre en prison l’affamé qui vole un fromage dans un supermarché, ou licencie les travailleurs qui relèvent la tête. De la chose la plus essentielle, comme le RIO (Référentiel des Identités et de l’Organisation) systématiquement absent pour empêcher l’identification jusqu’à l’IGPN, tout est fait pour que la police soit intouchable. Et en ce sens, cela nous rappelle au quotidien qu’elle est irréformable : laisser à la police le fait de filmer les contrôles au faciès serait-il bien différent du fait de laisser à des flics enquêter sur leurs collègues ? Une IGPN « nettoyée » rendrait-elle la justice ? Possible une police « plus républicaine », sans le racisme structurel qui a été à nouveau montré par les enquêtes de StreetPress sur les groupes facebook de la police ? En dernière instance peu importe la forme prise, la fonction de la police reste toujours le contrôle social, la répression face aux révoltes et l’humiliation raciste quotidienne des exploités.

L’État bourgeois et ses instances de répression qui se présentent face à leur population et aux classes dominées comme des instruments de justice, pour la veuve et l’orphelin, n’aiment pas que l’on voit la réalité. L’ensemble de la classe politique a par exemple été particulièrement choquée de la sortie récente du film de David Dufresne, « Un pays qui se tient sage », offense suprême, dans les salles de cinéma ! Le cercle, malgré tout étroit, des réseaux sociaux était déjà dérangeant, mais l’entrée de l’expression de « violence policière » comme une évidence dans le débat public leur devenait intolérable.

L’idée a été matraquée sur les plateaux télé que les États-Unis ne sont pas la France, qu’il n’y avait aucun sens à comparer le meurtre d’un Noir par la police dans les deux pays, aucun lien entre la mort de Floyd et d’Adama. La différence fondamentale risque bien d’être qu’en France les atrocités de la police ne pourront plus être filmées.

Que nous restera-t-il à voir ? Les éditorialistes enragés, qui entre l’encaissement de deux chèques de CNEWS, appellent à la dissolution de l’État de droit et au retour du bagne ? Les vidéos de Castex et Macron qui font des « face cam » sur Konbini, et les youtubeurs vendus à la propagande du gouvernement ? Les images de BFM illustrant la violence des opprimés qui relèvent la tête et la répression « juste » et « raisonnée » qui leur est opposée pour les ramener à la raison ?

Face aux attaques de la classe dominante, les exploités doivent avoir leurs propres voix, continuer de s’exprimer, de dénoncer l’arbitraire policier et étatique. En ce sens, le silence des directions syndicales dont les militants à la base subissent soit dans leur vie quotidienne soit sur les piquets de grève, dans les manifestations le harcèlement policier et judiciaire, est criminel. Cette inaction et ce mutisme des confédérations (déjà important quand il y a des dizaines de milliers de licenciements dans le pays) dès qu’il s’agit de la défense des libertés démocratiques et du renforcement policier du pouvoir devrait être questionné dans toutes les sections et organismes de base où les militants syndicaux seront les premiers à en subir les conséquences. Toutes les organisations syndicales, associatives, politiques du mouvement ouvrier, le mouvement anti-raciste, les Gilets jaunes devraient se retrouver dans la rue et dans la grève pour organiser la riposte à cette attaque d’ampleur !

 
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