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La Izquierda Diario
1er de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Liberté d’expression et attaques islamophobes
"Vincent Bolloré a demandé sa tête" : un humoriste viré de Canal + après un sketch parodiant Cnews
Tristane Chalaise

La publication d’un sketch pour Winamax parodiant l’émission « L’heure des pros », animée par Pascal Praud, n’a pas plu au propriétaire de la chaîne. Ce dernier n’a visiblement pas apprécié de voir caricaturés avec justesse le racisme décomplexé et les propos islamophobes de chroniqueurs de CNews. Une attaque de plus à la liberté de création et d’expression au sein du groupe Bolloré, dans un contexte général où les médias jouent à la surenchère dans la légitimation du discours de l’extrême-droite.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Vincent-Bollore-a-demande-sa-tete-un-humoriste-vire-de-Canal-apres-un-sketch-parodiant-Cnews

Illustration : Capture d’écran de la vidéo postée par Winamax

Un nouvel exemple de la "liberté d’expression" made in Bolloré

Le licenciement du Sébastien Thoen, révélé ce vendredi par le journal L’Equipe est une manifestation de plus d’une conception toute particulière de comment Vincent Bolloré conçoit la liberté de création et d’expression sur les médias qui sont en sa possession. Les sources citées dans un article du Parisien rapportent que c’est Vincent Bolloré lui-même qui a « demandé la tête » de l’humoriste. « A la direction de la chaîne, certains ont tenté de s’y opposer mais ils n’ont rien pu faire contre la volonté du grand patron. C’est le fait du prince ».

Comme souligné dans l’article du Parisien, le grand patron et figure emblématique du CAC 40, propriétaire de Canal+, n’a jamais caché qu’il détestait l’humour de la chaîne : « Parfois c’est un peu blessant et désagréable. Se moquer de soi-même, c’est bien. Se moquer des autres, c’est moins bien ». Pour Vincent Bolloré, les médias qu’il possède doivent en effet avant tout respecter la ligne idéologique que lui-même impose, sous couvert de bien-pensance et d’un prétendu respect de l’autre. Sous sa présidence, plusieurs émissions emblématiques d’un certain esprit subversif que pouvait incarner la chaîne Canal+ ont ainsi été supprimées des écrans, avec la disparition du Grand Journal, des Guignols de l’Info – émission parodique qui a largement égratigné la figure de nombreux hommes politiques – ou encore du Zapping.

Un épisode qui s’inscrit dans le contexte d’une offensive islamophobe

Le sketch de Sébastien Thoen et de sa bande met en scène, avec humour, l’islamophobie et le racisme décomplexé qui sont devenus l’une des marques de fabrique des émissions politiques de CNews. Sous l’égide de « Pascal Prono », avatar footballistique de Pascal Praud, le débat autour du match de foot Lille/Lorient se transforme en effet en débat « Lorient est-il une menace pour Loscident ? ».

Sébastien Thoen incarne « Lionel Messiha », caricature de Jean Messiha, un des invités réguliers des plateaux de CNews, ancien membre du Rassemblement National et président de l’Institut Apollon, think tank qui revendique se battre « pour que la France reste ce qu’elle est, c’est-à-dire Française ». Avec ce personnage, les auteurs montrent toute l’absurdité des instrumentalisations islamophobes, qu’on peut opérer à propos de tout et n’importe quoi. Le match entre deux équipes françaises devient « le choc des civilisation » pour la seule raison que « Lorient » se prononce comme « l’Orient »… Sans transition, l’amalgame est ensuite fait entre « l’Orient », l’étranger, l’islam et le terrorisme : dans la bouche du faux Messiha, les recruteurs deviennent des « complice de Daesh parce qu’avec le Mercato on ouvre les frontières ».

Comme sur le plateau de l’émission de Pascal Praud, les intervenants fictifs multiplient ensuite les sorties racistes et islamophobes, sous couvert de liberté d’expression. Dès qu’un quatrième personnage, « pêcheur, syndicaliste, de gauche, gilet jaune casse-couille » essaie d’intervenir, celui-ci se voit interrompu et pris à partie, accusé de vouloir monopoliser la parole. Le sketch pointe ainsi habilement la manière dont la liberté d’expression peut être subvertie en utilisant l’argument même… de la liberté d’expression et du respect des opinions de l’autre, une des spécialités de ce type de débats télévisuel.

Le malheureux pêcheur breton est par ailleurs, dès le début, accusé de relayer un discours anxiogène et de vouloir diviser l’opinion, dans un contexte où « le foot va mal, les stades sont vides, il y a des cas de covid dans tous les clubs […] il y a des clubs en faillite, on est au bord du gouffre […] on est en train de crever et vous jouez avec la peur des gens ». Sous le biais de l’humour, les auteurs révèlent ainsi un autre des procédés à l’œuvre sur le plateau de télévision, ou aucune place n’est donnée à ceux qui contestent l’idéologie dominante, ce qui permet de lui faire porter la culpabilité d’un discours qui est tenu par le présentateur lui-même !

De même, le passage souligne en creux l’instrumentalisation des crises sanitaires et économique, qui deviennent un prétexte pour verrouiller tout discours d’opposition. Dénoncer des dysfonctionnements devient alors une manifestation d’une prétendue absence de solidarité, voire d’un « séparatisme » qui mettrait en danger la société. Pire, aller à l’encontre du discours dominant, c’est « nier la réalité » d’après le Pascal Praud de comédie. On feint alors sur le plateau télé – comme sur le plateau de CNews – ignorer que ce discours, qui manipule les faits pour servir un propos et une idéologie, est une construction qui s’appuie sur une interprétation qui peut être extrêmement fantaisiste et ne reposer sur aucune preuve tangible.

Alors, qu’est-ce qui n’a pas plu à Vincent Bolloré ?

Ce que montre le sketch de Sébastien Thoen, c’est à quel point les médias sont devenus des relais privilégiés dans la normalisation du discours de l’extrême-droite sur l’islam, qui est aujourd’hui largement instrumentalisé et repris par le gouvernement dans ces mêmes médias – voir les sorties de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme » ou de Gerald Darmanin sur les « rayons communautaires ». Il n’est pas surprenant que Pascal Praud et Jean Messiha, les principaux intéressés, aient plutôt bien reçu la parodie, allant, dans le cas de Jean Messiha, jusqu’à assumer complètement les propos islamophobes de sa caricature :

Si Vincent Bolloré a pris la mouche de son côté, ce n’est pas seulement parce qu’il n’a pas apprécié de voir moqué un discours légitimé par la ligne les médias qu’il a en sa possession. Un dernier élément l’a très probablement dérangé : pour se défendre de sélectionner des joueurs africains dans l’équipe dont il est le principal actionnaire, l’un des personnages déclare sans complexe qu’« un Africain de banlieue [sic.] coûte dix fois plus cher qu’un Africain du Togo ou du Mali, c’est une réalité. Moi quand j’achète un Africain 1 million de francs CFA et je le revends trois ans plus tard […] à un club anglais pour 20 millions… d’euros ! ».

Or, le groupe Bolloré est l’un des piliers de la Françafrique, c’est-à-dire de l’exploitation et du pillage néocolonial des ressources du continent Africain, un des piliers de l’impérialisme français. Le groupe Bolloré, à travers sa filiale Bolloré Africa Logistics, est en effet le premier opérateur de transport et de logistique sur le continent et détient aussi plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles. Dans le cadre de ces activités, le groupe Bolloré a été attaqué plusieurs fois pour corruption et dénoncé pour ses méthodes prédactrices, ce qui n’a pas empêché Vincent Bolloré d’attaquer régulièrement en diffamation les journalistes qui dénoncent les pratiques du groupe dont il a été le président. Dès lors, il n’est pas surprenant que le sketch de Sébastien Thoen, qui met en lumière les procédés islamophobes des grands médias tout en pointant les manifestations de l’impérialisme à l’aune du football, ait subi les foudres du président de Canal+.

 
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