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La Izquierda Diario
20 de janvier de 2021 Twitter Faceboock

Thawra !
Révolte en Tunisie. 10 ans après la révolution, la jeunesse brave le couvre-feu et la répression
Matteo Falcone

Depuis 5 jours, de nombreuses manifestations nocturnes se sont déroulées dans le pays. Des milliers de jeunes sont sortis dans la rue malgré le couvre-feu avancé à 16 h, affrontant parfois les forces de police, pour protester contre les conséquences de la crise économique, politique et sanitaire qui traverse le pays.

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Nuit d’émeute dans le quartier du 18 janvier dans le quartier populaire de Hay Ettadhamen à Tunis. Crédit photo : Fethi Belaid, AFP

« Ce qui nous fait sortir dans la rue c’est qu’il n’y a pas d’avenir. Il n’y a pas d’avenir dans ce pays ! », nous raconte Tayeb, habitant du quartier populaire de Beb Jdid dans le centre-ville de Tunis. La nuit dernière il a participé aux émeutes, dans le quartier d’Ettadhamen en périphérie de la ville. « Nous on sait qu’on ne va pas trouver de travail, il vaut mieux partir d’ici, d’ailleurs tous le quartier veut partir », c’est ce sentiment de désespoir qui anime une grande partie de la jeunesse tunisienne aujourd’hui, face à la crise sociale, économique, politique et sanitaire inédite qui traverse le pays.
 
Depuis plusieurs mois, dans de nombreuses régions de la Tunisie, les denrées de première nécessité ont vu leur prix augmenter : semoule, farine, huile, légume et fruits ont parfois doublé, voire triplé de prix. Cette augmentation s’explique en partie par l’augmentation des tarifs d’importation pour les produits nécessaires à l’agriculture (comme les pesticides ou les sels minéraux), et par une spéculation organisée par les grands commerces qui tentent de profiter des différentes vagues de pénurie. Cette augmentation du coût de la vie qui s’est accéléré depuis le début de la crise sanitaire, combinée avec plusieurs vagues de licenciements dans les secteurs industriels a plongé les classes populaires tunisiennes dans une précarité extrême.

À cela s’ajoute une gestion de la crise sanitaire de la pandémie Covid-19 dramatique, dans un pays où les infrastructures de santé sont vulnérables : manque d’investissements, de cadres médicaux, de médicaments, et un système de corruption au sein des hôpitaux. Le 8 décembre le personnel médical tunisien, appuyé par les étudiants de la santé, avaient manifesté leur colère, suite au décès d’un jeune interne après une chute d’ascenseur défectueux dans un hôpital. Ils avaient exprimé leur volonté de sauver l’hôpital public condamné au « naufrage » par les politiques néo-libérales des gouvernement successifs. Le déficit du système de santé inquiète aujourd’hui grandement, face à une accentuation de la pandémie Covid-19, avec plus de 50 morts par jour. Au 18 janvier, la Tunisie dénombrait 180.090 cas, et 5 692 décès. Une situation dramatique de recrudescence de l’épidémie face à laquelle les soignants alertent quant au manque de lits disponibles.

Le personnel médical manifestant à Tunis, le 4 décembre 2020, pour revendiquer des moyens pour l’hôpital public. Credit photo : Fethi Belaid, AFP

Le gouvernement tunisien, dirigé par le Premier ministre Hichem Mechichi, a de son côté décidé de mettre en place un confinement national à partir du 14 janvier pour une durée de quatre jours, avec un couvre-feu commençant à 16h, afin de contrer le rebond épidémique tout en restant sourd aux revendications des soignants. Une gestion répressive de la crise sanitaire qui a par ailleurs servi au gouvernement pour empêcher les différentes organisations politiques et syndicale de manifester le jour de l’anniversaire des 10 ans de la révolution. En effet, c’est le 14 janvier 2011 que le dictateur Zine El-Abidine Ben Ali avait fui le pays suite à la révolte massive déclenché par l’immolation de Mohammed Bouazizi, un jeune vendeur de fruit et légume harcelé par la police à Sidi Bouzid. Un geste qui avait provoqué l’émotion parmi la jeunesse et les classes populaires tunisiennes, confrontées à la précarité et à l’arbitraire policier du régime de Ben Ali, forçant la direction de la principale et puissante centrale syndicale tunisienne, l’UGTT, à appeler à la grève générale sur tout le territoire le 12 janvier 2011.

Malgré le départ du clan au pouvoir et l’embrasement des pays voisins de l’Egypte à la Syrie, plus connu sous le nom des Printemps Arabes, les travailleurs, la jeunesse et les couches populaires tunisiennes ne sont pas parvenues à imposer leur alternative politique au-delà de conquêtes démocratiques partielles. Depuis, l’instabilité politique du régime qui a vu se succéder neuf gouvernements différents, combiné avec la domination des bailleurs de fonds internationaux notamment européens qui exigent toujours plus de réformes d’austérité en échange de prêts dont dépend le gouvernement tunisien, a entraîné une précarisation accrue de la société, ainsi que l’accroissement du chômage, de la misère et des inégalités. D’autre part, force est de constater que la répression des mouvements sociaux ainsi que le harcèlement policier quotidien dans les quartiers populaires n’a pas cessé. Récemment encore les réseaux sociaux s’étaient indignés d’une arrestation d’un jeune de 16 ans, qui avait tenté de défendre son père harcelé par la police.

Dans ce contexte la lutte dans la rue a repris du galon ces derniers mois notamment avec d’importantes grèves dans le Sud du pays, dans les industries de pétrole et de phosphate. Mais aussi avec de nombreuses manifestations étudiantes et jeunes chômeurs dans un pays où plus 35% des jeunes entre 16 et 24 ans sont au chômage, et qui comptait déjà au moins 262.700 jeunes diplômés au chômage au 3ème trimestre 2019 selon l’Institut National de la Statistique. Une situation qui s’est aggarvé avec la crise économique mondiale, et le chute de 9% du PIB tunisien. De nombreux étudiants très qualifiés se retrouvent dans l’incapacité de trouver du travail face à des entreprises étrangères qui maintiennent les moyens de production dans un état de sous-développement.

Les quatre derniers jours ont ainsi été marqués par des coups de colère d’une partie de la jeunesse de ces quartiers populaires. Face à une situation de détresse alimentaire plusieurs pillages de grandes surfaces ont eu lieu. Afin de disperser les émeutiers, la police a eu recours à un usage massif de gaz lacrymogène, et a procédé à des arrestations massives. Dimanche soir, plus de 600 arrestations avaient eu lieu, souvent brutales comme en témoignent plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux. « La police, tous les jours elle est dans nos quartiers pour nous maltraiter, leurs pratiques elles n’ont pas changé depuis Ben Ali, si on est arrêté on se fera tabassé. Mais on n’en peut plus, ce système nous pousse à bout », nous confie Tayeb.
 

Arrestation a Siliana la nuit du 17 janvier, la police traine un jeune inanimé au sol et le frappe.

Pour Hatem, militant à la Ligue Gauche Ouvrière, « la situation est critique dans le pays, la faiblesse de l’État, et les conditions d’existence pousse à bout les masses de jeunes qui ne voient aucun avenir. Il nous faut nous organiser commencer à sortir des revendications, mobiliser dans nos quartiers, dans nos lieux d’études, sur nos lieux de travail ». Ce lundi a eu lieu une manifestation organisée par les jeunes diplômés chômeurs pour exiger la libération de leurs camarades interpellés. Cette manifestation qui s’est déroulé sur l’avenue Bourguiba a été violemment dispersée par la police et plusieurs interpellations ont eu lieu.

Face à un gouvernement à la solde des bailleurs de fonds internationaux, une situation de crise sociale et économique qui plonge les masses populaires dans la précarité extrême, et la répression policière au service d’un système à bout de souffle, seule la lutte et la solidarité des exploités et des opprimés paie.

 
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