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La Izquierda Diario
18 de mars de 2021 Twitter Faceboock

« PONAO »
Grèce. Confinement, mobilisations contre les violences policières : une situation plus qu’explosive
Irène Karalis

En Grèce, la population subit un confinement strict doublé d’un couvre-feu depuis novembre. Dans le même temps, de larges mobilisations contre une offensive sécuritaire du gouvernement, contre les nombreuses violences policières et en soutien à Dimitris Koufontinas ont traversé le pays. La situation est plus qu’explosive.

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Des vies confinées depuis plus d’un an

En Grèce, le Covid-19 a fait 6500 morts. 3000 cas sont comptés par jour. Dans ce pays au système de santé démantelé par l’application d’un ensemble de mesures austéritaires depuis 2010 dans les secteurs de santé primaire, secondaire et pharmaceutique, les hôpitaux sont à bout de souffle. À la suite de la crise de 2008, la Grèce est mise sous tutelle par la troïka – la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International – à travers une série de plans d’ajustement structurels ou mémoranda censés résoudre le problème de la dette et remettre le pays sur le chemin de la croissance. Ces plans ne sont en réalité qu’une série de mesures austéritaires visant à couper le budget du système public de santé, d’éducation et de retraites, plongeant la population grecque dans la précarité. À titre d’exemple, la part des dépenses publiques de santé dans le PIB passe ainsi de 6,8% en 2009 à 4,6% en 2019.

Comme dans beaucoup d’autres pays, plutôt que d’investir dans le secteur de la santé, le gouvernement a choisi de gérer la crise de façon répressive. La population grecque subit ainsi un confinement depuis le 7 novembre, ainsi qu’un couvre-feu à 21h en semaine et à 19h le week-end. Depuis plus d’un an, la vie des Grecs est à l’arrêt et se résume à sortir travailler et rentrer chez eux. Dans le même temps, le premier ministre Kyriakos Mitsotakis aurait, lui, brisé le confinement deux fois, l’une pour se balader à vélo, et l’autre pour dîner sur une île en compagnie de plus d’une trentaine de personnes. Mais aucune sanction ne semble avoir été prise à son encontre.

La campagne de vaccination, seule porte de sortie à la crise, tarde à se mettre en route. Seuls 2 à 3% de la population sont vaccinés, et il semble que la promesse du gouvernement de vacciner toute la population d’ici juin sera bien difficile à réaliser. Alexandra Koronaiou, professeure de sociologie à l’université Panteion d’Athènes, explique auprès du Télégramme : « Le gouvernement a échoué dans sa gestion du coronavirus. La population se sent séquestrée ; elle est à bout, inquiète pour son avenir, consciente de la catastrophe économique qui arrive. Or la seule réponse gouvernementale apportée est l’oppression. »

Face à cette situation critique, les hospitaliers grecs crient au secours et dénoncent les politiques d’austérité ainsi que les conditions insoutenables dans lesquelles ils sont obligés de travailler. Ils appelaient d’ailleurs à une mobilisation ce mardi 17 mars, revendiquant la réquisition du secteur privé de la santé sans compensation des propriétaires de clinique, la titularisation de tous les contrats précaires sans limite et sans conditions ainsi que l’embauche massive de personnels hospitaliers.

Mitsotakis poursuit sa ligne politique : du fric pour les flics, pas pour l’hôpital public

C’est dans ce contexte que le gouvernement profite de la crise sanitaire pour faire passer des lois antisociales et autoritaires. Le gouvernement a ainsi annoncé que la durée du service militaire – qui est obligatoire dans ce pays – passerait de 9 à 12 mois à partir de mai. De nombreux membres de la gauche dénoncent cette mesure autoritaire qui ne vise qu’à répondre aux intérêts militaires de la Grèce, dans un contexte de guerre froide avec la Turquie autour de la découverte de gisements gaziers. Par ailleurs, cette mesure paraît d’autant plus irresponsable au regard de la situation sanitaire, les camps militaires étant des endroits où les risques de contamination sont particulièrement élevés, du fait du surpeuplement et des mesures sanitaires inexistantes.

Mais la loi que tente de faire passer le gouvernement et qui est particulièrement contestée par la jeunesse en raison de son caractère autoritaire est celle qui prévoit d’instaurer une police spéciale habilitée à patrouiller sur les campus universitaires, constituée de mille policiers munis de matraques et de sprays anti-agression. Ce projet prévoit aussi de placer des caméras de surveillance et de mettre en place un conseil disciplinaire où professeurs et policiers pourront discuter de sanctions en cas d’actes répréhensibles. De nombreux chercheurs et étudiants dénoncent le caractère autoritaire de ce projet de loi, qui prévoit 20 millions d’euros par an pour la création du corps de police quand, dans le même temps, le budget annuel de l’enseignement supérieur est de 91,6 millions d’euros.

Cette loi s’inscrit dans la lignée de la politique sécuritaire du gouvernement Mitsotakis qui, depuis le début de son mandat, a renforcé la politique anti-migratoire de la Grèce, renforcé les effectifs de police et de l’armée et expulsé les squats anarchistes et de migrants dans Athènes. En août 2019, le gouvernement avait déjà aboli la loi de l’asile universitaire qui interdisait à la police d’entrer dans les universités, loi promulguée après le soulèvement de Polytechnique du 17 novembre 1973, quand l’armée grecque était entrée avec des tanks dans l’École polytechnique, faisant 24 morts.

Avec ce projet de loi, le gouvernement Mitsotakis poursuit sa politique autoritaire en direction de la jeunesse. Comme nous l’écrivions dans un précédent article, « à l’image du gouvernement français qui a tenté de criminaliser les occupations étudiantes par un amendement à la LPR, le gouvernement grec se prépare ainsi à de potentielles explosions de cette jeunesse, en faisant passer des lois sécuritaires et en renforçant son arsenal répressif. »

C’est donc contre ce projet de loi, mais aussi contre un projet de loi qui prévoit de censurer toutes les musiques faisant passer des messages de haine, ou des messages politiques, ou incitant au terrorisme et de condamner l’artiste à trois ans de prison, que la jeunesse grecque se soulève depuis plus d’un mois. Ce week-end encore, des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, à Athènes, en Crète et en Macédoine. Si le gouvernement accuse Syriza d’être responsable de la mobilisation, il est clair que ce n’est pas l’ancien parti au pouvoir qui est capable de mobiliser autant de personnes, et que la colère est bien plus profonde au sein de la population grecque.

Une dénonciation large des violences policières

C’est au cours de cette mobilisation qu’a émergé une dénonciation large de la brutalité policière, face à de nombreux cas de violences. Ainsi, six personnes ont été hospitalisées et 23 personnes arrêtées après avoir organisé une marche et ont également reçu une amende de 900 euros. Un professeur a également été frappé par la police, et quand il leur a demandé la raison de cette brutalité, les policiers lui auraient répondu « on ne t’a rien fait, tu t’es fait mal tout seul ». Le 8 mars, des policiers auraient par ailleurs cassé les vitres d’une voiture à Panormou, un quartier d’Athènes, lors de manifestations. Mais l’affaire qui a le plus choqué, est celle de violences à l’encontre d’un jeune, le 7 mars, à Nea Smyrni. Alors que ce dernier demandait à des policiers pourquoi ils mettaient une amende de 300 euros à une famille assise sur un banc, ces derniers l’ont jeté au sol, matraqué, et frappé de coups de pieds. Le jeune aurait alors crié à plusieurs reprises « Ponao ! », c’est-à-dire « j’ai mal ». Ce cri a par la suite été largement repris dans les manifestations, dans lesquelles de nombreuses pancartes affichaient ce « Ponao », rappelant le « I can’t breathe » de George Floyd.

Le 9 mars, une vidéo de policiers criant « en avant, on va les buter ! » a également fait le tour des réseaux. Par ailleurs, de nombreux posts facebook font état de menaces de la part de policiers, à l’image de ce commentaire : « attendez qu’on commence à vous tirer dessus, du sang va sortir de vos crânes » ou encore : « j’écris ce commentaire avec ma bite, je suis toujours excité de la nuit dernière quand on vous a baisés, je me suis senti comme un boucher au lieu d’un policier ». À Thessalonique, la police est entrée dans l’université pour déloger l’occupation des étudiants.

Face à cette multiplication des cas de violences policières, des artistes grecs ont lancé le #ArtVSPoliceBrutality.

La mise en lumière du lien intrinsèque entre l’État et les forces de police est un des points centraux qui animent la colère des manifestants. À Nea Smyrni par exemple, dans le quartier où s’est fait tabasser le jeune homme, un groupe de 200 personnes s’est dirigé vers le commissariat local et a jeté des pierres, avant que la police réplique par des gaz lacrymogènes.

Dimitris Koufontinas, symbole de la répression gouvernementale

Dans le même temps, une autre affaire a fait scandale et s’est retrouvée au cœur des manifestations : la grève de la faim de Dimitris Koufontinas.

Manifestations à Patras en soutien à Koufontinas

Dimitris Koufontinas était membre du groupe d’extrême-gauche 17 novembre, qui s’est créé après la chute de la dictature en 1974 et est classé comme organisation terroriste par les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada. Le groupe ciblait des personnalités politiques, des officiers américains et des collaborateurs de la junte. Une de leurs actions les plus célèbres est l’assassinat d’Evangelos Mallios, un bourreau qui avait torturé de nombreux opposants pendant la dictature. L’organisation est démantelée en 2002 et Dimitris Koufontinas, le chef des opérations, est arrêté à ce moment-là.

Le 8 janvier, après que les autorités aient refusé sa demande de transfert dans une autre prison, Dimitris Koufontinas entame une grève de la faim. L’affaire fait beaucoup de bruit, et le prisonnier reste à l’agonie pendant plusieurs semaines sans que le gouvernement ne fasse rien, une première en Europe depuis 1981 et la mort de Bobby Sands. Dimitris Koufontinas a finalement cessé sa grève de la faim ce dimanche. Une des victimes de l’organisation étant Pavlos Bakoyannis, le beau-frère de Kyriakos Mitsotakis, de nombreux manifestants dénoncent une affaire de vengeance personnelle.

Une situation plus qu’explosive

En définitive, la situation en Grèce est plus qu’explosive et le gouvernement se prépare à de potentiels affrontements sur le terrain de la lutte des classes. Les mobilisations actuelles sont déjà largement réprimées par les forces de l’ordre, d’autant plus que le contexte sanitaire donne un prétexte au gouvernement pour réprimer encore plus largement. Les amendes pour entrave au confinement sont par exemple d’un montant de 300 euros, une somme bien trop élevée pour la majorité de la population grecque qui est plongée dans la précarité depuis la crise de 2008, le SMIC étant par exemple de 758 euros par mois.

Face à cette situation économique catastrophique et aux offensives sécuritaires du gouvernement, la jeunesse est en première ligne de la contestation. Le mouvement étudiant grec, qui a une vieille tradition de mobilisation – il était déjà en première ligne de l’opposition à la dictature militaire –, ne faiblit pas, malgré la répression et la situation sanitaire qui rend l’organisation via les canaux traditionnels de mobilisation dans les universités – Assemblées Générales – difficile. Cependant, le mouvement ne peut déboucher sur des perspectives plus larges et ne peut faire plier le gouvernement s’il ne s’élargit pas à d’autres secteurs de la population, et en premier lieu le mouvement ouvrier, qui est en première ligne de la crise économique.

 
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