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7 de mai de 2021 Twitter Faceboock

Violences patriarcales
Féminicide de Chahinez : l’impasse du tout-répressif face aux violences de genre
Anna Ky

Le meurtre de Chahinez par son mari violent et déjà condamné en justice a d’abord choqué par son extrême brutalité. Mais ce 39ᵉ féminicide de l’année 2021 révèle surtout l’incapacité totale de la police et de la justice à endiguer les violences patriarcales qui peuvent mener à des drames aussi terribles qu’un féminicide.

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Crédits photo : Thomas Coignac/AFP

Chahinez avait 31 ans. Elle vivait à Mérignac, dans la région bordelaise, avec ses trois enfants. Et cela faisait plus de six ans qu’elle luttait contre un mari violent, contre qui elle a porté plainte à plusieurs reprises, et qui avait été condamné pour violences conjugales en 2015 et 2020.

Mais la peine de neuf mois purgée par son mari qui venait de sortir de prison ne l’a pas empêché de commettre l’irréparable. Ce mardi 4 mai, il est revenu dans le quartier où vivait Chahinez, armé d’un calibre 12 et lui a tiré dans les jambes avant de l’asperger d’essence et de l’immoler. Ce féminicide choque par son indescriptible violence.

Mais il interroge aussi parce que le parcours de Chahinez pour échapper à son meurtrier, ses multiples plaintes, les condamnations de son mari violent par la justice, le fait que tout le voisinage savait qu’elle était victime de terribles violences depuis des années, prouvent l’incapacité totale de la police et de la Justice à mettre un terme aux violences patriarcales qui peuvent aboutir à des meurtres aussi atroces. « Chahinez disait que c’était un monstre, a témoigné une voisine. En juin, elle avait eu le larynx écrasé. Il n’a fait que trois mois de prison et il continuait à circuler dans le quartier »

Le meurtrier de Chahinez, dénommé Mounir et âgé de 44 ans, a été interpellé une demi-heure après les faits. Une arrestation saluée par Schiappa dans un tweet : « Merci @PoliceNat33 pour leur intervention ayant permis d’interpeller le mis en cause. » Mais pas un mot du gouvernement sur l’inefficacité évidente des mesures prises à son encontre pour prévenir un tel drame, qui selon le parquet incluaient « notamment une obligation de soins, l’interdiction d’entrer en contact avec la victime et l’interdiction de paraître à son domicile » depuis sa sortie de prison le 9 décembre dernier.

Face à l’émoi et l’indignation légitimes suscités par ce féminicide, Darmanin, Schiappa et Dupont-Moretti se sont depuis lors vu contraints d’annoncer la mise en place d’une mission d’inspection pour « vérifier les modalités de mise en œuvre de la mesure de sursis probatoire dont le mis en cause a fait l’objet », « examiner si cette prise en charge a été correctement effectuée et suivie ».

Cet effet de communication a pour principal objectif d’éviter toute remise en cause profonde de la stratégie gouvernementale face aux violences patriarcales. En effet, il y a fort à parier que lorsque les premières conclusions de cette mission d’inspection seront rendues le 11 mai, elles iront soit dans le sens d’un dédouanement total de la police et de la Justice qui ont suivi les protocoles habituels dans ce genre de situation, soit permettront de rejeter la faute sur un individu, un agent de police ou de Justice qui aurait mal fait son travail.

Pourtant, les féminicides s’inscrivent dans une longue chaîne de violences patriarcales que ni la police ni la justice n’ont jamais permis de combattre. La logique exclusivement punitive, qui vise des individus présentés comme monstrueux en les sanctionnant plus ou moins durement sans jamais questionner le terreau social et la dimension structurelle des violences de genre, ne permet pas de lutter efficacement contre elles.

La récupération nauséabonde de l’extrême-droite

Présenter chaque auteur de féminicide comme un individu isolé et monstrueux, sans s’attaquer aux racines des violences patriarcales, revient à nier leur dimension structurelle. Au contraire, le féminicide de Chahinez est récupéré et instrumentalisé par l’extrême-droite, qui profite de ce meurtre terrible pour déverser son discours raciste nauséabond.

Parce que le meurtrier s’appelle Mounir et que Chahinez était musulmane et voilée, les réactionnaires de tous poils y voient une opportunité pour faire reposer sur les étrangers – ou perçus comme tels – la responsabilité de toute la violence d’une société patriarcale. Une rhétorique à laquelle Marlène Schiappa et le gouvernement pavent la voie, en revendiquant la déchéance de nationalité pour les hommes violents, en renforçant le quadrillage répressif des quartiers populaires, en insinuant que les hommes étrangers seraient plus violents que les nationaux.

Une instrumentalisation nauséabonde qui a porté #Chahinez en tendance sur Twitter, avec des tweets insistant sur l’origine du couple, leur religion, plutôt que de voir dans ce meurtre le dernier maillon d’une longue chaîne de violences qui n’a ni milieu social ni origine ethnique.

Comme certaines militantes féministes l’ont fait justement remarquer, l’extrême-droite était bien plus silencieuse lorsqu’en novembre dernier, Sandy, mère de quatre enfants, était brûlée vive par son ex-compagnon, nommé Jonathan. « Il l’avait déjà menacée à différentes reprises ainsi que sa famille témoignait alors une amie proche de la victime. Sandy avait peur de lui. »

Ce que révèlent ces féminicides particulièrement atroces, ce n’est aucunement une propension à la violence plus importante d’hommes étrangers ou assimilés ; c’est avant tout l’impasse totale à laquelle mène la stratégie gouvernementale en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

L’inefficacité évidente d’une réponse exclusivement punitive et carcérale

Tandis que la liste des victimes de féminicides s’allonge et que les confinements autoritaires successifs ont vu augmenter considérablement les plaintes pour violences conjugales, la réponse du gouvernement se limite à incarcérer certains hommes qui se rendent coupables de violences épouvantables et à renforcer son arsenal répressif. Mais le meurtre terrible de Chahinez le démontre une fois de plus : la solution de fond aux violences patriarcales ne sera ni carcérale ni judiciaire.

L’incarcération des auteurs de violences sans véritable suivi médico-psychologique ne fait que renforcer le risque de récidive. La lutte contre les violences patriarcales ne peut pas passer uniquement pas la sanction des hommes qui les commettent. Car l’autre facette de cette stratégie, c’est l’enfermement des femmes victimes de violences dans une posture d’attente et de dépendance vis-à-vis des institutions d’État, plutôt que de leur donner les clés de leur émancipation. Aucune mesure isolée face à un homme coupable de violence ne sera jamais suffisante, et ce sont les femmes qui en sont victimes les mieux à même de formuler leurs besoins.

Des études démontrent que les hommes condamnés en Justice pour violences patriarcales récidivent dans la majorité des cas six mois après avoir purgé leur peine, preuve que l’incarcération et l’augmentation des mesures répressives ne permettent pas de mettre un terme ni même de réduire les violences patriarcales. La priorité doit être à l’écoute des victimes de violences et passe notamment par la garantie d’une indépendance économique, afin que chaque femme puisse échapper à un foyer ou un lieu de travail violent. Le revenu minimum devrait être fixé à 1800€ net afin de garantir cette indépendance économique.

En parallèle, il faut revendiquer comme mesure d’urgence l’éloignement effectif de l’auteur des violences et sa prise en charge par des professionnels, notamment de santé, afin d’éviter la spirale infernale de l’incarcération en tentant au mieux d’identifier les éventuels problèmes psychiatriques qui mènent à ce type de violences. A ce titre, le budget du ministère de l’Intérieur avoisine les 14 milliards d’euros pour la seule année 2021. Plutôt que le renforcement de l’appareil répressif d’État, qui a une nouvelle fois prouvé son inefficacité totale en matière de lutte contre les violences de genre, cet argent pourrait et doit servir à ouvrir des centres d’accueil et de soin pour les victimes, à embaucher le personnel formé et qualifié nécessaire à la prise en charge des auteurs de violence, à financer un revenu pour l’ensemble des victimes de violences.

 
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