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La Izquierda Diario
12 de novembre de 2021 Twitter Faceboock

Droits humains
Désastre humanitaire à la frontière biélorusse-polonaise : une crise sur fond de bras de fer géopolitique
Philippe Alcoy

Quelques milliers de migrants entassés à la frontière polonaise ont suffi à créer l’une des pires crises entre la Biélorussie et l’UE. Un « jeu » réactionnaire sur fond de tensions géopolitiques croissantes.

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Depuis août dernier les frontières orientales de l’Union Européenne (UE) connaissent un inhabituel flux de migrants venus principalement du Moyen-Orient. Ceux-ci tentent d’atteindre les principales puissances européennes depuis la Biélorussie. La situation s’est aggravée au début de la semaine quand entre 2 000 et 4 000 migrants sont arrivés à la frontière biélorusse-polonaise, visiblement escortés par des membres des forces de sécurité biélorusses. En face l’accueil a été plus qu’hostile. En effet, il n’y a pas que les migrants qui ont afflué vers la frontière : on estime à au moins 15 000 le nombre de soldats polonais dépêchés à la frontière pour éviter que les migrants réussissent à passer du côté du territoire de l’UE. Les autorités polonaises ainsi que les lithuaniennes et lettones ont complètement militarisé les zones frontalières et déclaré l’état d’urgence. La zone est également interdite aux journalistes et aux organisations humanitaires qui voudraient venir en aide aux migrants. Du côté de la Biélorussie, les forces de sécurité empêchent les migrants de regagner Minsk, capitale du pays. Ils se trouvent ainsi coincés entre deux politiques réactionnaires, forcés de passer les journées et les nuits dans le froid, sans accès à des toilettes, et avec des ressources limitées en eau et nourriture.

Tout semble indiquer que ces migrants sont arrivés à Minsk poursuivant une promesse trompeuse d’un accès plus facile au territoire européen. Le gouvernement biélorusse les aurait acheminés à Minsk et puis conduit immédiatement à la frontière. De cette façon le président biélorusse Alexandre Loukachenko serait en train d’émuler la politique réactionnaire de chantage migratoire de la Turquie d’Erdogan ou encore du Maroc du roi Mohamed VI. En effet, ces deux régimes manipulent habilement les flux migratoires pour obtenir des concessions (et des financements) de la part de l’UE, tout en lui rendant grand service de « sous-traitance » de la gestion des flux de réfugiés en direction de l’Europe. La particularité du cas de Loukachenko c’est qu’alors que le Maroc et la Turquie tirent en quelque sorte avantage de leur position géographique en tant que « portes vers l’Europe » sur la route des migrants, le régime biélorusse a fabriqué de toutes pièces cette situation, jouant sans aucun scrupule avec la vie de milliers d’hommes, femmes et enfants à la recherche d’un futur meilleur.

Selon plusieurs analystes les objectifs de Loukachenko seraient d’obtenir de la part de l’UE un assouplissement des sanctions qu’elle à imposé au régime biélorusse suite à la répression des opposants. Pour sa part l’UE dénonce une « attaque hybride » de Minsk. Ce langage belliciste tend à déshumaniser les migrants mettant l’accent sur les aspects de frictions militaires et géopolitiques et en reléguant à un second plan la véritable et urgente crise humanitaire. D’ailleurs l’UE se montre pour le moment ferme quant à la fermeture des frontières se rangeant « comme un seul homme » derrière le gouvernement xénophobe polonais. Il en va de même pour les sanctions ; elle menace même d’appliquer encore plus de sanctions. Comme on peut le lire dans Le Monde : « outre l’extension des sanctions contre des personnalités proches du président biélorusse, le ministre allemand s’est déclaré en faveur de mesures contre « des secteurs économiques aussi importants que l’industrie de la potasse », pilier de l’économie de la Biélorussie. Le pays est en effet le deuxième exportateur mondial de potasse, un ingrédient de la fabrication d’engrais. Il a également émis l’idée de sanctionner des compagnies aériennes, notamment Belavia, détenue par l’Etat biélorusse, et plusieurs agences de voyage, accusées d’organiser l’afflux de migrants vers l’UE ».

On craint de plus en plus une escalade militaire et un « accident » qui puisse conduire à une confrontation tragique à l’Est de l’Europe. A propos de la militarisation de la frontière et de ce danger l’analyste Lukasz Olejnik explique que « la situation s’est déplacée vers des tensions frontalières qui vont au-delà de la tentative d’utiliser ou d’arrêter les migrants. De nombreux indices le montrent, dont le plus visible est la présence de formations armées et en uniforme à proximité les unes des autres des deux côtés de la frontière. (…) Il y a donc un risque que les choses deviennent incontrôlables, délibérément ou non. Les petits incidents peuvent rapidement dégénérer, et des rapports font déjà état d’affrontements comme de tirs feints. Ce type de comportement non professionnel, où des forces de sécurité non formées ou indisciplinées testent les frontières, est un facteur d’escalade majeur ».

Même si tout semble indiquer que Loukachenko ne cherche pas (pour le moment en tout cas) une confrontation armée, il est vrai que la région est soumise à des tensions de plus en plus fortes. Et c’est là qu’un autre acteur entre en jeu : la Russie. Plusieurs politiciens polonais ont pointé directement Poutine comme l’un des responsables de la situation actuelle ; soit en coopérant directement avec Minsk, soit en donnant son accord tacite. En effet, la Russie a plusieurs différends en ce moment avec l’Union Européenne, à commencer par la situation en Ukraine mais aussi la question du gaz. En ce sens, elle pourrait tirer profit de l’affaiblissement de certains Etats de l’Union, notamment la Pologne et les pays baltes, très hostiles à l’égard de Moscou. Ces dernières semaines on a rapporté une concentration importante de troupes et du matériel militaire russe à la frontière avec l’Ukraine. Celle-ci s’est récemment procuré des drones turcs qui ont servi pour attaquer des positions des « rebelles » du Donbass, à l’Est de l’Ukraine, et proches de la Russie. En même temps, les Etats-Unis ont augmenté ces derniers jours leur présence militaire dans la Mer Noire.

Consciente du poids de la Russie auprès de la Biélorussie, Angela Merkel a appelé Vladimir Poutine pour lui demander de faire pression sur Loukachenko et qu’il mette fin au traitement « inhumain » des migrants. Face à cet hypocrisie le Kremlin a répondu avec le cynisme qui lui est caractéristique, notamment à travers de son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov. « Pourquoi, lorsqu’il s’agit de réfugiés se dirigeant vers l’Union européenne depuis la Turquie, l’UE a-t-elle fourni des fonds pour les maintenir sur le territoire turc ? Pourquoi les Biélorusses ne peuvent-ils pas être aidés de la même manière ? », a-t-il déclaré. Autrement dit, la seule exigence de la Russie à l’égard de la politique de Loukachenko sera de maintenir loin de sa frontière les migrants, mais il est très peu probable que Poutine intervienne immédiatement pour faire reculer Minsk. Au contraire, il tentera de tirer le plus grand profit possible, le plus probable étant que la Russie soit véritablement complice de Loukachenko.

En effet, Loukachenko a visé un point très sensible de l’UE : la question migratoire et la relation entre les institutions européennes et les gouvernements d’Europe centrale. En effet, la Pologne, aux côtés de la Hongrie, ont été les pays les plus opposés à la politique des quotas migratoires. Une opposition réactionnaire et xénophobe à une politique non moins réactionnaire et xénophobe de la part des puissance centrales de l’UE. Le New York Times cite quelques analystes qui pointent cette « position inconfortable » pour le gouvernement polonais : « le gouvernement polonais, qui ne dispose plus d’une majorité claire au Parlement, est lui-même politiquement bloqué, a déclaré M. Buras. "Le problème n’est pas que l’UE ne veut pas aider la Pologne à cause de l’État de droit", a-t-il ajouté. "C’est plutôt l’inverse : il est très difficile pour le gouvernement polonais d’accepter l’aide des institutions de l’UE qu’il combat sur un autre front. Et le gouvernement veut se présenter comme le seul sauveur et défenseur du peuple polonais." (...) "L’inquiétude du gouvernement, et c’est pourquoi il est si ferme, est que s’il y a ne serait-ce qu’un processus pour laisser entrer les gens, cela créera un récit selon lequel c’est un endroit où les personnes d’Irak et de Syrie peuvent être dispatchées vers l’Europe, et le nombre ne sera pas de 4 000, comme maintenant, mais de 30 000", a déclaré Michal Baranowski, le directeur du bureau de Varsovie du German Marshall Fund ».

Le fait est que les principales capitales de l’UE peuvent dénoncer et critiquer les « dérives autoritaires » des gouvernements en Europe Centrale, mais concrètement la Pologne et la Hongrie sont devenues de véritables « glacis anti-migratoires » de l’Allemagne et des principales puissances impérialistes européennes. En effet, si quelques milliers de migrants mettent à l’épreuve l’UE c’est bien parce qu’elle s’est construite en tant que projet impérialiste, en bâtissant une forteresse hostile aux populations qui subissent chez-elles les conséquences de la spoliation, des guerres, de la misère dont les principales puissances UE sont responsables. On arrive ainsi à une totale déshumanisation des réfugiés et des migrants en général. Ainsi, la plupart des articles analysant la situation mettent l’accent sur les frictions et les manœuvres des différents gouvernements en oubliant le sort des migrants. Car comme l’explique très bien The Telegraph, le souffrances des migrants ne finissent pas quand ils traversent la frontière polonaise. Celle-ci se trouve en effet au milieu de la forêt de Bialowieiza, habitat de loups, lynx et autres bêtes. « Des groupes émaciés d’immigrants du Moyen-Orient ont commencé à sortir des bois en septembre, à la surprise des habitants qui ne savent que trop bien à quel point la forêt peut être impraticable. La plupart d’entre eux avaient passé des jours entiers sans nourriture ni eau dans la nature. Ils souffraient généralement d’hypothermie et d’épuisement, et étaient souvent malades après avoir bu l’eau des marais. Horrifiés, un certain nombre d’habitants qui s’étaient déjà regroupés pour lutter contre un projet gouvernemental d’exploitation forestière en 2017 ont activé les mêmes réseaux pour offrir une sorte d’aide », peut-on lire.

Face à cette situation néfaste à la frontière biélorusse-polonaise, nous devons rappeler que c’est précisément la politique anti-migratoire de l’UE qui permet à des dirigeants sans scrupules tels Loukachenko de jouer avec la vie de milliers de réfugiés qui aujourd’hui se massent à la frontière, femmes, enfants et hommes dormant dans des températures glaciales. C’est pour tout cela que le mouvement ouvrier, les classes populaires en général et la jeunesse partout en Europe doivent exiger l’ouverture immédiate des frontières !

 
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