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28 de décembre de 2021 Twitter Faceboock

Une perspective progressiste ?
Taubira et les droits LGBTI+ : retour sur son mandat
Matthias Lecourbe

La candidature de Christiane Taubira suscite l’enthousiasme de certains secteurs LGBTI+. Même si la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe porte son nom, elle ne doit pas faire oublier son bilan de ministre dont les réformes ont mis en danger et précarisée les secteurs les plus opprimés de notre société, via la casse des services publics et la répression des migrant.e.s.

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Crédits photo : Michel Euler/AFP

La candidature nouvellement annoncée de Christiane Taubira, dont le nom est associé à la loi qui a ouvert le mariage aux couples de même sexe en 2013, a généré un certain enthousiasme chez une partie de la jeunesse LGBTI+. Le nom de l’ancienne Garde des Sceaux est aussi associé à une loi mémorielle qui reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Elle a d’ailleurs été à plusieurs reprises la cible d’attaques racistes et misogynes de la part de l’extrême-droite. Si elle mérite à cet égard un soutien plein et entier, il convient de rappeler en quoi son projet est loin de représenter une perspective progressiste pour les luttes LGBTI+ des dernières années.

Cette annonce a attiré les commentaires de figure publique comme Eddy de Pretto, chanteur connu pour ses textes ayant pour thème son homosexualité. Ces commentaires font pourtant l’impasse sur l’ancrage profondément néolibéral de l’ancienne ministre d’Hollande. Revenons en quelques points sur une femme politique qui est loin d’être la candidate des exploité.e.s et des opprimé.e.s.

Christiane Taubira, actrice de premier plan du gouvernement Hollande et de ses réformes antisociales

Il faut d’abord rappeler que si Christiane Taubira est associée à la défense du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le projet a aussi été marqué par un important renoncement : un amendement proposant l’ouverture de la PMA aux couples de femmes a été déposé par des députés socialistes, qu’ils ont eux-mêmes retiré face à l’importante mobilisation réactionnaire contre le mariage pour tous. La mobilisation a durablement structuré et radicalisé une partie de la droite française et a également conduit le gouvernement PS à reculer quelques mois plus tard en mettant fin à l’expérience des « ABCD de l’égalité », des dispositifs de sensibilisation contre les discriminations de genre restés à l’état de test la seule année 2013.

La loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels a pourtant été adoptée assez tardivement par la France comparé à d’autres pays d’Europe de l’Ouest : les mariages homosexuels sont admis aux Pays-Bas depuis 2001, en Espagne depuis 2005, au Portugal depuis 2010 ou en Suède depuis 2009. La majorité socialiste avait de plus annoncé l’ouverture de la PMA aux couples de femmes dans une loi à venir au cours du quinquennat de Hollande, or elle n’a été ouverte qu’en 2021, à la toute fin du mandat d’Emmanuel Macron, laissant en suspens les projets familiaux de milliers de couples de femmes.

Mais il faut aussi rappeler que Taubira a considérablement augmenté les budgets alloués à l’administration pénitentiaire et le nombre de procès pénaux et d’incarcérations, faisant d’elle une personnalité participant activement au système carcéral dans toutes les dimensions de classe, racistes et oppressives qu’il peut avoir.

Ainsi, elle avait été interpellée par Act-Up au sujet des prisonniers vivants avec le VIH au moment de sa nomination par Act-Up Paris. Malgré les espoirs qu’elle avait pu susciter, l’accès aux soins et aux traitements pour les prisonnier.re.s est demeuré extrêmement difficile. Par exemple, tous les traitements médicamenteux des prisonniers leur sont pris au moment de leur incarcération, et ne leur seront rendu qu’une fois validés par la médecine pénitentiaire ; or il faut souvent attendre entre six mois et un an pour voir un médecin en prison, avec des conséquences dramatiques pour la santé des prisonnier.e.s vivant avec le VIH.

Il est aussi régulièrement rappelé que Christiane Taubira est l’auteure d’une note de rappel interdisant formellement l’incarcération de femmes trans dont l’état civil est masculin dans les prisons pour femmes, indépendamment de leur évolution physique, participant ainsi aux agressions, mauvais traitements, et maintiens abusifs en isolement dont sont victimes les femmes trans en prison.

Bien qu’elle ait démissionné de son poste de Garde des Sceaux au moment du débat sur la déchéance de nationalité pour les binationaux, Christiane Taubira a mené des politiques ultra-répressives à l’égard des migrant.e.s : elle est par exemple à l’origine d’une circulaire systématisant la vérification de la minorité des mineurs étrangers non accompagnés, généralisant en particulier l’usage de tests dentaires ou osseux, une pratique dégradante et raciste qui vient systématiser la suspicion à l’égard des mineurs étrangers.

Christiane Taubira a d’ailleurs pu tenir des propos très durs à l’encontre des migrant.e.s dès 2007, en reprenant une thèse ressemblant à celle du « grand remplacement ». En effet, elle a alors affirmé que « nous sommes à un tournant identitaire, les guyanais de souche sont devenus minoritaires sur leur propre terre » et a annoncé vouloir expulser pas moins de 50.000 clandestins présents en Guyane.

Enfin, malgré l’image sympathique qu’elle parvient à conserver auprès de certains secteurs à la sensibilité progressiste, Christiane Taubira est restée ministre de la Justice pendant près de trois ans au cours du mandat de François Hollande, alors même que la police assassinait Rémi Fraisse et que le gouvernement menait sa politique anti-sociale et austéritaire.

Une candidate du régime dont on ne peut rien attendre

Il faut aussi rappeler qu’en 2002, lorsqu’elle s’est présentée une première fois aux élections présidentielles, son programme incluait déjà un projet d’introduction de la retraite par capitalisation passé un certain seuil de revenus, ce qui aurait préparé d’autres attaques ultérieures au système de retraites par répartition. Un tableau qui la situe non pas comme la femme providentielle qui délivrerait la gauche de son impasse, mais bien comme « une véritable femme du régime » défendant les intérêts de l’impérialisme et du patronat.

Une candidature de Christiane Taubira ne permettra donc pas de défendre les intérêts des personnes travailleuses ou précaires qui constituent la majorité des personnes LGBTI+. Elle ne permettrait pas non plus de défendre la liberté d’installation pour les migrant.e.s qui fuient parfois la persécution en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre dans leurs pays d’origine. Elle ne serait pas non plus l’occasion de dénoncer le système carcéral qui enfonce dans la précarité des secteurs déjà appauvries de la classe ouvrière, en particulier les personnes non blanches, et met en grave danger les personnes LGBTI+ ou séropositives qui y sont confrontées.

En réalité, cette candidature intervient alors même que des secteurs entiers de la jeunesse se radicalisent contre les oppressions LGBTI. Cette année, la Pride radicale a réuni largement autour de mots d’ordres anti-capitaliste et anti-raciste. De la même façon, le TDOR, journée du souvenir trans, a attiré des milliers de jeunes révoltés. Ces phénomènes tendent d’ailleurs à contester le pinkwashing ou les discours libéraux qui instrumentalisent les questions LGBTI+ au service d’une politique favorable aux classes dominantes.

Dans ce contexte, il est fondamental de comprendre que sa candidature potentielle vise à pacifier ces formes de contestation et à les diriger vers une issue institutionnelle incapable de résoudre l’oppression vécue par les personnes LGBTI+.

Alors que la séquence politique est traversée par une polarisation intense, il est indiscutable que la conquête de nouveaux droits passera par un affrontement ferme avec les secteurs les plus réactionnaires des classes dominantes qui sont à l’offensive contre la politisation féministe et anti-raciste de la jeunesse.

 
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