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La Izquierda Diario
20 de avril de 2022 Twitter Faceboock

Nouvelle génération
États-Unis. Contre l’exploitation arc-en-ciel de Starbucks, les jeunes travailleurs LGBT se syndiquent
Pablo Herón

Aux États-Unis, une nouvelle génération de jeunes précaires est à l’avant-garde de la lutte pour la syndicalisation et l’amélioration des conditions de travail. Parmi eux, un grand nombre de personnes LGBTI+ qui refusent le chacun pour soi et l’intégration au marché, et mettent en lumière la précarité et les discriminations dont la majorité d’entre elles sont victimes sous le capitalisme.

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Gabriel Ocasio Mejias a été licencié d’un Starbucks d’Orlando, ville de Floride, pour avoir bu de l’eau à la caisse du magasin, début 2020. Cette raison invoquée par son entreprise pour le licencier n’était qu’un prétexte : Starbucks avait décidé de se débarrasser de lui après que lui et ses collègues aient lancé une campagne publique pour la constitution d’un syndicat en février de la même année. Gabriel, militant LGBTQI+, originaire de Porto Rico, avait été ravi d’obtenir un poste chez Starbucks, une enseigne qui se targue d’être « pro-LGBT ».

Les travailleurs de Starbucks célèbrent la création de leur syndicat à Buffalo. Crédits : Joshua Bessex/AP

Après des mois de réclamations, il a été réintégré et a reçu les salaires qui lui étaient dûs, « une grande victoire », se réjouit-il. Outre les attaques antisyndicales, il dénonce plusieurs évènements discriminatoires : un manager qui lui fait remarquer son comportement « trop efféminé », qui lui demande d’arrêter de porter du maquillage ou encore son sac-à-dos arc-en-ciel. Travailler là-bas « m’a un peu donné l’impression de retourner dans le placard » confie-t-il.

En décembre dernier, un Starbucks de Buffalo, dans l’État de New-York, est devenu le premier des 9 000 magasins américains de l’entreprise à voter en faveur de la syndicalisation. Ils ont fait des émules : des syndicats ont été créés dans différentes villes et États, comme New-York, Boston, l’Arizona et la Floride. Les géants du capitalisme commencent à être défiés par des jeunes travailleurs américains, comme à Amazon, où un tout premier syndicat vient d’être créé.

Aux États-Unis, le taux de syndicalisation dans le secteur privé est d’à peine 6 %. Les organisations du monde du travail ont été durement attaquées et délégitimisées par le néolibéralisme, limitant leur capacité à lutter pour les revendications de la classe ouvrière. La nouvelle génération de travailleurs combatifs se veut la génération U, pour union, syndicat ; elle est un aperçu d’une jeunesse précaire, qui cherche à s’organiser contre les conditions d’exploitation, traversée par le mouvement Black Lives Matter et la lutte féministe.

Pour quoi se battent-ils ?

Mars Moreno est non-binaire et travaille comme barista dans un Starbucks de Cleveland, payé.e 14 dollars de l’heure alors qu’iel pourrait être payé.e 22 dollars. « Pour pouvoir payer le loyer d’un deux pièces abordable, un travailleur doit faire 40 heures par semaine à 16,63 dollars de l’heure », dit-iel. Les horaires et les salaires sont attribués aux employés au bon vouloir de l’entreprise. Une arme que cette dernière a utilisé contre ceux et celles qui luttent pour la formation de syndicats, en réduisant arbitrairement leur temps de travail, en plus des menaces et des licenciements. La direction de Starbucks est consciente de ses intérêts ; tout est fait pour mettre des bâtons dans les roues aux travailleurs souhaitant s’organiser.

Les travailleurs de Starbucks dénoncent leur campagne antisyndicale. Crédits : Travailleurs unis du CMRJB

Leo Hernandez, de Tallahassee (Floride), est issu d’une famille ouvrière et tenait pour acquis qu’il devrait cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts. En plus de Starbucks, il travaille comme baby-sitter et comme livreur pour une application. « Je n’ai aucune vie sociale. Franchement : je travaille, je rentre chez moi. Et puis je retourne bosser », dit-il, fatigué d’être constamment inquiet quant à sa situation financière.

Leur situation est intimement liée à des questions de discrimination raciale, de xénophobie, de sexualité et de genre. Les jeunes impliqués dans la création de ces syndicats font partie d’une génération qui s’est mobilisée contre le racisme et les inégalités, et pour eux, il n’y a pas de séparation entre la lutte contre les oppressions et la lutte pour de meilleures conditions de travail. Près de la moitié des travailleurs de Starbucks aux États-Unis sont noirs, asiatiques ou latinos, et 70% sont des femmes.

La composition sociale des employés de Starbucks est reflétée dans les luttes de plusieurs enseignes à travers le pays. Angel Krempa, 23 ans, a récemment été licenciée pour avoir dirigé l’organisation du syndicat à Buffalo : « Les femmes et les personnes LGBT ne veulent plus être réduites au silence, nous sommes celles qui luttent durement pour tout le monde, pas seulement pour nous, mais pour tout le monde ».

Starbucks est l’une de ces entreprises qui, chaque année en juin, à l’occasion du mois des fiertés, peint son logo aux couleurs de l’arc-en-ciel et se vend comme « gay-friendly ». Aux États-Unis, elle offre une couverture santé avantageuse pour les personnes transgenres, telles que la couverture des opérations de chirurgie et des traitements hormonaux, dans un pays où les soins de santé sont très coûteux et difficiles d’accès, même pour ceux qui ont une assurance. Pour Eitzman, un jeune homme trans qui travaille dans un Starbucks de Cleveland, cette couverture est un mirage. Depuis deux ans, il essaie en vain d’accéder à ce droit, à cause des obstacles mis en place par l’entreprise elle-même. Pour avoir droit à l’assurance maladie, il devrait travailler au moins 20 heures par semaine pendant 3 mois d’affilée, ce qui n’est pas mince affaire, et qui est encore plus compliqué depuis la création du syndicat. Même avec la meilleure assurance maladie, il devra débourser plus de 5 000 dollars de sa poche pour pouvoir bénéficier d’une opération coûtant un peu moins de 9 000 dollars.

Les travailleurs syndiqués de Starbucks défilent à Buffalo / Crédits : Michael Sanabria

La situation d’Eitzman contraste avec les parcours de transition les plus médiatisés, comme celui de Caitlyn Jenner, une femme trans, ancienne athlète devenue star de téléréalité, qui a récemment été candidate aux éléctions gouvernatoriales de Californie avec un programme conservateur. Pour une majorité de la jeunesse LGBT+, la vie n’a rien à voir avec ce qui leur est vendu par les publicités, où la préoccupation principale semble être quel service ou marchandise peint aux couleurs de l’arc-en-ciel il faudrait consommer. Ils ne correspondent pas à l’image du consommateur gay ou lesbien, dont le néolibéralisme convoite le pouvoir d’achat, cherchant à tirer profit de la marchandisation de nos identités.

Les droits conquis par les militants LGBTQI+ ne sont pas accessibles à tous les secteurs. Les revendications des travailleurs de Starbucks mettent en lumière les deux faces d’un néolibéralisme qui, tout en diffusant un discours de tolérance, limitée à la conquête de certains droits, a creusé les inégalités matérielles à une échelle jamais vue auparavant. Les jeunes mobilisés dénoncent, à juste titre, le double-discours de l’entreprise : « Vous ne pouvez pas être pro-LGBTQ, pro-Black Lives Matter, pro toutes ces choses, et être antisyndical. Ça ne marche pas comme ça », dit Casey, employée à Buffalo.

Pour Leo Hernandez, l’organisation du syndicat a créé un sentiment d’appartenance, et il se réjouit de voir d’autres Starbucks dans le pays joindre le mouvement : « on ne se connaissait pas et maintenant on est plus soudés que jamais ». Ils tissent également des liens avec les travailleurs d’Amazon, qui sont dans un processus similaire, et avec d’autres luttes, comme celle des soignants de l’hôpital Mercy qui organisent des piquets de grève.

Rien d’étonnant alors à ce que d’autres grandes entreprises se sentent menacées par leur capacité d’organisation. Ils voient en eux une génération qui remet en question non seulement la dégradation de leurs conditions de vie, mais aussi toutes les oppressions fondées sur le genre, la sexualité, la race ou la nationalité. Loin du chacun pour soi, de l’individualisme consumériste et de de la résignation, ils posent un horizon de lutte collective qui défie les inégalités que le capitalisme entretient.

 
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