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La Izquierda Diario
29 de septembre de 2022 Twitter Faceboock

Guerre en Ukraine
Le sabotage des gazoducs Nord Stream, une nouvelle escalade entre la Russie et l’OTAN
Philippe Alcoy

Qu’il s’agisse d’un acte délibéré, cela ne fait aucun doute. Le fait qu’il y ait des acteurs étatiques derrière le sabotage est pratiquement certain. L’évènement confirme la dynamique d’escalade dans le conflit qui oppose la Russie aux puissances occidentales.

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Lundi dernier les autorités danoises et suédoises ont signalé trois fuites de gaz provenant des gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui relient la Russie et l’Allemagne. Les sismologues ont informé que peu avant ce signalement ils avaient détecté deux explosions près de l’île de Bornholm, dans la zone où passent les gazoducs. Très rapidement la piste privilégiée a été celle d’un sabotage ou d’un acte délibéré, dans un contexte où les puissances européennes tentent de remplacer le plus rapidement l’approvisionnement de gaz russe et craignent l’explosion du coût de l’énergie.

Le gazoduc Nord Stream 1 a été finalisé en 2011 et permettait d’exporter 170 millions de mètres cubes par jour depuis la Russie vers l’Allemagne, puis l’Europe. Nord Stream 2, qui est un gazoduc jumeau de Nord Stream 1 étant donné qu’ils suivent le même parcours, a été finalisé récemment et entendait doubler ces quantités de gaz exportées. Cependant, il n’a exporté même pas une goutte de gaz vers l’Allemagne, puisque les autorisations finales n’ont jamais été transmises. De plus, le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février dernier a poussé Berlin à « abandonner » ce projet. Depuis les relations entre la Russie et l’UE, notamment l’Allemagne, n’ont fait que se dégrader, ce qui a évidemment affecté l’approvisionnement de gaz vers l’Europe. Ainsi, alors qu’avant la guerre en Ukraine la Russie comptait pour 40% des importations de gaz dans l’UE, aujourd’hui ce chiffre ne serait que de 9%. La Russie elle-même avait réduit progressivement ces derniers mois le débit de gaz exporté à l’UE via le Nord Stream 1 et fin août elle annonçait l’arrêt total des exportations sous prétexte de maintenance.

Autrement dit, au moment de l’explosion les deux gazoducs n’exportaient pas de gaz vers l’UE. Cependant, ils étaient pleins de gaz et prêts à en exporter à tout moment. On parle de 300 millions de mètres cubes qui remplissaient les pipelines et qui aujourd’hui sont en train d’être déversés dans la Mer Baltique.

A l’heure actuelle presque plus personne ne parle d’accident. Il existe un consensus pour dire qu’il s’agit bien d’un sabotage. La question qui se pose désormais est : pour quels objectifs ? En l’état, il est presque impossible de dire qui est derrière l’attaque. Ce qui semble presque sûr, c’est qu’il y a sans doute des acteurs étatiques impliqués. Un acte de sabotage de ce type, à presque 100 mètres sous l’eau, dans une zone très surveillée, implique des outils, des renseignements, voire des complicités, auxquels seulement des Etats peuvent avoir accès. Il s’agit donc bien d’un acte de guerre.

L’une des hypothèses mises en avant, notamment par les gouvernements ukrainiens et polonais, ainsi que par des « faucons » de la politique étrangère nord-américaine, est celle d’un auto-sabotage de la part de la Russie. Les responsables russes ont rejeté ces accusations en affirmant qu’elles sont « stupides ». Ainsi, Dmitri Peskov, secrétaire de presse de Poutine, déclarait : « C’est un gros problème pour nous car, premièrement, les deux lignes de Nord Stream 2 sont remplies de gaz - tout le système est prêt à pomper du gaz et le gaz est très cher... Maintenant, le gaz s’envole dans l’air (…) Est-ce que cela nous intéresse ? Non, nous n’y sommes pas intéressés, nous avons perdu une route pour l’approvisionnement en gaz de l’Europe ».

Cependant, comme l’affirme Samantha Gross de l’Energy Security and Climate Initiative à la Brookings Institution : « il semble un peu fou que la Russie sabote sa propre infrastructure, mais si elle cherche une excuse plus plausible concernant ses réductions de l’approvisionnement en gaz de l’Europe, c’est une façon de le faire. J’ai toujours pensé que la Russie continuerait à réduire ses livraisons de gaz à l’Europe cet hiver. Je considère que c’est l’option la plus probable - pas une aberration, mais ce que je m’attends réellement à voir se produire. Et si la Russie veut le faire avec un certain degré de déni semi-plausible, le sabotage de cette infrastructure serait un moyen de le faire. Cela ne prouve pas qu’ils l’aient fait, cela signifie simplement qu’ils pourraient avoir un motif pour le faire (sic) ».

Mais si c’est le cas, cela voudrait dire que le pouvoir russe a décidé d’affaiblir ses liens commerciaux avec l’UE durablement. Il faudra entre une semaine ou deux pour connaître la véritable ampleur des dégâts et certains évoquent la possibilité que les travaux puissent prendre plusieurs mois, voire plusieurs années. D’autre vont plus loin et envisagent que les pipelines ne soient jamais remis en état de marche. Toujours selon Samantha Gross, « la question à plus long terme sera l’approvisionnement futur par ces gazoducs et de savoir si un jour ils seront réparés. L’Europe essaie de s’éloigner du gaz russe, et elle ne considérera plus jamais la Russie comme un fournisseur fiable (…) Et si les pipelines sont gravement endommagés, ils pourraient ne jamais être réparés. Donc, cela pourrait changer les conditions à l’avenir ».

Autrement dit, s’il s’agit effectivement d’un auto-sabotage les conséquences rien que d’un point de vue purement commercial sont énormes. Mais évidemment aussi d’un point de vue géopolitique. Il s’agirait d’un éloignement durable entre la Russie et l’UE, avec encore moins de chances qu’aujourd’hui de rétablir des relations partielles entre les deux. Cela pourrait satisfaire la partie la plus dure et nationaliste de l’establishment russe, qui semble aujourd’hui décidé à se tourner décisivement vers la Chine et l’Asie.

Cependant, cette situation a un potentiel négatif sur les relations entre la Russie et la Chine. C’est dans ce sens que Clara Ferreira Marques écrit dans Bloomberg : « tout ceci est également disproportionnellement préjudiciable à la Russie, notamment en ce qui concerne son pivot vers l’Est. Moscou a passé des années à convaincre le monde qu’il est un fournisseur fiable. Pour Pékin, peu de choses comptent plus que la fiabilité de l’approvisionnement en matières premières essentielles. Et pourtant, pris au piège, le Kremlin a peut-être abandonné la prévisibilité pour marquer un point. Étant donné que l’incident du Nord Stream rend encore plus improbable une reprise significative des flux de gaz vers l’Europe, ce qui accroît la nécessité d’une intervention de la Chine, cela semble insensé. (…) La Chine est bien consciente du risque de dépendance énergétique à l’européenne. Elle ne compromettra pas sa sécurité pour la Russie, pas plus qu’elle ne prendra de risques économiques - d’où la lenteur avec laquelle le gazoduc Power of Siberia 2 a progressé. Toutes les explications crédibles concernant les fuites du Nord Stream semblent devoir renforcer cette méfiance (sic) ».

Mais précisément tous ces éléments nous obligent à être prudents et à n’exclure aucune hypothèse, y compris une possible implication des Etats-Unis et de certains de leurs alliés européens. Pour les partenaires est-européens des Etats-Unis la nouvelle a été un prétexte pour accuser dès les premiers instants la Russie… et pour faire pression sur l’Allemagne pour qu’elle délivre encore plus d’armes à l’Ukraine. C’est le cas du gouvernement polonais et de l’Ukraine elle-même. Le sabotage des pipelines a coïncidé avec l’inauguration d’un gazoduc reliant la Norvège, devenu le principal exportateur de gaz vers l’UE, à la Pologne via le Danemark.

Cependant, dans ce cas il s’agirait d’une opération hautement « audacieuse » et risquée, notamment de la part des Etats-Unis. L’attaque contre les pipelines représente un acte très hostile non seulement à l’égard de la Russie mais de l’UE, et spécifiquement de l’Allemagne. Le tout dans un contexte où, grâce à la guerre en Ukraine, les Etats-Unis ont largement atteint certains objectifs stratégiques comme l’éloignement de la Russie et l’Allemagne, la dégradation potentielle de leurs relations sur le long terme, le réarmement européen, entre autres. Malgré tout cela, nous le répétons, nous ne pouvons pas exclure une quelconque implication des Etats-Unis et leurs alliés de cette affaire.

Les grands perdants semblent être les puissances impérialistes européennes, à commencer par l’Allemagne. Même si une grande partie des analystes semblent s’accorder pour dire, qu’en principe, l’Europe ne souffrira de pénuries de gaz cet hiver (même si pour cela elle pourrait devoir payer un grand coût économique et social), la question se pose sur le long terme. Car avec l’attaque contre Nord Stream 1 et 2, tout espoir d’une reprise même partielle des flux de gaz russe en cas d’urgence se sont évaporés dans les eaux de la Mer Baltique.

En effet, la Russie peut toujours exporter du gaz vers l’Europe via son réseau de pipelines traversant l’Ukraine et dans le sud du continent à travers la Turquie et le Turkish Stream, mais dans des quantités moindres que celles via Nord Stream. En outre, la construction des Nord Stream avait avant tout des objectifs géopolitiques : réduire l’importance des gazoducs traversant l’Ukraine. Maintenant que Poutine mène une guerre réactionnaire en Ukraine, il est encore plus improbable que le pouvoir russe veuille donner cette importance à Kiev. Et cela est en train d’inquiéter les dirigeants européens. Comme on peut le lire dans le Financial Times : « tard dans la journée de mardi, Gazprom, le producteur public de gaz russe, a indiqué qu’il pourrait procéder à de nouvelles réductions des approvisionnements en gaz vers l’Europe, menaçant ainsi les fournitures qui transitent encore par l’Ukraine. La compagnie russe a menacé de sanctionner la compagnie gazière publique ukrainienne Naftogaz si elle poursuivait la procédure d’arbitrage contre la compagnie russe en Suisse, une décision qui, selon les analystes, conduirait probablement à la coupure des flux. "Cela concrétiserait le pire scénario auquel les gouvernements européens se sont préparés tout l’été - un marché européen du gaz sans gaz russe", a déclaré Natasha Fielding, chez Argus (sic) ».

Cette situation risque de créer des tensions et des crises au sein du bloc européen. Car cela impose que les puissances européennes mettent en place un plan énergétique capable de satisfaire tout le monde et de léser personne. Et comme on a pu le voir dans toutes les crises qui ont secoué l’UE ces dernières années, cette situation risque de faire monter les sentiments nationalistes et réactionnaires. A cela il faut ajouter les risques de trouble sociaux qui pourraient menacer les gouvernements en place.

Qui que soient le ou les responsables du sabotage des Nord Stream 1 et 2, nous sommes rentrés dans une phase de la guerre et des disputes entre le « bloc occidental » et la Russie où l’on peut commencer à s’attaquer à des infrastructures essentielles, sans mentionner la perspective désastreuse de conflit nucléaire. De ce point de vue, la classe ouvrière, les secteurs populaires, la jeunesse des différents pays européens (y compris la Russie) qui sont déjà en train de payer les conséquences de la guerre, doivent refuser de s’aligner derrière tel ou tel camp bourgeois. Aussi bien la Russie de Poutine que le « bloc occidental » mené par les Etats-Unis, et qui utilise l’Ukraine comme un terrain pour mener une sorte de « guerre par procuration », poursuivent des objectifs complètement réactionnaires. Plus que jamais l’indépendance de classe face à ces perspectives se pose pour éviter le pire.

 
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