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La Izquierda Diario
6 de novembre de 2022 Twitter Faceboock

Témoignage
« Le problème c’est les Arabes et l’Islam » : agressions racistes et sexistes au travail dans un McDonald’s
Rozenn Kevel

Dans un témoignage inédit, Sarah*, 26 ans et salariée chez McDonald’s à Toulouse, dénonce le harcèlement et les violences sexistes, racistes et islamophobes qu’elle et ses collègues subissent sur leur lieu de travail, avec la complicité de la direction.

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Révolution Permanente : Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter le climat dans lequel tu travailles depuis ton arrivée à McDo ?

Sarah* : Je suis salariée au McDonald’s d’Aucamville depuis 2020 et je subis des discriminations depuis la signature de mon contrat. Ça a commencé par des attouchements de la part de collègues hommes, qui touchaient mes hanches et celles de plusieurs équipières lorsqu’ils passaient derrière nous.

La direction ne nous aidait pas non plus. Par exemple, une fois un équipier était beaucoup trop insistant avec les équipières et nous demandait des rendez-vous sur nos réseaux sociaux. On avait refusé mais il n’arrêtait pas, donc on a fait remonter à la direction pour qu’elle agisse, mais elle n’a rien fait.

Un de nos managers nous faisait des remarques déplacées sur le viol, il disait : « Quand les filles vous dites "oui" au début, nous on sait pas trop comprendre quand vous dites "non" après. Après vous portez plainte pour viol, alors que ça n’en est pas vraiment ». Il nous donnait aussi son avis sur nos tenues : par exemple lorsqu’on venait en robe, il nous disait qu’il était content de nous voir en robe, que c’était bien de venir habillée sexy au McDo. On en a discuté entre nous et pratiquement toutes les filles du restaurant avaient vécu une remarque sexiste de la part du manager en question.

RP : Cette situation scandaleuse ne s’arrête pas là : le climat s’est détérioré pendant les élections présidentielles. Est ce que tu peux nous raconter ?

Sarah : Pendant cette période, on a commencé à entendre des propos racistes de la part de certains collègues. Ça a commencé pendant une fermeture : je discutais avec une collègue, et des collègues sont venus se mêler à la discussion. On a directement dit qu’on n’était pas là pour faire un débat politique et que ça ne nous intéressait pas.

De là, ces employés ont commencé à nous dire qu’il fallait qu’on arrête de se victimiser et que « le problème c’est les Arabes et l’Islam qui n’ont rien à faire en France ». Le climat raciste qu’on voyait à la télé a dû les conforter dans leurs idées d’extrême-droite, se dire que c’était normal et qu’ils étaient légitimes d’agir comme ça.

On leur a demandé d’arrêter de nous parler, et c’est là qu’ils ont commencé à insister et à nous dire de voter pour Marine Le Pen aux élections présidentielles. Au final, c’est un groupe de quatre équipiers plus le manager dont je parlais précédemment qui ont commencé à nous harceler tous les jours avec des propos racistes. On avait aussi droit à des propos homophobes, une collègue avait dit une fois qu’elle était contente de pouvoir se marier avec sa copine et ces employés avaient rétorqué : « Le mariage pour tous et pourquoi pas le mariage pour animaux ? »

Avec des collègues on a décidé d’écrire une lettre dans laquelle on relatait les faits et les propos qu’on a subi. On voulait signaler à la direction qu’il y avait un danger pour nous et qu’on était très mal à l’aise. Le manager a défendu les équipiers concernés, en me disant que « je n’étais pas dans mon pays » et qu’il n’y avait rien de raciste dans le fait de dire que « le problème en France c’est les Arabes ».

RP : Suite à cette lettre commune, quelle a été la réaction de la direction du restaurant ?

Sarah : La lettre avait été signée par quatre personnes et par d’autres collègues qui voulaient rester anonymes car ils avaient peur des représailles. J’ai été la seule à avoir été convoquée dans le bureau du directeur avec le directeur adjoint. Ils m’ont mis la pression, m’ont dit que c’était ma parole contre celles des autres. Ils n’ont rien arrangé... Apparemment, ils auraient convoqué les équipiers en question mais on n’a jamais vu se concrétiser ces rendez-vous. La direction n’a pas cherché à déterminer le faux du vrai par une enquête par exemple. La situation s’est donc empirée et le harcèlement a continué. Les harceleurs ont même parlé à un de mes collègues racisé de l’esclavage en lui disant : « Arrête de te victimiser, si aujourd’hui t’es là, que tu as un travail et que les n*gres sont sortis de l’esclavage, c’est grâce aux blancs ».

J’ai été très déçue de la direction, je m’attendais à ce qu’ils fassent quelque chose, qu’ils réagissent. À chaque fois que je dénonçais des faits problématiques à ma direction, j‘étais convoquée dans le bureau du directeur adjoint et il m’intimidait en me criant dessus et ne me laissait pas parler. Pire encore, il me disait qu’il fallait que j’arrête de lui écrire des lettres dans lesquelles je témoignais de ce que je vivais, je me souviens, il m’a crié dessus : « Arrête d’écrire des lettres, arrête de revendiquer des choses et fais toi petite ! ».

RP : Tu as continué d’interpeller la direction sur ce qu’il se passait et celle-ci a continué d’avoir une attitude hostile envers toi, jusqu’au jour où c’est allé beaucoup trop loin avec une agression physique. Est ce que tu peux nous raconter ?

Sarah : La situation a continué et j’ai essayé de prendre sur moi, même si ça jouait sur ma vie personnelle. Je n’arrivais plus à me concentrer en cours par exemple. Un jour, une collègue s’est disputée avec une fille du groupe des salariés problématiques car celle-ci était en train de préparer ma commande en faisant n’importe quoi, par exemple elle trempait le pain de mon burger dans l’eau des cornichons. Quand je suis arrivée vers la scène de la dispute, j’ai essayé de calmer la situation. Ils ont continué à nous insulter et on leur a dit d’arrêter. Un manager était là et on lui a demandé d’intervenir mais il n’a rien fait.

C’est là qu’un équipier est sorti de la cuisine alors qu’il travaillait, il a commencé à menacer ma collègue de la frapper, l’a insultée de « pute » et lui a dit : « Rentre chez toi », « t’es pas chez toi ici ! ». Elle a eu peur et s’est mise devant la caméra. C’est là qu’il s’est énervé et a essayé de lui arracher son voile, puis lui a mis un coup. Je me suis levée et me suis mise entre eux, il m’a frappée plusieurs fois et a pris des plateaux pour essayer de me frapper avec, avant qu’il ne se fasse retenir par quelqu’un. On est sorties très choquées. Les agresseurs sont retournés faire leur travail comme si de rien était, et nous, le manager présent nous a interdit de rentrer pour boire de l’eau.

C’était trop, la direction était responsable de ce qu’il venait d’arriver, parce que les directeurs ont tellement protégé les agresseurs qu’ils ont fini par se sentir à l’aise d’en arriver aux mains au sein du restaurant ! Directement en rentrant chez moi, j’ai écrit un mail pour prévenir la direction de ce qu’il venait de se passer. Le directeur n’a pas répondu à mon mail et j’ai dû insister pour avoir un rendez-vous avec lui. On m’a fait attendre dans une salle, assise en face des personnes qui m’avaient agressée la veille. Le directeur adjoint a vu mes agresseurs avant moi, j’ai dû attendre plus d’une heure et, quand je suis rentrée dans le bureau pour voir ce qu’il se passait, j’ai vu mes agresseurs assis à côté du directeur adjoint en train d’écrire un témoignage, comme s’il leur dictait ou surveillait ce qu’ils écrivaient.

Pour moi, ça a été un tout autre traitement. Honnêtement, on ne m’a jamais autant humiliée de ma vie que pendant ce rendez-vous. La première chose qu’il m’a dit c’était : « J’en ai marre de vos histoires, j’ai pas que ça à faire », puis il a menacé de me sanctionner sur la base du témoignage de mes agresseurs. Il ne m’a pas demandé de raconter ma version des faits, ni d’écrire un témoignage. Quand je lui ai dit que je voulais lui raconter ma version des faits, il m’a répondu : « Oui, mais vite alors ! ». Quand je suis rentrée chez moi, j’étais choquée. Je me suis rendu compte de l’entretien surréaliste que je venais de vivre.

C’est là que j’ai écrit une lettre dans laquelle je disais que je comptais saisir le conseil des Prud’hommes et avertir l’inspection du travail et les syndicats. Miraculeusement le lendemain, j’ai eu rendez-vous avec le directeur qui était très gentil avec moi. Il me disait qu’il me soutenait et qu’il était déçu de mes critiques sur l’inaction de la direction dans ma lettre, que j’allais avoir un suivi psychologique suite à mon agression, qu’il ne fallait pas que je porte plainte contre le McDo mais contre les personnes qui m’ont agressée et qu’ils pouvaient m’aider en déposant eux-même une main courante. Après ces belles paroles, il n’y a jamais rien eu de concret. C’était plutôt une tentative de se laver les mains en fait.

RP : Face à cette situation, qu’est ce que vous revendiquez ?

Sarah : On veut des vraies mesures face aux discriminations. Le manager qui nous touchait et nous harcelait sexuellement a été muté, mais encore une fois c’était une mesure de la direction pour se couvrir car on avait dit qu’on porterait plainte contre lui. Mais on a eu des échos de collègues d’un autre restaurant où il aurait réitéré ses agissements envers des femmes : la direction a juste déplacé le problème. On veut que le manager et les salariés qui nous ont agressé soient licenciés mais aussi que tous les harceleurs et agresseurs soient bannis de McDo. On veut aussi que s’ouvre une enquête interne et indépendante de la direction concernant le directeur qui, pour nous, est complice du problème. On veut aussi des formations qui soient mises en place pour tous les niveaux dans l’entreprise concernant les discriminations.

* Le prénom a été modifié pour préserver son anonymat.

Tu es salarié·es à McDonald’s et tu souhaites témoigner de tes conditions de travail et/ou de discriminations ? Ecris-nous sur instagram @du_pain_et_des_roses !

 
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