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La Izquierda Diario
14 de novembre de 2022 Twitter Faceboock

Ouvrons les frontières !
Une enquête confirme que l’État français a laissé mourir en mer 27 migrants il y a un an
Adèle Chotsky

Le 24 novembre 2021, 27 personnes mourraient noyées dans la Manche entre la France et l’Angleterre. Des éléments des investigations ouvertes sur le naufrage, publiées dans Le Monde, révèlent que les secours français, appelés à l’aide à plusieurs reprises par les migrants, les ont laissés se noyer en mer.

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[Crédits photo : FRANCOIS LO PRESTI / AFP]

Il y a un an, une information judiciaire était ouverte pour éclairer les conditions du naufrage du 24 novembre 2021 d’un bateau pneumatique transportant plusieurs migrants qui tentaient de rejoindre l’Angleterre. 27 personnes s’étaient noyées dans les eaux glaciales de la Manche, dont plusieurs femmes et une enfant : l’un des pires drames de la sorte survenu dans la Manche.

Alors qu’en février dernier, la cellule investigation de Radio France avait déjà confirmé que les secours français avaient été alertés, ce dimanche, les résultats des investigations publiées par Le Monde révèlent le contenu des communications entre l’embarcation de fortune et le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes (Cross), poste de secours français qui travaille sous l’autorité du préfet et est censé sauver les personnes en mer.

Il s’avère que les passagers ont appelé à de très nombreuses reprises à l’aide alors qu’ils étaient en train de couler, sans qu’aucun secours ne leur soit envoyé.

Une position transmise à de nombreuses reprises

Les autorités françaises ont longtemps prétendu, jusqu’en février dernier, n’avoir eu connaissance du naufrage que lorsque plusieurs corps sans vie ont été découverts par un bateau de pêche à proximité des eaux anglaises le 24 novembre 2021. Aujourd’hui, il apparaît non seulement qu’ils en ont été informés, mais qu’ils ont délibérément laissé les personnes se noyer au large des côtes françaises en attendant que l’embarcation passe dans les eaux anglaises, malgré les nombreux appels des passagers.

Les deux survivants avaient révélé, quelques heures après le naufrage, avoir contacté les secours britanniques, qui les renvoyaient aux français et vice-versa, chaque côté se renvoyant la balle pour ne pas leur porter secours.

Les communications révélées par Le Monde confirment que les passagers ont transmis pas moins de trois fois leur géolocalisation aux secours français, en vain. Pire, ceux-ci vont prétendre à de nombreuses reprises, d’une part que des secours arrivent, d’autre part qu’ils étaient passés dans les eaux anglaises.

C’est à 1h48 qu’a lieu un premier appel, lors duquel un passager indique en anglais aux secours qu’ils sont 33 à bord d’un bateau qui se dégonfle, rapporte Le Monde. L’opératrice lui demande alors d’envoyer selon la procédure sa géolocalisation par Whatsapp. La même personne contacte ensuite, à 1h51, le SAMU du Pas-de-Calais, qui transmet l’appel au Cross. Les passagers paniquent, pleurent, et la personne au téléphone implore de l’aide. L’opératrice leur affirme que s’ils envoient leur position on leur enverra un bateau de secours.

Or, malgré une géolocalisation transmise quelques minutes plus tard aux autorités françaises, celles-ci n’envoient toujours aucun moyen de sauvetage. Au contraire, elles contactent les secours anglais en les informant que le bateau va arriver prochainement dans les eaux anglaises. Au deuxième signalement de leur position par Whatsapp, à 2h10, et alors que l’embarcation se situe toujours dans les eaux françaises, les personnes continuent d’appeler en implorant de l’aide, l’opératrice du Cross leur dit de garder leur calme et prétend que les secours arrivent. C’est faux : le Cross va rappeler les secours anglais en prétendant que le bateau se situe « dans leur zone ».

Tandis que le canot va continuer à appeler de l’aide, les secours français vont de nouveau renvoyer la balle aux anglais : au SAMU qui tente de transférer un nouvel appel, le Cross répondra que « de toute façon, maintenant, ils sont dans les eaux anglaises et que s’il rappelle il faut lui dire de contacter le 999 [les secours anglais] » Lors d’un appel à 3h30 d’un des passagers qui explique qu’il est littéralement dans l’eau, le Cross rétorque : « Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises ». Et de commenter ensuite cyniquement en aparté « Ah bah t’entends pas, tu seras pas sauvé. ‘J’ai les pieds dans l’eau’, bah… je t’ai pas demandé de partir ». 15 fois, les passagers vont continuer d’appeler les français, entre environ 2h et 4h du matin, en vain.

« Nous sommes en train de mourir »

Le SAMU, qui reçoit également des appels, va tenter à plusieurs reprises de les signaler au Cross en indiquant que le canot coule et que les passagersrapportent qu’on leur a dit que les secours arriveraient dans 20 minutes. Mais aucun secours n’est envoyé. Vers 4h du matin, alors que le bateau coule, les appels des passagers vont se multiplier, implorant de l’aide. Lors de l’un de ces appels, l’opératrice lui répète encore une fois d’envoyer sa localisation, avant de dire en aparté « je vais lui sortir la phrase magique, pas de position pas de bateau de secours ».

Les communications révélées par Le Monde montrent qu’un autre passager appelle au même moment pour dire que c’est « fini » et qu’ils sont dans l’eau : « Nous sommes en train de mourir. Nous sommes dans la mer, dedans, dedans (…) il fait froid. » En face, l’opérateur du Cross s’entête à leur demander où ils sont, alors que le passager explique qu’il n’a pas internet et supplie à nouveau qu’on leur envoie des secours.

Peu après, un navire, le Concerto tombe sur l’embarcation, la signale au Cross et leur demande la conduite à tenir. On leur rétorque de continuer leur route. Pourtant, à 4h23, le Cross enjoint toujours les passagers d’appeler les secours britanniques en prétendant qu’ils se trouvent dans les eaux anglaises. Un patrouilleur français indique au même moment au Cross qu’un patrouilleur anglais se dirige vers une embarcation sans que celle-ci soit vraiment identifiée et sans que l’on sache s’il s’agit bien de celle qui les appelait. Pourtant, c’est ce que conclut de manière expéditive le Cross : peu après 5h, l’évènement est clos et marqué comme « Secouru ».

Que ce soit du côté français ou britannique, le centre de secours britannique et les militaires français du Cross se sont donc renvoyés la responsabilité : pour les uns, appelés par les passagers, la localisation en eaux françaises les dédouane d’une quelconque intervention. Pour les autres, le canot va arriver en eaux anglaises et il n’est plus de leur responsabilité.

Interrogés sur l’absence de secours, plusieurs membres du Cross affirment même que « souvent les migrants appellent et crient au danger alors qu’ils n’ont rien ». Et l’opératrice du Cross que les passagers ont eu au téléphone de surenchérir qu’il faut distinguer l’urgence « vitale » de l’« urgence de confort ».

Les frontières tuent, l’État est responsable !

Au total, 27 personnes ont été retrouvées noyées après ce drame, dont une fillette. Quatre corps n’ont jamais été retrouvés. Les éléments révélés par Le Monde soulignent la responsabilité de l’État français dans cet évènement horrible, qui a laissé mourir sans scrupules des gens qui appelaient désespérément à l’aide.

Tous ces éléments ne sont évidemment pas fortuits : d’un côté, la surenchère policière et sécuritaire aux frontières force les personnes migrantes à risquer toujours plus pour passer en Angleterre, de l’autre le traitement raciste des migrants par l’État français conduit nécessairement les agents qui appliquent cette politique à les déshumaniser toujours plus.

De quoi démontrer l’hypocrisie des récentes annonces du gouvernement concernant l’Ocean Viking, instrumentalisé par la macronie pour tenter d’apparaître en opposant à l’extrême-droite, et les implications meurtrières de sa politique que l’extrême-droite voudrait encore durcir.

Alors que chaque année, des centaines de personnes trouvent la mort dans les eaux de la Méditerranée ou de la Manche, plus que jamais il faut revendiquer l’ouverture des frontières qui tuent. Pour mettre fin à l’Europe forteresse, il faut la régularisation immédiate de tous les sans-papiers, la fermeture des centres de rétention administratifs, la défense du droit au regroupement familial, l’arrêt immédiat des expulsions ainsi que le droit de toutes et tous de bénéficier d’un titre de séjour, d’un travail et d’une place à l’université.

 
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