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1er de février de 2023 Twitter Faceboock

Guerre en Ukraine
Droits LGBT et guerre en Ukraine : entre l’illusion démocratique de l’OTAN et les réactionnaires
Camille Lupo
Sasha Yaropolskaya

La propagande particulièrement violente anti-LGBT de Poutine a fait des droits des personnes LGBT un des enjeux idéologiques de la guerre en Ukraine. Mais, de l’autre côté, le gouvernement de Zelensky soutenu par l’OTAN peuvent-ils faire avancer les droits LGBT en Ukraine ?

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La propagande anti-LGBT, un élément central du projet réactionnaire de Poutine pour la Russie

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement de Vladimir Poutine a lancé une offensive réactionnaire importante contre la communauté LGBT : le 5 décembre dernier, Poutine a officiellement signé la loi contre toute mention des personnes homosexuelles et trans sur les réseaux sociaux, dans les médias, cinéma, livres, publicités, les services de streaming. Une loi passée à la vitesse de l’éclair par les députés russes qui préparent désormais l’interdiction du changement de la mention de genre sur les documents officiels sans certificat du médecin, l’interdiction de la GPA pour les étrangers, l’arrêt de financements de l’IVG avec des fonds publics. Soit des attaques matérielles sur le droit à disposer de son corps.

Cette offensive contre les personnes LGBT et les femmes est justifiée par un discours très violent opposant l’Occident décadent avec ses « parades gay », « les parents 1 et 2 » et « la théorie du genre » aux valeurs traditionnelles russes, à la famille hétérosexuelle russe, à la foi chrétienne orthodoxe. Un discours qui légitime idéologiquement la guerre en Ukraine et l’escalade dans laquelle est engagée le régime, mais aussi forge des ennemis intérieurs tentant de rediriger la colère contre un régime affaibli par les difficultés géopolitiques et économiques vers une minorité stigmatisée.

Pour le président Vladimir Poutine (discours du 30 septembre 2022), « les élites occidentales sont dans la négation radicale des normes morales, de la religion, de la famille », ce qu’elles veulent imposer à « tous les peuples » par le biais notamment des personnes LGBT qui seraient « des perversions qui mènent à la dégradation et à l’extinction ». En Occident, selon Poutine, les enfants sont en danger à l’école : « on leur fait rentrer dans la tête que soi-disant il existe d’autres genres à part les hommes et les femmes, on leur propose la chirurgie du changement de sexe ». Et c’est une voie qu’il faudrait rejeter pour la Russie : « Voulons-nous de tout cela pour notre pays et pour nos enfants ? Pour nous, tout ça est inacceptable, nous avons un avenir qui est différent. »

Pour le député Alexandre Khinshtein (discours du 17 octobre), député russe à la tête du groupe parlementaire dédié à la politique d’information et l’un des principaux auteurs de la loi contre la propagande LGBT, « les LGBT aujourd’hui sont un instrument de la guerre hybride (avec l’Occident - ndla). Dans cette guerre hybride, nous devons protéger nos valeurs, nous devons protéger notre société et nos enfants ».

Pour le Patriarche Kirill (sermon du mars 2022) à la tête de l’Église orthodoxe russe : « Dans le Donbass (région de l’est de l’Ukraine - ndla), il existe un refus fort des valeurs qui leur sont proposées par ceux qui cherchent maintenant un pouvoir sur le monde entier, l’Occident. Il existe un test de loyauté de ce pouvoir, une sorte de permis pour pouvoir entrer dans ce ‘monde heureux’, le monde de la consommation excessive, le monde de la ‘liberté’ visible. Et qu’est-ce que c’est que ce test ? Ce test est très simple et en même temps horrible - c’est une parade gay. Les demandes de tenir des parades gay sont un test de loyauté à ce monde puissant et on sait que si des gens ou des pays refusent de telles demandes, ils ne feront pas partie de ce monde ».

En parallèle, le régime de Poutine produit des campagnes professionnelles de propagande réactionnaire mettant en récit, par exemple, un homme états-unien ne pouvant plus se trouver un date sur les applis de rencontre ou dans les bars où les femmes en tant que catégorie sociale n’existent plus, seulement des non-binaires et d’autres « transsexuels ». Alors, il prend un billet d’avion pour arriver à Moscou où il tombe immédiatement sur des femmes russes souriantes aux yeux bleus et aux longs cheveux blonds et roux. La Russie, un pays où les « vraies femmes » existent encore, donc.

Insouciantes, élégantes et bien soignées, elles peuvent aussi poser devant les chars avec des fusils d’assaut tout en portant du rouge à lèvre.

Le régime de Poutine, en cherchant à pousser l’idée d’une Russie conservatrice attachée aux traditions rétrogrades hétérosexuelles et patriarcales, essaie de créer une culture commune et unir les différentes classes de la population dans le même projet politique réactionnaire. Un moyen pour le régime de lisser les contradictions de la société russe divisée par des inégalités importantes entre la classe ouvrière de plus en plus paupérisée et envoyée au front comme de la chair à canon et la classe capitaliste oligarchique qui tire des revenus énormes des ressources naturelles, de la privatisation des services publics et de l’infrastructure dont le pays dispose encore depuis l’ère de l’Union soviétique. L’idéologie nationaliste et militariste avec les aspirations au retour à la grandeur géopolitique de l’Union Soviétique ainsi que l’homophobie et le sexisme institutionnalisés et renforcés par l’Etat permettent de prétendre qu’il existe une Russie unie, autour des valeurs culturelles, sexuelles et religieuses profondément réactionnaires.

La politique de l’Etat russe cherchant à éliminer les personnes LGBT de l’espace public comme un élément éminemment étranger et « Occidental », à renforcer la division sexuelle entre les hommes et les femmes (montrant les hommes et les femmes presque comme deux espèces différentes, justifiant la division genrée du travail et les mécanismes sexistes…) et à mettre en avant la famille hétérosexuelle traditionnelle sert également deux objectifs supplémentaires. Les personnes homosexuelles et trans sortent du parcours classique « des hommes » et « des femmes » hétérosexuels prédestinés à fonder une cellule familiale et à se reproduire en élevant de futurs travailleurs. Cela est inacceptable pour les objectifs du régime qui combat la baisse démographique importante dans la société russe par divers programmes d’aides à la maternité depuis des années. Evidemment, dans les conditions de la guerre avec les nombreux morts au front et l’émigration des classes moyennes à l’étranger, la situation démographique est pire que jamais. Le combat culturel et politique contre les personnes LGBT permet dans la logique du régime (mais pas dans les faits) l’extension des politiques natalistes et des potentielles améliorations démographiques.

Le renforcement de la division sexuelle entre « les hommes » et « les femmes » comportant avec lui tout un tas d’attentes genrées traditionnelles et éminemment réactionnaires permet également de justifier la conscription militaire de plus en plus large des hommes ou plutôt des personnes comportant la mention “M” dans leur passeport, ce qui peut également inclure des femmes trans n’ayant pas changé leurs documents civils ou des hommes trans ayant au contraire fini leur transition administrative. Actuellement, toutes les personnes assignées hommes à la naissance doivent faire un service militaire obligatoire, cette obligation s’étendait jusqu’à très récemment de 18 à 27 ans mais sera élevée jusqu’à 30 ans. Une société de plus en plus militarisée où des hommes russes vont à la guerre et utilisent le viol contre les femmes et les enfants ukrainiens comme une arme de guerre et les femmes russes restent à la maison et élèvent des enfants, de futurs soldats ou mères à leur tour : c’est le modèle national de Poutine pour les prochaines années.

L’illusion du chemin vers une démocratie progressiste garante des droits LGBT en Ukraine

En Ukraine, la convention d’Istanbul sur les droits des femmes et la violence domestique (qui comporte également des parties sur l’égalité qui peuvent servir à la défense légale des personnes LGBT) a été ratifiée en juillet dernier. Cette adoption de la convention, mais aussi notamment une récente pétition en faveur du mariage entre personnes de même sexe qui a réuni plus de 25.000 signatures, font partie des arguments avancés par les militants LGBT qui espèrent y voir un changement de l’attitude du gouvernement et de la population ukrainienne envers les droits LGBT.

Svyatoslav Sheremet, un activiste LGBT ukrainien interviewé par le Washington Post, explique : « Cela peut sembler fou, mais la guerre va nous aider ». C’est aussi l’axe de l’article de Mathilde Goanec pour Mediapart titré : « Ukraine : la guerre, « un puissant accélérateur » pour les droits LGBT+ », également une citation d’un militant LGBT ukrainien. Ces activistes, mais aussi plusieurs organismes gouvernementaux des pays de l’OTAN ainsi que des ONG et des médias, s’appuient sur deux volets pour soutenir que la guerre contre la Russie pourrait favoriser l’avancée des droits LGBT en Ukraine.

Premièrement, le sentiment antirusse et la possible volonté d’aller contre la propagande anti-LGBT de Poutine. « De cette guerre, si l’on peut dire, sort quelque chose de bon : les Ukrainiens préfèrent encore la russophobie à l’homophobie… », explique ainsi Edward Reese, un autre militant LGBT interviewé par Mediapart. Le raisonnement est celui de l’union nationale ukrainienne, qui serait capable d’unir les personnes LGBT qui pourraient dépasser leur marginalisation en combattant aux côtés du reste de l’armée ukrainienne, y compris de ses composantes les plus conservatrices. Deuxièmement, l’Union européenne que l’Ukraine espère rejoindre. En effet, l’adhésion à l’UE est soumise notamment à des critères en termes de loi anti-discriminations, y compris sur les discriminations anti-LGBT.

La réponse du gouvernement Zelensky reste cependant éloignée de ces aspirations sur le terrain légal. CNN rapporte la réponse de Zelensky (disponible sur le site du gouvernement ukrainien) à la pétition concernant le mariage pour les couples homosexuels : « Le code de la famille de l’Ukraine définit la famille comme l’unité primaire et principale de la société. Une famille se compose de personnes qui vivent ensemble, sont liées par une vie commune, ont des droits et des obligations mutuels. Selon la Constitution ukrainienne, le mariage est fondé sur le libre consentement d’une femme et d’un homme (article 51). » Ce Code de la Famille fait partie de la Constitution ukrainienne, et, comme l’explique plus loin Zelensky, « la Constitution de l’Ukraine ne peut être modifiée pendant une loi martiale ou un état d’urgence (article 157 de la Constitution de l’Ukraine) », ce qui reste le cas durant la guerre.

Dans la même déclaration, Zelensky tente cependant de rassurer en parole les composantes progressistes qui se positionnaient en faveur du mariage gay, et surtout de garder la porte ouverte à des lois anti-discrimination dans le cadre de la candidature de l’Ukraine pour son entrée dans l’Union Européenne : « Dans le monde moderne, le niveau de la société démocratique se mesure, entre autres, par la politique de l’État visant à garantir l’égalité des droits de tous les citoyens. Chaque citoyen est une partie inséparable de la société civile, il a droit à tous les droits et libertés inscrits dans la Constitution de l’Ukraine. »

Totchka Opori, membre du récent conseil consultatif du Défenseur des droits auprès du Parlement ukrainien, souligne cette ligne fine sur laquelle marchent les différentes composantes du gouvernement ukrainien auprès de Mediapart. Il explique que le parti présidentiel (Serviteur du Peuple), tout comme celui de son opposant Petro Porochenko « peuvent soutenir un jour des propositions de loi condamnant la « propagande homosexuelle » et un autre jour des textes clairement progressistes pour les droits de la communauté LGBT+. » Une ambigüité soulignée par certaines déclarations de membres du gouvernement ukrainien, comme l’ex conseiller de Zelensky Alexey Arestovitch qui ne se cache ainsi pas de son homophobie ni de sa transphobie, et affirme que si « les LGBT sont des personnes déviantes », il veut « les traiter avec compassion » tout en maintenant son opposition à « la propagande LGBT ».

Le gouvernement Zelensky soutenu par l’OTAN : un garant des droits démocratiques en Ukraine ?

Au-delà de ces contradictions, à l’international, les pays impérialistes de l’OTAN cherchent à faire de Zelensky la figure d’un homme d’Etat courageux résistant à l’invasion russe, et le garant d’une Ukraine qui chemine vers un devenir de démocratie libérale avec des aspirations démocratiques et progressistes, parmi lesquelles figurent les droits LGBT. Une image qui contraste avec la réalité du projet politique du gouvernement ukrainien soutenu par l’OTAN.

Un exemple notoire : le parlement ukrainien, la Rada, a institutionnalisé en 2018 la célébration de l’anniversaire de Stepan Bandera, un nationaliste ukrainien ayant collaboré avec le régime Nazi et dont l’organisation d’inspiration fasciste (l’OUN-B) a organisé des pogroms des juifs et des polonais en Ukraine. Dans la composition de Rada à l’époque, c’est le parti d’extrême-droite le Front populaire qui avait le plus grand nombre de députés, mais les élections législatives de 2019 remportées par le parti de Zelensky (le Serviteur du peuple) n’ont pas changé la donne : la fête qui met des milliers de personnes dans la rue le 1 janvier avec des flambeaux et des insignes d’extrême-droite est restée officielle.

En 2023, dans le contexte de la guerre, cette célébration installe par exemple un malaise diplomatique entre l’Ukraine et la Pologne qui fournit un soutien militaire important à son voisin. Le tweet de la Rada faisant un hommage élogieux à Bandera avec une photo de Valerii Zaluzhnyi, le chef des forces militaires ukrainiennes, sous le portrait du nationaliste, a été vivement critiqué par la classe politique polonaise indignée également par la rhétorique négationniste du vice-ministre des affaires étrangères Andriy Melnyk quant aux massacres des forces de Bandera à l’égard des Polonais et des Juifs.

Si le culte de personnalité de Bandera en Ukraine est instrumentalisé par le régime de Poutine pour assimiler toute la nation ukrainienne aux « néo-Nazis » qu’il faudrait « dénazifier » (un élément important dans la rhétorique justifiant l’invasion russe), de l’autre côté les médias libéraux tentent de “décrypter” la figure de Bandera en minimisant ou en niant son caractère ultra réactionnaire. Pourtant, il n’y a aucune ambiguïté : la célébration officielle de l’anniversaire de Bandera et l’utilisation des drapeaux en rouge et noir de son organisation l’UPA (la branche armée de l’OUN-B qui a massacré entre 70 et 100 mille polonais entre 1943 et 1944) témoignent d’une montée du nationalisme en Ukraine et de son instrumentalisation par l’Etat. Cette flambée nationaliste permet également de favoriser l’alignement de la classe ouvrière derrière la bourgeoisie dans le combat pour « la défense et la libération de la patrie ». Cette lutte sous la direction des oligarques ukrainiens devient en réalité la soumission de l’Ukraine aux puissances impérialistes de l’OTAN, rien à voir avec une véritable libération nationale.

Sur le terrain des droits démocratiques, dont l’OTAN et le gouvernement de Zelensky voudraient apparaître comme les garants, la réalité est également toute autre avec la loi martiale utilisée pour mener des offensives contre la liberté de la presse et le droit du travail.

En effet, en août dernier le gouvernement de Zelensky a signé une loi anti-syndicats interdisant aux travailleurs dans les entreprises ayant moins de 250 travailleurs de rejoindre des syndicats ou d’avoir des négociations collectives avec leurs employeurs. La loi permet également aux entreprises d’augmenter la durée de travail à 60 heures par semaine et ne pas respecter les règles du code du travail : il n’est plus interdit aux employeurs de faire travailler les jours de fêtes ou les jours de repos, il n’est plus obligatoire de rémunérer des heures supplémentaires, entre autres. D’autres attaques sur le droit du travail permettent aux entreprises de suspendre temporairement les conventions collectives et de suspendre le contrat de travail.

En 2020, Kyiv Independent rapportait une tentative de la censure du film documentaire « Offshore 95 » sur les entreprises offshore de Volodymyr Zelensky qui ont figuré dans les Pandora Papers et dont les profits passaient par la société écran de sa femme Olena Zelensky. Selon le média Ukrainska Pravda, le cinéma où était censée avoir lieu la première du documentaire avait reçu un appel de la part du Service de sécurité de l’Ukraine (SBU) avec des menaces de « problèmes » si la première n’était pas annulée. Après que le cinéma a annulé la première sous des motifs fallacieux, il a fallu une mobilisation dans les médias et sur les réseaux sociaux pour restaurer la projection du film.

Fin 2022, le gouvernement de Zelensky a signé une loi permettant la fermeture des médias sans procès. Une loi que le Syndicat national des journalistes en Ukraine a traité « de la plus grande menace à la liberté de parole de toute l’histoire de l’Ukraine indépendante ». La Fédération européenne des journalistes constate : « La loi donne des pouvoirs de réguler arbitraires et disproportionnés au régulateur national, le Conseil national de radiodiffusion, qui n’aurait non seulement le contrôle sur les médias audiovisuels, mais aussi sur la presse écrite et numérique ». Les membres du Conseil national de radiodiffusion sont, par ailleurs, nommés par Volodymyr Zelensky lui-même et par le Parlement où son parti, le Serviteur du peuple, détient une majorité.

Avec ses attaques incessantes sur le droit du travail et sur la liberté de la presse, surtout quand elle vise à informer sur ses entreprises offshore, Zelensky se situe donc très loin du récit d’un gardien de la démocratie qui incarne par sa figure l’esprit ukrainien de la résistance à l’invasion russe. On peut également douter de la volonté du gouvernement ukrainien de soutenir les droits démocratiques LGBT alors qu’il attaque le reste des droits démocratiques. Les récits simplistes de « la démocratie contre la dictature » et « le progrès européen contre la réaction russe » mobilisés par les journalistes des grands quotidiens empêchent de voir la réalité politique du pays dont le gouvernement profite de la loi martiale pour asseoir son pouvoir et pour saper toujours plus les conditions de vie de la classe ouvrière.

La possibilité d’avancée des droits démocratiques tels que le mariage gay ou des lois anti-discrimination que sous-entend le gouvernement de Zelensky devant la population et les médias occidentaux n’a pour le moment pas non plus d’horizon concret. Mais même si elle se réalisait, cette possible égalité devant la loi ne garantirait en rien une égalité dans la vie alors même que les attaques sur le droit du travail empirent les conditions de vie des couches les plus précaires de la population, dont font partie les LGBT.

L’effort de guerre en Ukraine : un outil d’émancipation pour les personnes LGBT ?

Lenny Emson, l’une des organisatrices de la Pride de Kyiv, explique au Washington Post que les organisations LGBT ukrainiennes avaient constaté une augmentation des agressions des personnes LGBT par la police avant le début de la guerre. Transgender Europe avait également identifié plus largement les arrestations arbitraires, le chantage et les menaces de la part des forces de l’ordre comme l’une des menaces courantes qui visent les personnes LGBT en Ukraine.

Au-delà de la police, l’ONG LGBT Sphère décrit à Amnesty une autre menace qui pèse sur les individus et les organisations LGBT en Ukraine : les groupes d’extrême droite. « Ordre et Tradition », « Freikor »... Les militants de Sphère énumèrent les groupes fascistes ou fascisants qui ont mené des actions revendiquées contre les Pride, contre les locaux ou les activités d’organisations LGBT. Amnesty décrit l’un de ces groupes comme « Chrétien. Anti-Roms. Antirusses. Homophobe. Mais surtout, violent, armé, et entraîné au combat. L’un de ses chefs, Ivan Pilipchuk, poste en ligne des photos de Mein Kampf et de lui effectuant le salut nazi. » Yakiv, un militant, raconte une de ces agressions en 2017 : « Ils nous encerclent, nous traitent de pédés pervers et nous crachent dessus. Un gars me cogne à la mâchoire »

Certaines organisations et individus LGBT pensent que le sentiment antirusse et le projet d’union nationale autour de la guerre, ainsi qu’un rapprochement avec les pays de l’OTAN, joue en la faveur des personnes LGBT. C’est ce qu’exprime Arthur Ozerov, un fonctionnaire d’Etat gay, à CNN : « Les attaques de la Russie, dont les lois ostracisent la communauté LGBTQ+, ont fait prendre conscience à de nombreux Ukrainiens qu’ils veulent soutenir les valeurs européennes qui favorisent l’inclusion et l’égalité. » Mais il explique aussi un autre facteur qui, selon lui, jouerait en la faveur d’une plus grande acceptation des personnes LGBT par la majorité en Ukraine : le fait que de plus en plus de soldats, ou d’Ukrainiens participants à l’effort de guerre, commencent à se revendiquer publiquement comme LGBT.

Le phénomène du « bataillon licorne » remarqué sur les réseaux sociaux est emblématique de ces personnes LGBT qui pensent que la participation à l’union nationale et à l’effort de guerre, et que des personnes LGBT fassent partie des soldats en première ligne, facilitera leur inclusion dans la société ukrainienne. Des militaires, gays, lesbiennes, bi ou trans s’affichent ainsi publiquement sur les réseaux sociaux en treillis, avec un écusson en forme de licorne, souvent associée à la communauté LGBT.

En deuxième ligne également, des civils LGBT revendiquent l’armée comme leur principale alliée en quête de la conquête de leurs droits et d’un changement des mentalités. Certains s’engagent avec ce but dans des actions de soutien aux soldats, des collectes de fonds ou de matériel. L’association Queer Lab a par exemple fondé une coopérative pour créer des emplois destinés aux personnes LGBT, et dont 50% des profits sont envoyés à ZSU, l’armée ukrainienne. Un volontaire d’une autre association témoigne également dans Mediapart : « J’apportais du matériel à nos soldats, dont plusieurs paires de lunettes de vision nocturne, qui coûtent une fortune. Les gars étaient comme des fous, c’étaient les premières qu’ils avaient entre les mains. J’ai dit, à dessein : « Ce matériel a été collecté par les volontaires LGBT+. Vous en voulez quand même ? » Les soldats étaient interloqués, mais ils ont gardé les lunettes ! »

Mais au-delà des souffrances liées à la situation de guerre, comme le manque de médicaments, les pénuries etc… dont sont victimes en particulier les personnes trans (qui peuvent avoir déjà des difficultés préalables à avoir accès à des soins qui leur sont nécessaires comme des traitements hormonaux ou des opérations chirurgicales), la loi martiale en vigueur en Ukraine depuis le début de la guerre a également un impact profond sur les personnes LGBT.

Cette loi stipule que les hommes entre 18 et 60 ans n’ont pas le droit de quitter l’Ukraine. Environ 12 000 hommes conscrits ont tenté de quitter illégalement l’Ukraine après l’imposition de la loi martiale, et le service national des frontières en Ukraine a rapporté que 15 d’entre eux sont morts en essayant de quitter le pays. Le Commissaire aux droits humains de l’Union Européenne fait également état dans un rapport que certaines personnes trans et intersexes étaient en difficulté pour quitter le pays, notamment des femmes trans bloquées à la frontière car elles n’avaient pas eu la possibilité de changer la mention de sexe sur leur passeport. Une situation qu’il est difficile de dénoncer si, comme certains le revendiquent, les personnes LGBT se doivent de participer pleinement à l’union nationale et l’effort de guerre pour conquérir une place dans la société.

L’adhésion acritique à l’union nationale plébiscitée par le gouvernement ukrainien efface également un des combats contre ceux qui étaient les premiers ennemis des personnes LGBT avant la guerre, et qui le resteront après : l’extrême droite. Au nom de l’effort de guerre ukrainien, certaines organisations LGBT ukrainiennes revendiquent un soutien indiscriminé voire des alliances avec les composantes conservatrices, voire réactionnaires ou activement fascistes, des forces armées ukrainiennes.

Taras Karasiichuk, un activiste LGBT proéminent en Ukraine, revendique par exemple auprès du Washington Post d’avoir réuni des fonds pour le régiment Azov, un bataillon indépendant paramilitaire composé de volontaires d’extrême-droite, dont certains sont affiliés avec des néo-nazis. « Tout le bataillon sait qu’ils ont reçu de l’argent de la part ‘des gays’, et ça ne les dérange pas. Je me dis que s’ils peuvent organiser une résistance réussie contre la Russie, c’est bien », explique-t-il. « Cela peut choquer l’activiste libéral occidental typique, mais lorsque vous êtes témoin d’une guerre, vos valeurs changent. Vous réalisez que vos racines sont dans une nation et qu’en avoir une forte est très important. »

Parmi ceux qui considèrent que participer à la construction d’une grande nation ukrainienne unie est ce qui permettra la conquête de droits et la liberté sexuelle en Ukraine, en pensant effacer les divergences entre les intérêts des personnes LGBT et ceux de l’extrême-droite la plus réactionnaire, est également l’association UKRAINEPRIDE. Dans les premiers jours après l’invasion russe le 24 février en Ukraine, UKRAINEPRIDE avait organisé une collecte de fonds à destination de l’armée… et notamment du régiment Azov. LGBTQ Nation rapporte que le régiment, qui s’attendait à être « cancel » par une organisation LGBT, a été surpris de recevoir un don de 10.000$ de sa part. Sofia Lapina, une ancienne organisatrice de la Pride de Kyiv et militante d’UKRAINEPRIDE, justifie cette alliance de cette manière à Vogue Ukraine : « Notre mission n’est pas de diviser, mais d’unir. De même, la communication, les partenariats ou le dialogue avec les conservateurs ne sont pas un problème pour nous, car la démocratie est la coexistence de tous les points de vue, à condition qu’aucun d’entre eux ne restreigne les droits des autres et ne conduise à la violence… ».

Cependant, ce sont là des illusions. L’extrême-droite ukrainienne et même les composants de la droite conservatrice ukrainienne plus « modérées » n’ont en réalité pas grande chose à envier à la politique réactionnaire et profondément anti-LGBT de Poutine et son régime. Les besoins de la guerre peuvent créer parfois des situations exceptionnelles comme celles que nous avons décrites ici. Mais cette « bienveillance » de la part des milices d’extrême-droite à l’égard des personnes LGBT va très rapidement se retourner, dès que la guerre perdra en intensité. Les personnes LGBT et leurs organisations ne peuvent pas non plus faire confiance à Zelensky. Le rapprochement de l’OTAN et de l’Union Européenne n’est en rien une garantie pour les droits LGBT, comme la Pologne, la Hongrie et bien d’autres Etats membres de l’UE le montrent. Si l’extrême-droite sort renforcée par son rôle dans la guerre, il est plus que probable que Zelensky doive lui faire des concessions, et les droits des personnes LGBT (ainsi que ceux des femmes) en feront sans doute partie de ces concessions. Pour nous, les personnes LGBT et leurs organisations devraient chercher des alliés du côté de la classe ouvrière, des autres secteurs opprimés de la société, de la jeunesse spécifiquement exposée aux drames de la guerre. Et cela dans le cadre d’une politique de lutte indépendante contre l’agression russe mais aussi contre l’utilisation réactionnaire de la part des puissances impérialistes de l’OTAN de la lutte du peuple ukrainien, et de son allié local le gouvernement de Zelensky.

 
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