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Racisme et patriarcat

Derrière le « réarmement démographique », un projet nationaliste et xénophobe de contrôle des naissances 

Macron a abordé le thème de la crise de la natalité en souhaitant le « réarmement démographique » de la France. Cette rhétorique guerrière est une menace directe aux droits reproductifs des femmes et des personnes LGBT. Elle est aussi dans la droite lignée de la loi immigration et des politiques racistes mises en place par le gouvernement français.

Maëva Amir

22 janvier

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Derrière le « réarmement démographique », un projet nationaliste et xénophobe de contrôle des naissances

Dans sa conférence de presse du 16 janvier dernier, Macron a abordé le thème de la crise de la natalité, appelant au « réarmement démographique » de la France. Cette rhétorique nataliste de contrôle du ventre des femmes empruntée à l’extrême droite est la première réponse du gouvernement à une baisse historique de la natalité sur deux années consécutives. Elle s’inscrit dans un contexte où la démographie devient un enjeu économique significatif du fait du vieillissement rapide de la force de travail.

Mais c’est une question également politique puisque que la rhétorique du « déclin démographique » de l’Occident est largement utilisée à des fins xénophobes et racistes. En effet, l’extrême droite a depuis longtemps fait du natalisme une réponse au péril du « grand remplacement » : il faudrait limiter drastiquement l’immigration, tout en contrôlant le ventre des femmes afin de relancer les naissances des « nationaux ». Les discours racistes et les politiques xénophobes sont ainsi l’autre face des politiques natalistes. Après avoir appliqué une partie du programme du Rassemblement National avec la loi immigration, Macron continue de paver la voie à des offensives d’ampleur sur ce terrain et à une surenchère de l’extrême-droite.

Politiques de contrôle des naissances et politiques migratoires restrictives : les deux faces d’une même pièce

La concomitance de la sortie nataliste d’Emmanuel Macron avec le passage de la loi immigration n’est pas due au hasard, elles sont les deux faces d’une même pièce dans la politique réactionnaire du gouvernement. En clair, d’un côté l’État renforce les frontières et cherche à limiter toujours plus l’immigration, de l’autre il encourage la natalité des nationaux car il ne faudrait pas que le patronat manque de main d’œuvre exploitable à peu de frais. La relance de la machine démographique en France se présente en fait comme une solution pour produire des travailleur·ses « made in France », complétée par une loi immigration qui vise à limiter l’entrée de couches entières de travailleurs immigrés (tout en continuant à profiter d’une immigration dite « choisie » strictement économique et dirigée vers des secteurs déficitaires en main d’œuvre).

C’est d’ailleurs toute la logique que décrit le porte-parole du Rassemblement National, Sébastien Chenu, quand il expliquait au micro de France Inter au moment du mouvement contre la réforme des retraites au printemps dernier « je préfère que l’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe ». Il s’agit en effet d’un thème dont les extrême-droites européennes se sont saisies depuis longtemps avec leur théorie du « grand remplacement » qui fait de la forte natalité prétendue des familles immigrées et issues de l’immigration une menace face au déclin de natalité des familles blanches, celles qui seraient authentiquement « européennes ». En ce sens, le dernier sommet démographique en septembre dernier à Budapest organisé par le dirigeant hongrois Viktor Orban réunissait sur ce même thème des personnalités politiques et des intellectuels réactionnaires. Il est devenu un rendez-vous majeur pour l’extrême-droite européenne pour débattre du « déclin démographique » de « l’Occident » et des mesures réactionnaires à prendre pour encourager la natalité dans les familles blanches.

Une des mesures phares de la loi immigration votée en décembre dernier est la remise en cause de l’automaticité du droit du sol en France hexagonale pour les enfants nés de parents étrangers. Ils et elles devront désormais demander la nationalité française à leur 16 ou 18 ans[1]. Une mesure qui est encore plus restrictive dans les territoires dits d’outre-mer. Rappelons qu’avec cette loi, en Guyane l’obtention de la nationalité française pour un enfant ne sera possible que si les deux parents ont résidé de manière régulière sur le territoire depuis neuf mois. À Mayotte, il faudra que les deux parents (et non plus un seul) aient habité en situation régulière pendant au moins un an sur le territoire.

Ces mesures entérinent une forme de hiérarchisation des naissances « souhaitables » entre les enfants nés de parents étrangers et ceux nés de parents français (préférablement blancs). Cela entretient également le fantasme raciste de « la femme immigrée enceinte » qui viendrait sur le territoire français pour accoucher et obtenir des papiers, la rendant responsable dans le même temps du débordement des services de maternité pourtant dû à la casse du service public organisé par les gouvernement successifs

Par ailleurs, les politiques de fermetures des frontières et de l’Europe forteresse sont très liées à cette urgence du « réarmement démographique » puisqu’elles s’accompagnent d’un discours fantasmé autour d’une Afrique (et d’une Asie) surpeuplée qui irriguerait l’Europe d’un flux migratoire totalement incontrôlé menaçant l’existence d’une population européenne pensée essentiellement comme blanche. Contrôler les naissances en Afrique, fermer les frontières et relancer la machine démographique en Europe seraient parmi les moyens de maintenir la domination économique et politique des puissances impérialistes occidentales dans une période de crise importante pour ces dernières. Comme l’écrit Saïd Bouamama dans son ouvrage Des classes dangereuses à l’ennemi intérieur, « le grand remplacement est ainsi une actualisation des théories du déclin qui ont accompagné les rivalités entre puissance capitalistes. »

Ces thèses et ces politiques ne sont donc pas seulement l’apanage de l’extrême droite. Un exemple parlant n’est autre que celui d’Alfred Sauvy, économiste et technocrate français qui a conseillé la classe politique française et traversé les régimes. Tour à tour conseiller économique de Léon Blum et de Daladier dans les années 30, il devient conseiller économique sous le régime collaborationniste de Vichy, conseillera le général De Gaulle et fondera l’Institut National d’Études Démographiques (INED) en 1945. Ardent défenseur des politiques natalistes, Sauvy prône également un seuil migratoire à ne pas dépasser et une non-assimilabilité de certains immigrés. Idée que De Gaulle résumera ainsi : « C’est très bien qu’il y ait des français jaunes, des français noirs, des français bruns […] mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes avant tout un peuple européen de race blanche ».

Procréer ici, stériliser là-bas

Ce discours du « réarmement démographique » à échelle nationale contraste nettement avec les discours et politiques menées depuis plusieurs années dans certains territoires dits d’Outre-mer et notamment à Mayotte. Le 24 mars dernier, un mois avant le lancement de l’opération Wuambushu, le directeur de l’Agence régionale de santé de Mayotte, Olivier Brahic annonçait vouloir proposer aux jeunes mères mahoraises une « stérilisation ». Cette « proposition » s’inscrivait dans le cadre d’un plan d’action plus large pour la maîtrise de la natalité à Mayotte faisant passer ces stérilisations pour une campagne de santé publique. Dans le même temps, en France hexagone les personnes qui souhaitent se faire ligaturer les trompes doivent souvent passer par un parcours du combattant.

Avec plus de 4% par an Mayotte est le département français avec de loin la croissance démographique la plus rapide. Cette croissance est considérée comme dangereuse et responsable des difficultés économiques et structurelles de l’île. Gérald Darmanin s’exprimait clairement à ce sujet en avril dernier : « la démographie à Mayotte fait que tous les services publics dysfonctionnent. » Ainsi, pour gérer ce « péril démographique » l’État français, celui-là même qui souhaite le « réarmement démographique » en hexagone, applique en même temps dans les miettes de son empire des politiques de contrôle des naissances.

Si cela peut paraitre contradictoire, c’est en fait complémentaire. Ces politiques illustrent une nouvelle fois le régime d’exception réservé aux territoires ultra-marins et l’hypocrisie raciste de la rhétorique du « réarmement démographique » de Macron. Toutes les fécondités ne sont pas souhaitables. Emmanuel Macron s’était d’ailleurs assez clairement exprimé à ce sujet en 2017 lors d’une visite au Nigeria déclarant au sujet de la démographie dans certains pays africains : « Quand vous êtes un pays pauvre où vous laissez la démographie galopante, vous avez sept ou huit enfants par femme, vous ne sortez jamais de la pauvreté ». Il poursuivait son mépris colonial à Ouagadougou la même année : « Il y a dans mon pays des familles qui ont fait ce choix, où il y a sept, huit, neuf enfants par femme. Je veux être sûr que partout en Afrique ce soit bien le choix de ces femmes. »

Derrière cette pseudo-rhétorique du choix se cache mal une rhétorique raciste qui veut faire des femmes africaines des irresponsables qui feraient trop d’enfants et appelle en dernier instance à contrôler leurs corps en réduisant leur nombre d’enfants. Tout cela s’inscrit dans une longue histoire des politiques natalistes qui se sont toujours accompagnées d’un pendant raciste et xénophobe contre les populations jugées indésirables par les États impérialistes. Ce fut le cas aux Etats-Unis avec de très nombreuses stérilisations forcées de femmes noires jusque dans les années 1970 et même encore aujourd’hui sur des femmes migrantes dans des centres de détention. Mais également en France dans les années 60 à La Réunion où Michel Debré mettait en place une politique féroce de stérilisation et d’avortements massifs pour contrer la « surpopulation » de l’île. Alors qu’en hexagone, l’IVG était illégale cet exemple illustre comment la gestion des populations colonisées passe par un contrôle féroce du corps des femmes au nom du « contrôle démographique » ou de la « pureté ethnique ».

Finalement, le discours de Macron du « réarmement démographique » est une menace directe pour les droits reproductifs de toutes les femmes et l’annonce d’un contrôle de leurs corps, qu’elles soient françaises ou immigrées, blanches ou racisées. Il masque mal une rhétorique nationaliste et xénophobe, qui dans le contexte du passage de la loi immigration, vise à relancer la natalité des nationaux et à restreindre celle des indésirables. Un véritable droit des femmes à disposer de leurs corps implique une lutte sans merci contre les politiques migratoires racistes à commencer par la dernière loi immigration, ses exceptions coloniales et plus en général contre l’impérialisme. Il est nécessaire que les militant·es féministes et antiracistes rassemblent leur force pour construire, aux côtés du mouvement ouvrier capable de bloquer l’économie, une riposte d’ensemble contre les projets réactionnaires du gouvernement.


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