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Grève à Hollywood

Emmy Awards reportés : pourquoi Hollywood fait face à une grève historique ?

La célèbre cérémonie américaine, initialement prévue le 18 septembre, vient d’être annulée en raison du mouvement de grève qui secoue l’industrie du cinéma. Retour sur les raisons de la colère et l’écho d’une grève hors du commun.

Olga Hagen

28 juillet 2023

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Emmy Awards reportés : pourquoi Hollywood fait face à une grève historique ?

Crédits photo : ChrisGoldNY

La première grève de cette ampleur à Hollywood depuis 1960

Ça n’était pas arrivé depuis 63 ans. Et pourtant : depuis deux semaines maintenant, acteurs et scénaristes hollywoodiens sont en grève pour leurs salaires, entrainant la mise à l’arrêt de toutes les productions cinématographiques et télévisuelles américaines, à quelques exceptions près.

Tout commence le 2 mai 2023. 11 500 scénaristes entament une grève pour la première fois depuis 2007, à l’initiative des syndicats de Writers Guild of America (WGA). Au départ : des revendications pour les salaires et face à la menace de l’intelligence artificielle sur l’avenir des travailleurs.

Le 13 juillet 2023, les acteurs entrent eux aussi dans la danse. Ce ne sont pas moins 160 000 acteurs qui débrayent, pour une grève votée à 98%. Si la menace que la grève des scénaristes s’étende chez les acteurs planait dans le contexte des négociations infructueuses avec l’AMPTP (l’alliance des principaux studios et plateformes de streaming), c’est Fran Drescher - connue pour avoir endossé le rôle de Fran Fine dans Une nounou d’enfer -, aujourd’hui présidente du syndicat SAG-AFTRA qui sonne le coup d’envoi avec un discours marquant à Los Angeles :

Ce qui nous arrive se passe dans tous les secteurs du travail, partout à travers le monde. Les patrons font de Wall Street et de la cupidité leur priorité. Ils oublient les contributeurs essentiels qui font fonctionner la machine. [Ils] organisent la pauvreté. Les studios disent perdre de l’argent à gauche et à droite alors qu’ils donnent des centaines de millions de dollars à leurs PDG. C’est dégoûtant. Honte à eux. Ils sont du mauvais côté de l’histoire en ce moment même. Nous sommes solidaires. Et nous construisons unité sans précédent. (sic)

Depuis, la majorité des tournages s’est arrêtée net. Il en va de même pour la promotion. Le Manoir hanté de Disney a vu son tapis rouge déserté. À Londres, Christopher Nolan s’est retrouvé seul pour l’avant-première d’Oppenheimer après que Cillian Murphy, Emily Blunt, Florence Pugh et Matt Damon aient quitté les lieux pour rejoindre les piquets à l’annonce de la grève. Le réalisateur a également tenu à adresser son soutien aux grévistes : « C’est très important que tout le monde comprenne. […] On parle ici du travail des acteurs, et des auteurs qui travaillent sur les productions télé, qui essaient d’élever une famille et de remplir leur frigo. »

Aujourd’hui, ce sont les Emmy Awards qui sont annulés, ce qui n’était pas arrivé depuis les attentats du 11 septembre 2001. Aucune nouvelle date n’a encore été décidée pour le moment.

Quand la précarité est masquée par les paillettes hollywoodiennes

Cette grève vient dénoncer plusieurs problèmes. D’abord, les salaires, qui diminuent en même temps qu’augmente le coût de la vie alors qu’en 2022, l’inflation était de 8 % aux États-Unis.

« Les gens qui ne sont pas dans cette industrie, et même certains qui le sont, surestiment largement l’argent que gagnent les acteurs - on suppose que si l’on voit quelqu’un à la télévision, c’est qu’il doit être riche. Je connais beaucoup de personnes de mon niveau qui prennent un deuxième emploi » dénonce en ce sens l’actrice Rebecca Metz auprès de France Info, qui a notamment joué des seconds rôles dans Shameless ou Better Things. D’après elle, gagner sa vie est devenu « extrêmement difficile ».

Holt McCallany, acteur principal de la série Mindhunter, déclare dans la même veine :

Ce n’est pas une grève de millionnaires. 88 % des 160 000 membres de la SAG-Aftra ne gagnent même pas les 26 000 dollars par an nécessaires pour avoir droit à une assurance-maladie. Ils ont des familles et ont absolument besoin d’atteindre ce seuil de revenus. À côté d’eux, oui, il y a les grandes stars qui voyagent en jet privé, mais elles nous soutiennent et c’est crucial pour le mouvement.

Autre enjeu économique, celui des « droits résiduels ». Ces revenus sont perçus par les artistes lorsqu’un film est réutilisé sur un autre support : TV, DVD, VOD, ou… Streaming. Si les profits des plateformes de streaming ont explosé depuis le Covid, celles-ci maintiennent un flou conscient sur leurs audiences et sur les gains qu’elles amassent, créant une situation où les scénaristes et les acteurs ne touchent pratiquement aucun droit sur la diffusion des œuvres pour lesquelles ils ont travaillé. Or alors que le statut d’intermittent n’existe pas aux États-Unis, ce sont précisément ces revenus qui leur permettent de subsister en dehors de leurs périodes d’activité.

« Derrière l’aura de quelques stars grassement recrutées, les pratiques de Netflix and co ont ainsi favorisé l’émergence d’un prolétariat d’acteurs qui non seulement ont un petit cachet de base, mais qui en plus ne touchent quasiment plus de revenus additionnels » explique Télérama.

Dernier facteur enfin, la multiplication des intelligences artificielles. Génératrices de scénarios, de voix, d’images de synthèse… Si les résultats sont encore peu probants, il faut s’attendre à ce que cette nouvelle technologie bouleverse le monde du cinéma dans les années à venir. « L’intelligence artificielle va changer nos vies de façon encore plus fondamentale qu’Internet », estime Holt McCallany, acteur principal dans la série Mindhunter. « Nous ne sommes qu’au début de cette révolution. Et il est hors de question que les studios scannent mon apparence et ma voix pour les utiliser comme bon leur semble sans m’en informer ni me compenser financièrement. »

Face aux grévistes, le mépris des barons

Les grévistes revendiquent donc 19% d’augmentation du salaire minimum, un intéressement sur les succès des plateformes de streaming qui passe par la transparence de celles-ci sur leurs profits, et un encadrement légal strict de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Des revendications que Robert Iger, le PDG de Disney, a d’emblée qualifiées d’« irréalistes ».

L’AMPTP [Alliance of Motion Picture and Television Producers, sorte de groupement d’employeurs de l’industrie hollywoodienne, ndlr] opterait en fait pour la stratégie du pourrissement. « Le but est de laisser traîner les choses jusqu’à ce que les membres du syndicat commencent à perdre leurs appartements et leurs maisons », a déclaré un cadre du studio au media Deadline. Plusieurs autres sources auraient confirmé la véracité de cette déclaration.

Enfin, Le Point raconte que « Quant au studio NBC Universal, il n’a quant à lui rien trouvé de mieux que de faire élaguer les arbres bordant son trottoir, privant d’ombre les manifestants à plus de 30 °C... La hache de guerre est donc bel et bien déterrée, et pour longtemps. »

Bryan Cranston, Fran Drescher, Daniel Radcliffe : les stars du cinéma se mettent à la grève

Lors d’un rassemblement à Times Square ce mardi 25 juillet, c’est Bryan Cranston, interprète du fameux Walter White de l’emblématique série Breaking Bad ou encore du père de Malcolm, qui s’est exprimé publiquement :

Nous avons un message pour Mr Iger [PDG de Disney, ndlr]. Je sais qu’on ne voit pas les choses de la même façon, on ne s’attend pas à ce que vous compreniez qui nous sommes. On vous demande de nous entendre. Et surtout, de nous écouter, notamment quand on vous dit : « Nous n’accepterons pas que nos emplois soient supprimés et remplacés par des robots ! On ne vous laissera pas nous enlever notre droit à travailler pour nous assurer une vie décente ! Et pour finir, le plus important, on ne vous laissera pas nous enlever notre dignité ! »

Le mouvement connait un écho de plus en plus grand. F. Murray Abraham, oscarisé pour son rôle dans Amadeus et connu pour son rôle dans la série Homeland a également pris la parole pour défendre l’importance du syndicalisme.

De grosses têtes d’Hollywood telles que Daniel Radcliffe, Christine Baranski, Chloë Grace Moretz, Steve Buscemi, Brendan Fraser, Christian Slater, ou encore Jessica Chastain ont également été aperçues en manifestation ou sur les piquets de grève. D’autres célébrités ont opté pour des dons telles que Dwayne Johnson, qui a adressé un chèque à sept chiffres au syndicat. Et en plus de toutes ces célébrités, des dizaines de milliers d’« anonymes », d’« invisibles », de seconds rôles, de doubleur·ses, de figurant·es, sans qui l’industrie d’Hollywood ne pourrait pas tourner.

La grève remise au gout du jour dans la première puissance mondiale

L’AMPTP est un ennemi féroce. Il réunit le patronat d’Amazon, Apple, Disney, NBCUniversal, Netflix, Paramount, Sony et Warner Bros Discovery. Mais face à des patrons qui s’organisent, les travailleurs font de même : la convergence entre la grève initiée par le WGA (syndicat des scénaristes) et le SAG-AFTRA (syndicat des acteurs) est un exemple à suivre.

Comme l’écrivent nos camardes de Left Voice : « L’entrée de la SAG dans la grève a énormément renforcée le WGA : en plus de l’extension du blocage des tournages, et donc de l’impact économique, cela envoie un message fort au patronat. Cette grève bénéficie d’un soutien profond et d’autres secteurs se rallieront à leur défense si cela s’avère nécessaire. Cette solidarité n’est pas seulement une source d’inspiration, elle est vitale car elle modifie le rapport de forces en faveur des travailleurs. »

Dans cet esprit, cette solidarité pourrait être poussée vers des secteurs plus précaires encore du cinéma hollywoodien. Les technicien·es, les machinistes, les femmes de ménage… Les principales exigences de la grève actuelle concernent les bas salaires et la manière dont la technologie est utilisée pour attaquer les travailleurs. Des revendications partagées par la quasi-totalité de la classe ouvrière.

Enfin, la grève à Hollywood vient nous montrer une chose : dans la première puissance mondiale que l’on pensait évincée de toute conflictualité de classe, ce que l’on constate depuis des années est précisément l’inverse. En ce moment même, ce sont plus de 340 000 livreurs de l’entreprise UPS qui s’apprêtent à entamer une grève historique. Ce qu’on a appelé la « génération U », cette vague de syndicalisation de la jeunesse étasunienne qui a traversé Amazon ou encore Starbucks, a impulsé tout un phénomène avec elle : une radicalisation qui s’étend au-delà de la jeunesse.


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