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Les enchères sont finies

La Turquie donne son feu vert à l’intégration de la Suède : un nouveau pas dans l’expansion de l’OTAN

Ce lundi, Erdogan a enfin donné son feu vert à l’intégration de la Suède à l’OTAN après avoir obtenu du pays scandinave un nombre de concessions important, permettant ainsi à l’Alliance de faire un nouveau pas dans son expansion. Pour la classe ouvrière et la jeunesse, ce renforcement de la plus grande machine de guerre impérialiste au monde n’augure rien de bon.

Irène Karalis

11 juillet 2023

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La Turquie donne son feu vert à l'intégration de la Suède : un nouveau pas dans l'expansion de l'OTAN

Photo : compte Twitter d’Ulf Kristersson, premier ministre suédois

Ce lundi, à la veille du sommet annuel de l’OTAN, Erdogan a enfin donné son feu vert à l’intégration de la Suède à l’Alliance après avoir fait monter les enchères pendant plus d’un an. En effet, depuis plusieurs mois, le président turc s’était positionné contre cette intégration dans le but d’obtenir le plus de concessions possibles de la part du pays scandinave. Une politique à double tranchant, dans la mesure où s’il avait poussé cette politique encore plus loin, il aurait pu risquer de saboter sa position au sein de l’alliance militaire, dans un contexte où la Turquie, qui, depuis le début de la guerre, a indirectement servi les intérêts de la Russie, est déjà surveillée de près par les puissances occidentales en raison de ses liens avec Moscou et du rôle qu’elles la suspectent d’avoir joué pour aider les compagnies russes à contourner les sanctions occidentales. De ce point de vue, le New York Times résume : « Selon les analystes, la volte-face de M. Erdogan s’explique moins par son changement d’avis que par le fait qu’il a décidé que sa politique de la corde raide lui avait rapporté le maximum qu’il pouvait espérer. »

Pour Erdogan, cette politique aura été fructueuse. Le premier ministre turc a en premier lieu utilisé la candidature de la Suède pour avancer dans son offensive contre les militants kurdes, en particulier le PKK, en lutte contre le gouvernement réactionnaire turc dans le Kurdistan depuis 1984. Pour Erdogan, cette politique d’oppression du peuple kurde a en effet une importance centrale dans le déploiement de la puissance de la Turquie dans la région. La Suède abritant de nombreux militants et une importante communauté kurdes, Erdogan a ainsi exigé d’elle qu’elle fasse passer des mesures répressive contre eux. Une offensive réactionnaire contre le peuple kurde de laquelle la Suède n’a pas hésité à se rendre complice : après avoir livré plusieurs réfugiés kurdes aux autorités turques en juin 2022, le mois dernier, le gouvernement a annoncé qu’il extraderait un homme kurde résidant légalement en Suède, sous-prétexte qu’il aurait commis un crime en lien avec la drogue, quand ce dernier a explicitement affirmé qu’il était poursuivi en raison de son soutien au PKK.

À la fin de la semaine dernière, un tribunal suédois a, dans le même sens, condamné un Kurde à quatre ans et demi de prison pour « tentative de financement du terrorisme » et affirmé qu’il serait expulsé vers la Turquie lorsqu’il aurait fini de purger sa peine. Les déclarations du juge, qui s’est empressé d’affirmer que la candidature de la Suède à l’adhésion à l’OTAN n’avait pas eu d’influence sur sa décision, et d’un procureur suédois, qui a qualifié cette affaire de « pure coïncidence », ne trompent personne : c’est la première fois que les lois antiterroristes suédoises, actualisées en juin dernier sous la volonté du gouvernement de répondre aux demandes de la Turquie, impliquent des militants ou soutiens du PKK. Une offensive qui n’est pas sans lien avec les demandes explicites faites à la Suède par la Turquie d’utiliser ces lois antiterroristes pour cibler les Kurdes soupçonnés d’avoir des liens avec les militants du PKK, et qu’Erdogan s’est assuré d’entériner ce lundi en s’accordant avec le premier ministre suédois pour signer un « nouveau pacte bilatéral de sécurité ». En outre, selon le communiqué commun publié par la Turquie, la Suède et l’OTAN, le pays scandinave s’est engagé à présenter sous peu une « feuille de route qui servira de base à la poursuite de la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes » et à ne pas soutenir d’autres groupes militants kurdes. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a également accepté de créer un nouveau poste de « coordinateur spécial pour la lutte contre le terrorisme » au sein de l’OTAN.

En plus de ces mesures contre le PKK, Erdogan a obtenu d’autres concessions, dont la promesse de renforcer la coopération économique de la Turquie avec la Suède. Par ailleurs, ce long processus de négociation aura également permis au premier ministre turc de remettre sur la table la candidature de la Turquie à l’Union Européenne : plus tôt dans la journée, avant de donner son feu vert à l’intégration de la Suède, Erdogan a ainsi rencontré le président du Conseil européen Charles Michel et affirmé que l’Union Européenne devrait d’abord faire avancer la candidature de son pays à l’Union Européenne avant d’ouvrir les portes de l’OTAN. En ce sens, la Suède a également promis à la Turquie de « soutenir activement les efforts visant à redynamiser » la candidature de la Turquie à l’adhésion à l’UE, dans un accord en sept points avec la Turquie.

En retour, Ankara a promis de tout faire pour que l’intégration de la Suède soit ratifiée au Parlement turc ; une promesse qui ne devrait pas avoir de mal à être tenue, dans la mesure où Erdogan a la majorité au Parlement. Pour la Suède, il s’agit également d’une victoire, dans un contexte où l’opinion publique et les journaux suédois étaient sceptiques sur la capacité du premier ministre à dépasser l’obstacle Erdogan. Le journal suédois Dagens Nyheter avait ainsi écrit quelques jours plus tôt : « compte tenu des récentes déclarations incendiaires du président turc, il est peu probable que le drapeau suédois soit effectivement hissé avec ceux des 31 autres pays de l’Otan. »

Au-delà des accords avec la Suède, la tactique d’Erdogan lui aura également permis d’avancer dans son positionnement au sein de l’OTAN. Cité par la BBC, le journaliste suédois Wolfgang Hansson affirme ainsi que la Suède « a potentiellement été utilisée comme monnaie d’échange dans un jeu beaucoup plus important joué par le dirigeant turc ». Et pour cause : se positionner contre l’intégration de la Suède, après avoir approuvé celle de la Finlande, aura donné une immense tribune à Erdogan sur la scène politique mondiale et une place de choix dans les discussions. Joe Biden s’est ainsi félicité de la décision d’Erdogan, se disant « prêt à travailler avec le président Erdogan et la Turquie sur le renforcement de la défense et de la dissuasion dans la région euro-atlantique » ; des déclarations interprétées comme un feu vert à la vente des avions de chasse F-16 et d’autres armements que la Turquie demandait depuis plusieurs mois.

Cette année de négociations et toutes les difficultés qu’a créées Erdogan pour intégrer la Suède visaient aussi sur un plan intérieur à flatter l’électorat nationaliste, en se positionnant comme un dirigeant incontournable que les Occidentaux sont obligés d’écouter et avec qui ils doivent compter. Pour Erdogan, il s’agissait, à travers ses déclarations fracassantes, de montrer que l’Europe, et plus spécifiquement la Suède, sont aujourd’hui obligées de prendre en considération la Turquie, dans une sorte de retour d’Ankara sur la scène internationale.

Enfin et surtout, il s’agit également d’une victoire pour l’OTAN. « Finaliser l’adhésion de la Suède à l’Otan est une étape historique qui bénéficie à la sécurité de tous les alliés de l’Otan en cette période critique. Elle nous rend tous plus forts et plus en sécurité », explique Jens Stoltenberg. Même son de cloche chez tous les dirigeants des principales puissances impérialistes européennes : l’intégration de la Suède constitue de « bonnes nouvelles » pour la ministre allemande des affaires étrangères et « un moment historique pour l’OTAN qui nous rend plus en sécurité » selon le premier ministre britannique. Catherine Colonna, ministre française des Affaires étrangères, a tweeté dans le même sens : « Je salue l’annonce par la Turquie de son intention de ratifier le protocole d’adhésion de la Suède à l’OTAN et souhaite que cela intervienne au plus vite. »

L’intégration de la Suède intervient dans un contexte de difficultés pour l’armée ukrainienne, des responsables du renseignement américain s’inquiétant notamment de la possibilité que la contre-offensive ukrainienne s’enlise et que Kiev manque de munitions. Dans ce contexte, l’intégration de la Suède permet à l’Alliance de projeter une image d’unité et d’expansion. Le New York Times écrit ainsi : « Le renversement des objections de la Turquie facilitera considérablement la tâche de M. Biden lors du sommet, en supprimant un problème majeur de l’ordre du jour, et lui permettra de dire que Vladimir V. Poutine a obtenu exactement ce qu’il ne voulait pas : une alliance de l’OTAN élargie et plus dirigée, qui inclut désormais aussi la Finlande. »

De fait, l’intégration de la Suède signifie un nouveau pas dans l’expansion de l’OTAN aux portes de la Russie : elle fait de la mer baltique une voie navigable dominée par l’OTAN, permettant à cette dernière d’avoir le contrôle des pays les plus vulnérables, dont la Lituanie, frontalière à la Russie et à la Biélorussie. Par la même occasion, l’OTAN va pouvoir disposer de ressources supplémentaires, dans la mesure où bien qu’elle ne dispose pas d’une armée importante, la Suède a réintroduit la conscription et augmenté ses dépenses de défense ces dernières années, dans l’objectif de porter son budget militaire à 2% du PIB national d’ici à 2026.

Dans un contexte où l’union de l’OTAN, bien que retrouvée, reste fragile et où ses différents partenaires diffèrent notamment dans l’attitude à adopter face à la Chine, l’intégration de la Suède est une avancée pour l’Alliance. Pour la classe ouvrière, les classes populaires et la jeunesse, en France et partout dans le monde, le renforcement de la plus grande machine de guerre impérialiste au monde n’augure rien de bon et actualise la nécessité de construire des alternatives à l’avenir de guerres et de misère que tentent de nous imposer les classes dirigeantes.


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