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Afrique de l’Ouest

Le Niger, le Burkina Faso et le Mali quittent la CEDEAO : nouveau coup pour la Françafrique

Dernier acte de l’ébranlement des mécanismes traditionnels de domination de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest. Une situation qui ouvre également des inconnues pour les Etats de la région.

Philippe Alcoy

30 janvier

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Le Niger, le Burkina Faso et le Mali quittent la CEDEAO : nouveau coup pour la Françafrique

Crédits photo : Cérémonie d’ouverture du sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la lutte contre le terrorisme, Présidence de la République du Bénin

Dimanche 28 janvier les autorités du Niger, du Mali et du Burkina Faso ont rendu public un communiqué commun annonçant leur départ de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Les relations des gouvernements militaires de ces derniers pays et l’organisation qui regroupe 15 pays de l’Afrique de l’Ouest se sont profondément dégradées depuis les coups d’Etat de 2021, 2022 et de 2023 au Mali, au Burkina et au Niger respectivement. La CEDEAO est allée jusqu’à menacer d’une intervention militaire contre le Niger l’été dernier lors du renversement du président Mohamed Bazoum.

Justement, parmi les raisons évoquées pour justifier cette décision, les trois gouvernements mentionnent la « rupture avec les idéaux panafricanistes » de l’organisation fondée il y a 49 ans, notamment à travers l’influence grandissante de puissances étrangères (la France est en première ligne de ces accusations) ; le manque de solidarité de l’organisation vis-à-vis de ces Etats et leur lutte contre les combattants islamistes depuis 2012 ; enfin, et très important, « des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables » imposées à ces Etats suite à la prise du pouvoir par les militaires.

Certains analystes estiment que les militaires auraient décidé de procéder à cette rupture afin de rester au pouvoir : ils avaient établi un calendrier pour le retour des civils au pouvoir auprès de la CEDEAO en échange de la fin des sanctions ; quitte cette organisation leur permettrait de ne pas tenir leurs engagements. Cependant, cet argument semble faible étant donné que les juntes au pouvoir ne semblent pas vraiment avoir besoin d’un tel coup de force pour rester au pouvoir (leur popularité reste assez élevée dans leurs pays respectifs malgré les sanctions, peut-être même, en partie, grâce aux sanctions).

Bien que les militaires dans leur communiqué conjoint aient déclaré que cette décision prenait effet immédiatement, les textes de la CEDEAO prévoient un délai d’un an pour rendre effectif le départ d’un Etat depuis la notification écrite de sa volonté de le faire. À ce jour aucun des trois Etats n’a notifié par écrit la CEDEAO. Cependant, au-delà de cela, il commence à y avoir beaucoup de spéculations sur les conséquences économiques, politiques, sociales et géopolitiques de cette décision. Que se passera-t-il avec les ressortissants maliens, nigériens et burkinabés habitant dans d’autres pays de la CEDEAO ? Vont-ils être obligés de demander des titres de séjour, des visas ?

D’autres analystes tentent de rassurer en relativisant l’importance de cette décision. Ainsi, Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Dakar, explique dans les pages de Le Monde qu’il faut relativiser cette décision « car, pour l’instant, les trois pays n’ont pas annoncé leur retrait de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui rassemble la majorité des quinze membres de la Cedeao (les huit pays d’Afrique de l’Ouest utilisant le franc CFA). La libre circulation des biens et des personnes entre ces trois pays du Sahel et ces Etats (Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Sénégal et Togo) reste donc garantie. Pour l’heure, seuls les échanges économiques et la liberté de circuler entre le Mali, le Burkina Faso, le Niger et les Etats de la Cedeao qui sont en dehors de l’espace UEMOA seront affectés. La situation pourrait toutefois s’avérer compliquée pour le Niger, qui a une longue frontière avec le Nigeria et dont l’économie est fortement dépendante des échanges avec ce voisin ». Cependant, pour ce même chercheur, une rupture avec l’UEMOA reste possible, d’autres craignent que le départ de la CEDEAO ne soit qu’un premier pas en ce sens.

Reconfiguration des alliances régionales

Mais cette décision advient, comme nous le disions plus haut, dans un contexte de fortes tensions entre ces trois pays et la CEDEAO, mais aussi dans le cadre de reconfigurations d’alliances régionales et internationales entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger et des puissances internationales telles que la Russie, la Chine, ou encore la Turquie.

En ce sens, suite aux menaces d’intervention militaire de la CEDEAO contre le Niger (menace qui s’est révélée un bluff), les trois pays ont décidé de rejeter les sanctions politiques et économiques à leur encontre, d’intervenir en défense des uns et des autres en cas d’agression militaire extérieure, ce qui a abouti en septembre dernier à la constitution de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Cette nouvelle alliance semble chercher à constituer un « pôle alternatif » régional face à la CEDEAO. Des idées ont été émises comme celle de créer une monnaie commune, même si la concrétisation d’un tel projet reste, pour le moment, assez lointaine.

Un autre Etat dont le rôle doit être surveillé est la Guinée. La Guinée a elle aussi connu un coup d’Etat en 2021 mais dont on parle beaucoup moins dans la presse occidentale. Son rôle pourrait être très important pour ces trois Etats enclavés de l’Afrique de l’Ouest. Financial Afrik écrit à propos du rôle de la Guinée la chose suivante : « La Guinée en quatrième larron a jusque-là apporté un soutien politique indéfectible aux régimes militaires maliens, burkinabés et nigériens. Leur apportant par ailleurs une assistance commerciale pour contourner le blocus imposé par la CEDEAO. Le port de Conakry aura été d’un soutien vital pour l’économie malienne au moment des sanctions imposées par l’institution sous-régionale. Conakry sert toujours de tête de pont pour les importations maliennes et nigériennes. Ce regain de collaboration entre Conakry et Bamako avait même fait naître l’idée d’une Confédération Guinée-Mali ».

En ce sens, il existe des spéculations sur la possibilité que la Guinée rejoigne l’AES. Cependant, les intérêts des bourgeoisies nationales concernant leurs alliances rendent les choses plus complexes. Le même article de Financial Afrik évoque de « pragmatisme » guinéen en contraste avec un certain « rupturisme » de ses partenaires sahéliens : «  Alors qu’Assimi Goïta [chef de la junte au Mali] désigne la France comme le mal à combattre, tout en s’alignant derrière Moscou, Mamadi Doumbouya [chef des militaires guinéens] lui, déclare à la tribune des Nations unies à qui veut l’entendre « la Guinée n’est ni anti-français, ni anti-américain, ni anti-russe… mais tout simplement Pro-Guinéenne » et par ricochet Pro-africaine » tout en soulignant plus tard qu’il « n’est pas exclu pour autant que la Guinée qui se retrouverait acculée par la communauté internationale décide de rejoindre l’Alliance sahélienne ».

Parallèlement, les alliés de l’AES tentent de tisser et de renforcer de nouveaux liens avec des partenaires internationaux à la recherche de protection militaire et financière. C’est en ce sens que le premier ministre nigérien, Lamine Zeine, est revenu la semaine dernière d’une tournée internationale qui l’a vu se rendre en Russie, en Iran, en Serbie et en Turquie. En effet, l’hostilité de leurs ex-alliés régionaux de la CEDEAO et de leurs commanditaires impérialistes, au premier rang desquels la France, pousse le Mali, le Burkina Faso et le Niger à reconfigurer leurs alliances et à tenter d’exploiter les rivalités entre puissances mondiales et régionales à leur faveur. En ce sens l’analyste pro-impérialiste Niagalé Bagayoko dans Le Monde affirme que « les trois régimes militaires sont en train de refonder un ordre international basé sur un multilatéralisme restreint ayant comme fondement le partage d’une même ligne idéologique : le souverainisme, le nationalisme et le conservatisme sur le plan sociétal ».

La crise de la Françafrique et les rivalités de grandes puissances en Afrique

Le retrait du Mali, du Burkina et du Niger de la CEDEAO marque un nouvel épisode du recul de l’influence de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest, ce qui n’est un secret pour plus personne. Barkhane a été un échec cuisant pour la France et un drame pour les populations locales : l’emprise des organisations islamistes s’est renforcée, les groupes paramilitaires se sont multipliés dans la région, les forces armées de la région ont en même temps gagné du pouvoir en partie grâce à l’argent français (ce qui leur a permis de mener des coups d’Etat réussis) et l’armée française a été chassée de tous les pays de la région.

Les conséquences militaires, sociales et politiques de l’interventionnisme françafricain ont, en effet, été dramatiques. Et ce n’est pas surprenant. L’interventionnisme armé français au Sahel a mis en place une architecture militaro-politique fragile dont l’armée française était tant bien que mal la garante. Cela rendait la présence impérialiste française nécessaire pour maintenir ce statu quo précaire et pour éviter de « plonger la région dans l’inconnu ». De ce point de vue, le retrait forcé de l’armée française a ouvert la possibilité à une déstabilisation grandissante de la région : conflits contre les groupes armés islamistes, qui sont en même temps rivaux entre eux aussi ; conflit entre l’Etat central malien et les indépendantistes touareg ; frictions entre les différents Etats de la région, notamment entre l’Algérie et le Mali.

Aujourd’hui face au recul de la France dans cette partie de l’Afrique, les puissances internationales qui menacent ses positions ne sont pas seulement la Russie, la Chine ou la Turquie (qui a beaucoup avancé ces dernières années dans le continent). Même les alliés traditionnels de l’impérialisme français commencent à prendre leurs distances vis-à-vis de Paris pour ne pas subir le même sort auprès des opinions publiques ouest-africaines. Le journal libéral L’Opinion écrit dans un dossier amer sur la réalité de la France en Afrique aujourd’hui : « Berlin a commencé à se démarquer de la politique française au Sahel en maintenant le dialogue ouvert avec les juntes afin de trouver des « voies pragmatiques de coopération ». Outre-Rhin, on considère qu’on s’en est remis de manière excessive à la stratégie française. Et que le niveau de désaffection des populations urbaines en Afrique est tel qu’il ne fait plus bon s’afficher dans des entreprises communes avec la France ». Les Etats-Unis, qui sont des partenaires historiques de l’impérialisme français en Afrique, commencent à chercher eux aussi des formes de prendre de la distance à l’égard de la politique française en Afrique.

Autrement dit, ce départ des trois pays sahéliens de la CEDEAO, que l’impérialisme français a largement utilisé comme un instrument de sa propre politique régionale, est une mauvaise nouvelle pour Paris et elle pourrait indiquer une accentuation de la concurrence internationale entre puissances en Afrique de l’Ouest.

Cependant, les travailleurs, la jeunesse, et les classes populaires africaines ne devraient pas se tromper et se laisser berner par des projets bourgeois nationalistes. Ils peuvent s’affronter partiellement aux intérêts de l’impérialisme français, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne cherchent pas à soumettre leurs nations à d’autres « maîtres ». Il y a des chances que les militaires sahéliens se rapprochent de puissances comme la Russie et la Chine ou encore la Turquie et l’Iran, et même si cela va à l’encontre des intérêts partiels des impérialistes occidentaux, cela reste un programme bourgeois et totalement capitaliste. Cependant, dans certains cas les militaires cherchent même à préserver leurs relations avec l’impérialisme étasunien ou d’autres puissances européennes (Allemagne, Italie, Espagne).

Leur projet n’est nullement anti-impérialiste, en dépit de certains de leurs discours sur des points spécifiques. Ces secteurs des forces armées représentent des fractions des classes dominantes qui cherchent à préserver leurs intérêts. Les travailleurs et les peuples africains ne trouveront jamais leur salut de la main des capitalistes nationaux, qu’ils soient conjoncturellement en conflit ou en harmonie avec leurs maîtres impérialistes.


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