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Entretien

Le mouvement étudiant fait irruption au coeur de l’impérialisme en soutien à la Palestine

Tatiana Cozzarelli, professeure à l’université de New-York (CUNY), a pris part à la mobilisation pro-palestinienne au sein de son université. Dans un entretien avec Ideais de Esquerda elle revient sur les enjeux et les perspectives de la mobilisation étudiante pro-palestinienne qui secoue en ce moment même la plus grande puissance impérialiste mondiale.

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Le mouvement étudiant fait irruption au coeur de l'impérialisme en soutien à la Palestine

Crédit photo : Left Voice

L’entretien reproduit ci-dessous a été traduit du portugais et provient de la chaîne Youtube d’Ideias de Esquerda, supplément théorique du journal La Esquerda Diario, membre du même réseau international que Révolution Permanente au Brésil.

André Barbieri : Bonjour à tous. Je suis André Barbieri et vous êtes sur notre chaîne Ideias de Esquerda. Nous sommes ici aujourd’hui pour parler d’un des sujets centraux de l’actualité politique mondiale : la jeunesse universitaire des États-Unis, qui est désormais sur le pied de guerre contre la police et les recteurs des principales universités d’élite américaines pour défendre le peuple palestinien contre le génocide de l’État colonialiste d’Israël.

Pour en parler, je suis en compagnie de Tatiana Cozzarelli, en direct de New York. Elle est membre de Left Voice, l’organisation sœur du MRT [et de RP, ndt] aux Etats-Unis.

Tatiana Cozzarelli : Ce qui se passe aux Etats-Unis est un phénomène très important dans la situation internationale. Le mouvement en cours a commencé après la décision de la présidente de l’université de Columbia à New York de faire arrêter les étudiants qui avaient construit un campement pro-palestinien dans les locaux de l’université afin d’exiger que l’administration de l’université cesse de financer le gouvernement israélien et qu’elle coupe ses liens avec les entreprises qui fabriquent des armes pour Israël. La répression a fait office de déclencheur pour l’expansion du mouvement à de nombreuses autres universités, comme celle de Yale ou le MIT sur la côte est des États-Unis, mais aussi l’université de l’Ohio au centre du pays, ou encore Stanford et l’université de Californie sur la côte ouest.

AB : Quelle est la situation actuelle ?

TC : Nous assistons au début de plusieurs occupations dans diverses universités. De ce que je sais, plus de dix autres universités ont commencé à discuter ou discutent d’ores et déjà d’un plan de lutte [ce lundi plus de 80 universités étaient occupées]. Cela fait partie d’un phénomène de réponse au génocide israélien contre Gaza. Depuis plusieurs mois, il y a un fort mouvement pour la Palestine ici aux États-Unis, notamment dans la jeunesse étudiante. Les occupations actuelles unifient plusieurs secteurs opprimés, notamment les étudiants arabo-musulmans et les étudiants juifs. Ces derniers affirment que l’antisionisme n’a rien à voir avec de l’antisémitisme et que cette assimilation revient à relativiser le véritable antisémitisme. Ils défendent que la mobilisation en cours n’est évidemment pas contre le peuple juif, mais contre l’Etat d’Israël et le génocide qu’il commet.

Depuis le tout début de ce mouvement, la répression a été importante. Dès le mois d’octobre, on parlait d’un nouveau maccarthysme dans les universités. Par exemple, à l’université de Columbia, l’une des universités les plus élitistes des États-Unis, où Hillary Clinton fait régulièrement des discours, le mouvement de soutien à la Palestine a décidé d’organiser une occupation en réaction à la répression. Après que plusieurs secteurs de l’université aient décidé de voter en faveur du retrait des investissements de l’institution auprès de l’État d’Israël, mais aussi d’exiger la transparence pour savoir où vont les fonds de l’université, Columbia a engagé un détective privé chargé de surveiller les étudiants jusque dans leurs dortoirs. Les étudiants qui ont refusé de le laisser entrer ont été suspendus et expulsés de leurs dortoirs.

En réaction à l’occupation de Columbia, plusieurs occupations ont vu le jour avec les mêmes revendications. L’université de New York (CUNY), l’une des premières à suivre Columbia, a été immédiatement le théâtre d’une intervention policière, dans une ville largement démocrate. Le "campement" a été réprimé et plusieurs étudiants et des professeurs qui soutenaient l’occupation ont été arrêtés. Je me réjouis de voir réapparaître aux États-Unis le mouvement étudiant comme acteur politique national. Historiquement, ce mouvement a joué un rôle important, notamment lors de l’opposition à la guerre du Viêt Nam à la fin des années 1960. D’ailleurs, de nombreux slogans dans les campements font référence ou s’inspirent de ce mouvement anti-guerre de l’époque dite de la « guerre froide ».

Les étudiants sont scandalisés par le fait que les autorités universitaires recourent à la répression de l’État contre ceux qui manifestent pacifiquement pour la Palestine. Il s’agit d’une jeunesse qui a été façonnée par le mouvement Black Lives Matter et qui remet en question la police, qui, comme nous le savons, tue des Noirs tous les jours aux États-Unis. Il y a donc un fort rejet des forces répressives et plusieurs campements portent à ce titre dans leurs revendications que la police ne puisse plus entrer dans nos universités. Il est également important de rappeler qu’il existe un secteur de professeurs qui, s’ils ne sont peut-être pas aussi actifs que les étudiants, sont horrifiés par la répression et se mobilisent en réaction. Par exemple, à Columbia, il y a eu un grand rassemblement de professeurs autour du slogan « pas touche aux étudiants », et la même chose s’est produite à New York, où les professeurs ont organisé un rassemblement à l’extérieur du camp.

AB : J’ai vu que le Washington Post a publié un sondage montrant que le soutien à l’envoi d’armes à Israël est passé de 47 % à 32 %, et que le rejet de la guerre concerne désormais 52 % de l’électorat démocrate et indépendant aux États-Unis. Comment ce soutien au mouvement pro-palestinien se manifeste-t-il sur les campus universitaires et dans la population en général en dehors des universités ?

TC : Il existe plusieurs exemples de solidarité avec la répression. Des syndicats, notamment les travailleurs de Starbucks, ont signé une pétition demandant la fin de la répression. Je reviens également d’une conférence qui s’est tenue ce week-end, intitulée « Labour Notes », qui a rassemblé 4 500 jeunes travailleurs syndiqués, dont des travailleurs d’Amazon, de Starbucks et des universitaires comme moi. Lors de cette conférence, la Palestine a été au cœur des discussions. Alors que le rejet du génocide en cours est massif, les organisations du mouvement ouvrier, qui ont longtemps été sionistes, sont de plus en plus poussées par leur base à prendre position contre l’offensive d’Israël sur la population palestinienne. En outre, une partie importante de la nouvelle génération de la classe ouvrière réfléchit à la manière de lutter contre ce génocide. Je pense que des ponts sont en train de se construire dans des universités comme Columbia, où les syndicats des professeurs et ceux des étudiants soutiennent conjointement les occupations, contre la répression.

Cette transformation de l’opinion publique, qui inclut les classes moyennes progressistes qui commencent à défendre ouvertement le peuple palestinien, pose des problèmes à l’administration Biden. Le président a approuvé l’envoi de plus de 10 millions de dollars à Israël, ce qui témoigne du maintien de la politique de soutien inconditionnel. Malgré les tensions entre Biden et Netanyahu, l’alliance stratégique entre les Etats-Unis et Israël se poursuit alors que les partis démocrate et républicain soutiennent conjointement cette relation. Les démocrates collaborent dans les faits avec la position ultra-sioniste du parti républicain. Récemment ils ont utilisé Bernie Sanders pour faire des vidéos critiques contre Israël, mais sur la position du gouvernement dans le but de contenir l’énorme mécontentement de la base démocrate contre Biden. A quelques encablures des présidentielles contre Trump le camp démocrate a de quoi s’inquiéter.

AB : Explique-nous un peu comment le parti démocrate réagit et comment Biden lui-même assume sa position face à l’émergence d’un mouvement étudiant pro-palestinien radical aux États-Unis.

TC : Biden fait comme si cela n’existait pas. Il est contre les occupations. Biden a suggéré que les occupations étaient le résultat d’une montée de l’antisémitisme, quand bien même un secteur juif important participe aux occupations. La mairie démocrate de New York a par exemple envoyé la police pour réprimer un événement organisé par le groupe Jewish Voice for Peace. Le parti démocrate utilise l’excuse de l’antisémitisme pour réprimer. Mais ce que nous voyons, c’est qu’un des slogans caractéristiques de notre mobilisation est en train de se concrétiser : « plus ils essaient de nous faire taire, plus nous serons bruyants, plus ils essaient de nous faire taire, plus nous parlerons fort ». La répression a ouvert la porte à de nombreux campements.

Signe de ce changement d’ambiance, Bernie Sanders qui a été critiqué par la jeunesse parce qu’il ne s’opposait pas ouvertement au génocide, a été forcé de modifier quelque peu son discours dans la perspective des élections présidentielles de novembre. L’aile gauche du parti démocrate s’est en réalité alignée sur la politique du parti. Cette aile, qui est censée être progressiste, n’a pas été du côté de la classe ouvrière ou des opprimés, ni aux États-Unis ni dans le monde. Aujourd’hui, en raison de la force du mouvement en cours, ce secteur est contraint de prendre position et de s’opposer à la répression. Notamment parce que le mouvement lui-même est animé par des gens qui ont voté pour eux et qui ont cru dans « le phénomène Sanders ».

Je pense que l’hypocrisie de ce secteur qui défend l’impérialisme américain et le gouvernement Biden jusqu’au bout devient très claire. Ils ont d’ores et déjà expliqué dit qu’ils allaient soutenir une seconde candidature Biden, mais ils disent aussi qu’ils soutiennent les étudiants. Cet double discours montre vraiment de quel côté ils sont en dernière instance. S’ils voulaient vraiment défendre le peuple palestinien contre l’État d’Israël, cela nécessiterait une confrontation directe non seulement avec le parti républicain, mais aussi avec le parti démocrate, qui est aujourd’hui au pouvoir et qui soutient ce génocide.

D’autres secteurs de la gauche sont également impliqués dans le mouvement. C’est le cas notamment du PSL (Parti pour le socialisme et la libération), qui est issu du maoïsme et prétend être contre le génocide et qui est actif dans le mouvement. Pourtant, la Chine, dont ils sont des soutiens revendiqués, n’est pas une alternative aux États-Unis, elle n’est pas socialiste et opprime également sa classe ouvrière. Elle n’est pas non plus une alternative pour le peuple palestinien. C’est pourquoi nous soulevons un débat : la nécessité de construire une alternative réellement internationaliste du côté de la classe ouvrière du monde entier, y compris la classe ouvrière chinoise et que nous voulons rallier afin de renverser le système capitaliste.

Un autre débat que nous posons est celui de la jonction entre le mouvement étudiant et la classe ouvrière. Comme je l’ai expliqué précédemment, il y a un secteur de la classe ouvrière qui est très désireux de se battre pour la Palestine. Et dans ce cadre, je pense qu’il y a beaucoup de potentiel pour unifier le mouvement étudiant avec la classe ouvrière, afin de mener la lutte pour la Palestine jusqu’au bout. À ce titre, les étudiants qui ont été arrêtés à Columbia interpellent les travailleurs de l’université et leur disent « vous devez vous mettre en grève pour nous soutenir ».

Un de nos objectifs est d’arriver à construire une telle convergence avec par exemple le secteur automobile, mais aussi avec ceux qui construit des armes, des avions et toutes sortes de choses de ce genre pour l’impérialisme américain. Nous devons les convaincre d’y mettre un stop et de participer au blocage de l’envoi d’armes, comme cela a pu être le cas à l’initiative de travailleurs en Inde. Certaines sections de la classe ouvrière sont également stratégiques et pourraient jouer un rôle très important dans l’arrêt de la livraison d’armes à l’État d’Israël. Dans cette perspective nous luttons pour défendre l’unification de tous les campements qui existent actuellement. Nous pensons qu’il doit y avoir plus de coordination régionale organisée par la base pour essayer de créer une coordination nationale des campements afin de pouvoir faire avancer la lutte et appeler les secteurs de la classe ouvrière à rejoindre le mouvement.


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