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Anti #Metoo

Tribune de la honte : cinquante personnalités en soutien à l’impunité de Depardieu

Après qu’Emmanuel Macron ait apporté son soutien à Gérard Depardieu, accusé de viol et d’agression sexuelle par au moins treize femmes, cinquante personnalités des milieux artistiques français ont défendu dans une tribune la « présomption d’innocence » de l’acteur.

Matthias Lecourbe

26 décembre 2023

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Tribune de la honte : cinquante personnalités en soutien à l'impunité de Depardieu

Crédits Photo : Flickr

Ce lundi 25 décembre, une tribune collective rassemblant les signatures de personnalités des milieux artistiques français tels que Carla Bruni, Jacques Dutronc, Gérard Darmont, Arielle Dombasle ou Benoît Poelvoorde a été publiée sur Figarovox, demandant à ne pas « effacer » Gérard Depardieu, accusé de viols et d’agressions sexuelles par au moins 13 femmes. Une enquête Médiapart avait déjà récolté un nombre important de témoignages de femmes ayant été témoins ou victimes de comportements déplacés de la part du « monstre sacré » du cinéma français, allant de plaisanteries sexistes à de véritables agressions sexuelles.

L’affaire a été ravivée d’abord par le suicide d’une des femmes qui accusait Depardieu de violences sexuelles, puis par la diffusion en début décembre d’un reportage Complément d’Enquête montrant des extraits vidéos de l’acteur tenant des propos sexistes à plusieurs reprises, allant jusqu’à faire des commentaires sexuels sur une fillette qui faisait du cheval.

Interrogé à ce sujet dans un numéro de C ce Soir, Emmanuel Macron a remis en question l’authenticité des images filmées, que France Télévision a ensuite faites authentifier par huissier, en réaction à cette accusation à peine voilée de manipulation des rushs par un montage malveillant.



Gérard Depardieu, monstre sacré du cinéma français





Reprenant peu ou prou le discours développé par Macron lors de son interview sur France 5, les artistes signataires de la tribune appellent à laisser « la justice faire son travail », tout en souhaitant qu’il puisse continuer à travailler autant que possible : « Nous souhaitons, pour le bien du cinéma et du théâtre, le voir prêter son âme, son physique et sa voix unique aux œuvres qui l’attendent encore ». Cette tribune ne tarit pas d’éloges sur le talent et la carrière exceptionnelle du grand artiste irremplaçable que serait Gérard Depardieu, sans avoir le moindre mot pour les victimes, qui témoignent pourtant avoir été agressées par Depardieu dans le cadre de leur propre activité d’actrices, de maquilleuses, ou de techniciennes de plateau, et qui décrivent très souvent l’attitude complaisante des productions vis-à-vis des comportements sexistes de l’acteur.

La santé et la sécurité des femmes susceptibles de travailler avec Depardieu valent-elles moins que son nom, suffisant à assurer des entrées au box-office, nom qu’il ne faudrait surtout pas salir parce qu’il fait « rayonner le cinéma de Truffaut, de Pialat, de Ferreri, de Corneau, de Blier ou de Bertolucci dans le monde entier » ? Il semble que ce soit le cas au vu des louanges que lui chantent Macron et l’arrière-garde artistique française.



« Laissons la justice faire son travail » : un nouveau backlash anti #metoo





Aussi bien Macron que les signataires de la tribune invoquent, au milieu de rappels sur le rayonnement de la France à l’étranger auquel aurait participé Depardieu, l’idée qu’il faille « laisser la justice faire son travail ». Une précaution qui ne mange pas de pain, dans la mesure où d’une part les faits d’agressions sexuelles font rarement l’objet de condamnations, mais qui permet aussi de ne pas poser la question de la gestion des comportements sexistes en milieu professionnel en général, et en particulier dans le cas de Depardieu dans le milieu de l’art, marqué par de fortes inégalités et une forte mise en concurrence des divers professionnels qui y interviennent, propices à des rapports de pouvoir très marqués, qui entretiennent à leur tour une omerta concernant les comportements sexistes de certains « monstres sacrés ». De ce point de vue-là, tous les discours concernant la grandeur de l’œuvre de Depardieu constituent le versant idéologique justifiant l’impunité reconnue à l’acteur, face aux plaintes d’actrices moins reconnues ou autres travailleuses de l’audiovisuel.



Même dans le cas où Gérard Depardieu ferait l’objet d’une condamnation, rien ne garantit qu’il ne continuerait pas à avoir des comportements sexistes sur les tournages auxquels on le laisserait continuer à participer, puisqu’il resterait structurellement un « monstre sacré du cinéma français », capable à lui seul d’assurer le succès d’un film. Le mouvement #MeToo a initié une libération de la parole autour des violences sexistes et sexuelles, particulièrement au sein de la famille et du monde du travail, mais des femmes qui ont dénoncé des faits de violences, notamment de la part d’hommes célèbres ont dû faire face à des accusations de diffamation, comme ce fut le cas pour Sandra Muller, initiatrice de #BalanceTonPorc, ou pour Amber Heard, ex-compagne de Johnny Depp.



Les accusations se retournent d’autant plus facilement que les médias bourgeois se font volontiers complices des récits faisant de l’accusé la victime. Le même mécanisme est actuellement à l’œuvre dans la remise en cause du travail des journalistes de Complément d’Enquête par Emmanuel Macron, et à présent par l’expression de solidarité de la part de certaines élites artistiques que constitue la tribune publiée dans FigaroVox. Pour cette raison, il est important de se montrer solidaire de celles qui témoignent et encourager la constitution de commissions sur les lieux de travail et d’études pour organiser cette solidarité et faire face à la réaction patriarcale. Il faut aussi dénoncer et démontrer sans cesse le caractère structurel des violences sexistes et sexuelles, et lutter pour réduire les inégalités qui les rendent possibles et les entretiennent, pour permettre la réalisation des œuvres culturelles dans des conditions dignes pour toutes les travailleuses et travailleurs de cette industrie.


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