Proche-Orient

Vers un retour de la « solution à deux Etats » ?

Philippe Alcoy

Vers un retour de la « solution à deux Etats » ?

Philippe Alcoy

La guerre d’Israël à Gaza et en Cisjordanie a remis au goût du jour la « solution » à deux Etats, une arnaque pour l’autodétermination de la Palestine qui permet à Israël de prolonger sa domination coloniale sous un semblant de légalité et légitimité internationales.

Le conflit entre Israël et la Palestine n’est pas né le 7 octobre dernier, quand le Hamas et d’autres organisations armées palestiniennes ont lancé une offensive surprise sur le territoire israélien, tuant 1200 personnes et faisant autour de 260 otages. Le conflit a commencé il y a 75 ans, lorsque les puissances impérialistes, alliées des courants sionistes, ont décidé, avec la complicité de l’ONU et de l’URSS, de créer un Etat juif sur le territoire palestinien. Bien évidemment, sans que les Palestiniens eux-mêmes n’aient été consultés. Depuis, le territoire contrôlé par l’Etat d’Israël n’a fait que s’étendre au détriment des Palestiniens, à l’issue de plusieurs guerres et de campagnes de colonisation. Tout cela sans mentionner les 500 à 800 000 Palestiniens expulsés lors de la Nakba de 1948.

Au fil des décennies Israël est devenu une pièce centrale de la domination occidentale au Moyen-Orient, un véritable gendarme régional. L’existence de l’Etat d’Israël est ainsi devenue de plus en plus liée à la garantie des intérêts des puissances impérialistes occidentales dans la région, et vice-versa. En ce sens, les revendications sur l’auto-détermination nationale de la Palestine, dans la mesure où elles impliquent la remise en cause du colonialisme israélien, entrent en contradiction directe avec les intérêts des impérialistes. C’est ce qui explique en grande partie le soutien indéfectible et inconditionnel de la part des gouvernements des puissances occidentales à Israël après l’attaque du 7 octobre, malgré les crimes de guerre de Tsahal contre la population civile, largement documentés.

Cependant, un état de guerre permanente contre la Palestine (et ses voisins) est trop coûteux, tant économiquement que politiquement pour Israël et pour ses alliés impérialistes . Dans ce cadre, leur position a oscillé entre une tentative de faire disparaître la question palestinienne, avec la collaboration des Etats arabes voisins comme l’Egypte [1] et des Etats-Unis, [2], ainsi que la promesses d’une résolution diplomatique par la création d’un Etat palestinien. Sur ce plan, la guerre actuelle a mis en pause la dynamique des Accords d’Abraham mais également remis au centre du débat politique international la question palestinienne. La réponse brutale et sauvage de l’armée israélienne qui assène une punition collective au peuple palestinien, en réponse à l’attaque du Hamas et des autres organisations armées palestiniennes, a paradoxalement relancé la solidarité par en bas avec la Palestine et fait augmenter la critique à l’égard des politiques actuelles, mais aussi passées, d’Israël.

C’est dans ce contexte que les dirigeants impérialistes occidentaux, Biden en tête, ont ressorti la « solution » des deux Etats. Une politique qui a depuis longtemps démontré son complet échec, notamment depuis les accords d’Oslo de 1993, au travers desquels cette supposée solution a pris une importance particulière.

Vers un retour de la solution à deux États ?

Dans une tribune signé par Joe Biden, paru récemment dans le Washington Post on peut lire que « ce qui est clair, c’est qu’une solution à deux États est le seul moyen d’assurer la sécurité à long terme des peuples israélien et palestinien. Bien qu’à l’heure actuelle, il semble que cet avenir n’ait jamais été aussi éloigné, cette crise a rendu plus impérative que jamais la recherche d’une solution à deux États ». Même si les Occidentaux sont obligés de soutenir Israël (l’abandonner reviendrait à saper leurs propres intérêts dans la région), la situation actuelle suscite chez eux une inquiétude réelle.

En effet, les Etats-Unis, principal allié et soutien d’Israël, espéraient se désengager du Proche-Orient afin de pouvoir concentrer leurs énergies et ressources dans leur compétition avec la Chine. La guerre que mène Israël actuellement contre les Palestiniens, par ses objectifs déclarés (détruire le Hamas et, en fin de compte, toute forme de résistance palestinienne), est de nature à devenir une nouvelle « guerre ingagnable » et risque de forcer les Etats-Unis à devoir s’engager davantage d’une façon ou d’une autre. A cela il faut ajouter que les Etats-Unis sont la puissance impérialiste où le mouvement de solidarité avec la Palestine est le plus fort, ce qui impacte le gouvernement alors que la campagne présidentielle est pratiquement lancée.

Pour Washington, il est donc plus qu’important qu’il y ait une issue claire capable de mettre un terme à la guerre. Dans ce cadre, l’administration de Biden a pu se retrouver en conflit ces dernières semaines avec la ligne du gouvernement Netanyahou, dont la ligne dure refuse d’envisager la moindre concession aux Palestiniens, et privilégie à l’heure actuelle le scénario d’une occupation militaire de Gaza, qui implique l’expulsion des Gazaouis vers les pays limitrophes, leur extermination plus ou moins graduelle ou un nouveau saut dans l’oppression des Palestiniens sur ce territoire. Tout en continuant d’armer l’État d’Israël et de le soutenir inconditionnellement, les Etats-Unis opposent en effet à cette ligne la perspective tactique d’une bande de Gaza sous contrôle de l’Autorité palestinienne.

A l’heure où Biden affirme hypocritement que « notre objectif ne devrait pas être simplement d’arrêter la guerre pour aujourd’hui - il devrait être de mettre fin à la guerre pour toujours, de briser le cycle de la violence incessante et de construire quelque chose de plus fort à Gaza et dans tout le Proche-Orient, afin que l’histoire ne se répète pas », il ne faut pas écarter un retour progressif de ce discours et de cette perspective. Pourtant, au-delà des discours, l’objectif des Etats-Unis n’est nullement celui de répondre aux aspirations légitimes du peuple palestinien à l’auto-détermination, même de façon limitée. Il s’agit pour l’impérialisme nord-américain, et pour ses partenaires, de trouver une façon de « pacifier » la région à travers un plan qui, dans la forme, feigne de prendre en compte les intérêts palestiniens.

Systématiquement, ces plans ont laissé sans réponse plusieurs points importants comme la question des colons en Cisjordanie ou celle du retour des réfugiés palestiniens expulsés de leurs terres lors de la Nakba. En parallèle, ladite « solution » à deux Etats n’a jamais empêché Israël de poursuivre sa politique d’accaparement des terres palestiniennes, de colonisation, de nettoyage ethnique et d’apartheid.

La politique des deux Etats et les accords d’Oslo

La politique des « deux Etats » est la politique de l’ONU quand elle a décidé de partitionner le territoire palestinien en 1948. Comme nous l’avons dit plus haut cela a impliqué une violation des droits nationaux des Palestiniens et surtout a été le point de départ du colonialisme israélien. Cette politique a cependant pris une tout autre importance en 1993 lors de la signature des accords d’Oslo.

En effet, ces accords ont été signés entre l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) de Yasser Arafat et le gouvernement israélien de l’ancien militaire israélien, et assassin de Palestiniens, Yitzhak Rabin. Ils avaient été présentés comme une victoire de la « paix » car il posait les bases d’une reconnaissance mutuelle entre la Palestine et Israël et celles de la fondation de deux Etats coexistant côte à côte. Mais la réalité a été bien différente. Les territoires palestiniens ont été divisés en trois zones dont deux étaient contrôlées militairement par Israël (la zone C, en particulier, zone qui représente 60 % du territoire, étant contrôlée militairement et administrativement par Israël).

Les accords tablaient sur un plan pluriannuel qui devait, prétendument, aboutir à la fondation d’un Etat palestinien. Mais ce plan s’est révélé être une mascarade et une illusion, n’offrant finalement qu’un territoire éclaté et officiellement fondé sur les frontières de 1967 (et non celles de 1948), sans continuité territoriale et sous le contrôle total d’Israël en ce qui concerne l’accès à des services absolument essentiels comme l’eau potable, l’électricité, ou encore l’accès aux finances. En définitive, le plan proposé dans le cadre des accords d’Oslo s’est révélé contraire à l’auto-détermination de la Palestine et dans la continuité des intérêts réactionnaires et coloniaux de l’Etat d’Israël.

Mais l’apparence de compromis à suffit à créer une forte polarisation au sein de la société israélienne, et contribué au surgissement et au renforcement d’une opposition sioniste d’extrême droite, à la tête de laquelle s’est retrouvé nul autre que Benjamin Netanyahu, et qui refusait toute idée de création d’un Etat palestinien, même sous cette forme abatardie et illusoire issue d’Oslo. Le conflit politique finira même, en novembre 1995, par couter la vie à Rabin lui-même, assassiné par un militant sioniste suprémaciste. Non contents de constituer une véritable duperie politique pour les Palestiniens, les accords d’Oslo, sous leurs airs de compromis, ont aussi contribuer à renforcer l’extrême droite sioniste et, en dernière instance, le colonialisme israélien.

En effet, la colonisation israélienne en Cisjordanie s’est accélérée après Oslo. Sur ce sujet, dans un article de The Economist on peut lire que « si Israël devait définir ses frontières en 1999, les colons n’avaient que quelques années pour s’emparer de nouvelles terres. Entre 1993 et 1999, ils ont établi 43 avant-postes : des colonies construites sans l’approbation du gouvernement. Certaines ont été autorisées par la suite ou ont été intégrées à des colonies existantes. Le nombre de colons en Cisjordanie occupée a augmenté de 58 % au cours de ces années, passant de 116 300 à 183 900, alors que la population totale du pays n’a augmenté que de 17 %. Leur nombre continue d’augmenter. En 1993, les colons représentaient 2 % de la population israélienne et 3 % de la population juive ; aujourd’hui, ces chiffres sont de 5 % et 7 %, et leur pouvoir politique s’est également accru ».

La question des colons israéliens est un sujet très épineux et tout plan de deux Etats, même avec son caractère limité, devra s’y confronter ou, à tout le moins, lui donner quelques limites. Ce n’est pas un hasard si Biden menace dans sa tribune d’interdire les visas aux citoyens israéliens qui se livreraient à des violences contre des civils palestiniens en Cisjordanie. C’est une façon d’envoyer un message au gouvernement israélien, en lui signifiant le fait qu’il doit freiner l’avancée de la colonisation et surtout les violences des groupes de colons paramilitaires. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un signe purement conjoncturel, en lien avec la crise politique interne qui secoue actuellement les Etats-Unis, ou si cela pourrait constituer les jalons d’une politique plus générale qui viserait à serrer la bride à Israël sur la question de la colonisation. Ce qui est certain, c’est que cette politique entre en contradiction avec la volonté du gouvernement israélien actuel qui aimerait voir le nombre de colons en Cisjordanie passer de 600 000 à 1 million.

Une politique qui constitue plus que jamais une impasse

Si, même avec tout l’enthousiasme international autour des accords d’Oslo, la solution à deux Etats s’est révélée être une illusion, une mystification pour la Palestine et, en définitive, un renforcement de l’extrême-droite sioniste, que peut-on espérer de ce même programme aujourd’hui ? Mais ne se trouve-t-on pas, compte tenu de la situation actuelle, dans une réédition sous la forme d’une farce de la tragédie originale qu’ont constitué les accords d’Oslo ? D’un côté, nous sommes en présence d’un véritable génocide et, de l’autre, des pans entiers de la société israélienne se sont radicalisés, rejetant toute perpectives de création d’un Etat palestinien. Parallèlement, les autorités palestiniennes qui avaient négocié les accords d’Oslo, notamment le Fatah, et les institutions issues de cet accord comme l’Autorité palestinienne, sont plus que jamais discréditées.

L’autorité palestinienne a été créée de façon ad hoc lors des Accords d’Oslo pour administrer une partie très limitée des territoires palestiniens semi-autonomes, comme une forme d’administration transitoire jusqu’à la supposée création d’un Etat palestinien. Mais elle a, en réalité, constitué un obstacle direct pour l’auto-détermination de la Palestine. En raison de ses attributions extrêmement limitées et sa nature dépendante de l’aide internationale, l’AP ne peut avoir qu’un caractère politique très modéré et subordonné au régime Israélien, tout en favorisant le développement de la corruption en son sein pour accéder au financement international. Mais plus grave encore, l’Autorité palestinienne (AP) a systématiquement exercé un rôle de déviation, de contention, de contrôle, de division et même de répression des expressions de contestation de la domination israélienne parmi la population palestinienne.

Dans un article paru en 2019, l’analyste Tariq Kenney-Shawa, dressait un tableau très critique du rôle de l’AP : « l’AP contribue de plusieurs manières spécifiques à maintenir l’occupation israélienne et le paradigme du conflit général. Tout d’abord, l’AP décharge Israël de la majeure partie des responsabilités routinières et coûteuses liées à une occupation militaire prolongée, tout en servant de façade à un gouvernement indépendant. Elle assume des rôles allant de la fourniture de biens et de services aux personnes vivant sous l’occupation à la mise en place d’un réseau de sécurité interne qui coopère avec l’armée israélienne pour empêcher la résistance (…) En conséquence, les forces de sécurité de l’AP ont été qualifiées de "sous-traitants" qui permettent à Israël de maintenir l’occupation tout en évitant les contacts directs qui nuisent à l’image d’Israël à l’étranger. En d’autres termes, le "sale boulot" est effectué par l’AP, ce qui permet à Israël de s’extraire de l’équation de manière sélective, tout en conservant un contrôle global sur l’ensemble des territoires ».

Ce rôle de soutien au « maintien de l’ordre colonial » dans les territoires contrôlés par l’AP a pu être vu dans les premiers jours de l’opération israélienne contre Gaza quand les forces de sécurité de Cisjordanie ont attaqué les manifestants palestiniens. En ce sens, il n’est pas étonnant que beaucoup de dirigeants impérialistes pro-israéliens, à l’heure de parler de la gestion des territoires palestiniens après la guerre, déclarent la nécessité de mettre l’AP au centre. Joe Biden lui-même le dit dans la tribune citée plus haut : « dans notre quête de paix, Gaza et la Cisjordanie devraient être réunies au sein d’une structure de gouvernance unique, sous l’égide d’une Autorité palestinienne revitalisée, alors que nous travaillons tous à la mise en place d’une solution à deux États ».

Cependant, cette perspective semble, pour le moment, très peu probable, de l’aveu de Biden lui-même, et elle impliquerait beaucoup de contradictions et d’instabilité. En effet, l’AP et Mahmoud Abbas sont largement discrédités au sein de la population palestinienne, justement à cause de leur rôle conciliateur et de collaboration avec l’occupation israélienne, de la corruption au sein de l’AP et du manque de perspectives que celle-ci offre à la population palestinienne. Il est aujourd’hui très difficile d’imaginer qu’après la guerre, quel que soit son résultat, cette perception de l’AP au sein de la population puisse changer. Et si cela n’était pas suffisant, le gouvernement israélien a déclaré à plusieurs reprises refuser que l’AP ne joue un rôle important à Gaza après la guerre, ce qui le met en claire opposition avec les plans des Etats-Unis et d’autres de ses partenaires internationaux. Autrement dit, la radicalité sioniste du gouvernement de Netanyahu, poussée dans cette voie par ses propres fragilités, est tellement profonde qu’il refuse même l’idée de travailler avec la conciliatrice et modérée AP, car cela impliquerait faire « trop » de concessions aux Palestiniens.

La position du Hamas, qu’Israël voudrait « éradiquer », vis-à-vis de cette « solution » reste ambigüe. En effet, bien que le Hamas n’ait officiellement pas reconnu Israël en tant qu’Etat, en 2017 le mouvement islamiste publiait une nouvelle charte politique où il acceptait la fondation d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967, reconnaissant de fait l’existence d’Israël. Parallèlement, le rôle d’Israël dans le financement ou du moins dans l’aide à la création du Hamas, pour diviser le mouvement de résistance palestinien, est assez connu. Ainsi, les relations du Hamas avec Israël et ses positions vis-à-vis de la « solution à deux Etats » est beaucoup plus complexe que certains ne le rapportent dans les principaux médias occidentaux. Cependant, dans tous les cas, le Hamas ne peut désormais, pour des raisons évidentes, constituer, aux yeux d’Israël, une alternative au Fatah dans le cadre de la « solution à deux Etats ».

Face à la nouvelle Nakba, pour une Palestine ouvrière et socialiste

Face à la barbarie à laquelle nous assistons à Gaza, la seule réponse qui puisse assurer une paix durable pour les Palestiniens, les populations arabes de la région mais aussi pour les Juifs c’est de trouver une solution politique de fond à la question palestinienne. Dans l’immédiat, cela implique l’arrêt urgent et sans aucune condition des bombardements sur Gaza ainsi que la fin de la violence des colons juifs fanatisés en Cisjordanie. Mais de façon structurelle, il n’y a pas d’issue pour le droit à l’autodétermination du peuple palestinien sans remise en question profonde du colonialisme et du régime d’apartheid israélien.

La soi-disant solution à deux Etats proposée par les dirigeants impérialistes occidentaux ne signifie aucunement la fin de l’apartheid ni du colonialisme ; elle n’évoque même pas la question de la colonisation de la Cisjordanie ou encore le droit au retour des Palestiniens et leurs familles expulsés lors de la première Nakba en 1948. Au contraire, cette « solution » cherche à offrir une issue à Israël, qui semble s’être embarqué dans une « guerre ingagnable » et très dangereuse pour la sécurité de la région, voire pour la sécurité mondiale. Une solution à deux Etats, telle que proposée par les Etats impérialistes alliés d’Israël signifierait redoubler la soumission de la Palestine en donnant des « garanties de sécurité » encore plus humiliantes à Israël, désarmant la résistance palestinienne comme une condition sine qua non, sans que la même exigence soit faite à Israël bien évidemment.

Ouvrir un hypothétique et illusoire processus de négociation pour la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël constituerait l’alibi parfait pour les bourgeoisies arabes qui entretiennent, depuis des décennies maintenant, des relations très étroites avec Israël mais aussi pour celles qui commençaient à « normaliser » leurs relations avec Tel Aviv. Cela n’est pas un détail. Aujourd’hui, Israël et ses partenaires occidentaux ont besoin de la collaboration active des bourgeoisies arabes pour penser un plan de gouvernement pour Gaza après la guerre. Mais ces gouvernements sont aussi sous pression des populations locales qui sont profondément pro-palestiniennes. « Les pays arabes sont également susceptibles de faire pression pour que la question palestinienne soit abordée comme condition pour jouer un rôle dans la stabilisation et la reconstruction de la bande de Gaza d’après-guerre. Le fait d’évoquer la perspective d’un État palestinien pourrait rassurer l’Égypte et la Jordanie, qui s’inquiètent de la perspective de voir arriver des millions de réfugiés de Gaza », écrit à ce propos The New York Times.

Il existe aussi des courants très minoritaires dans l’opinion israélienne et internationale qui prônent la solution d’un Etat binational qui impliquerait le démantèlement des structures palestiniennes et leur intégration dans un Etat où les deux peuples pourraient vivre ensemble. Mais cette alternative comporte d’autres contradictions importantes pour l’Etat d’Israël. En effet, dans le cadre de l’intégration des territoires palestiniens et de sa population dans un Etat unique avec la population juive, deux alternatives se posent : soit créer un régime ouvertement d’apartheid aux yeux de toute la planète, soit donner des droits démocratiques et politiques égaux aux Palestiniens (ce qu’Israël nie actuellement à sa minorité Arabe, qui représente 20% de la population), ce qui mettrait fin à Israël en tant qu’Etat juif. Tamir Pardo, un ex chef du Mossad, plaidant en faveur de la création d’un (pseudo) Etat palestinien l’expliquait de la façon suivante en août dernier, c’est-à-dire avant la guerre actuelle : « La poursuite de l’occupation pourrait obliger Israël à faire un choix difficile : officialiser la domination d’une minorité juive sur des Palestiniens privés de leurs droits - ou leur accorder le droit de vote et mettre fin au rêve sioniste d’une patrie juive dans la Palestine historique ».

Ce que nous voyons actuellement c’est que le gouvernement d’extrême-droite israélien est contre toute idée de création d’un semblant d’Etat palestinien ; l’intégration de millions de Palestiniens avec des droits politiques à égalité dans un même Etat semble non seulement impensable aujourd’hui, mais également un mirage tant que se perpétueront les structures et la domination du sionisme. En outre, il faut dire qu’une partie importante de la société israélienne est radicalisée. Après le 7 octobre, toute alternative qui vise à aller vers ne serait-ce qu’une parodie « d’égalité » entre Palestiniens et Juifs semble même une concession trop grande aux yeux de l’Etat d’Israël.

Ainsi, les options ne semblent pas très variées pour le gouvernement israélien engagé dans la guerre actuelle. Tout semble indiquer que nous assistons à un nettoyage ethnique de grande ampleur à Gaza, à une nouvelle Nakba qui ne dit pas, pour le moment, son nom. En outre, les contours de cette opération prennent de plus en plus la forme d’un génocide. Or, cette posture « radicalisée » va sans doute se retourner contre Israël et mettre en danger son existence en tant qu’Etat à long terme. En effet, plus Israël sera agressif, non seulement contre les Palestiniens, mais contre les autres Etats voisins, plus il deviendra dépendant du soutien financier et militaire de puissances étrangères, notamment des Etats-Unis. Mais ce soutien, aujourd’hui « indéfectible », peut ne plus l’être demain, notamment avec des puissances impérialistes en crise au niveau international. Les priorités stratégiques pour Washington aujourd’hui ne sont pas au Proche-Orient et son soutien à Israël dépendra en partie de ce que la politique d’un partenaire « indiscipliné » ne l’entrave pas dans la réalisation de ses propres objectifs stratégiques ailleurs. Et un autre élément important qu’il ne faudrait pas négliger : plus la brutalité d’Israël contre les Palestiniens sera documentée, plus une sorte de revanchisme grandira au sein des populations arabes de la région, ce qui limitera la capacité des classes dirigeantes arabes à passer des accords avec Israël dans un futur proche. Tout cela augure de possibles évènements catastrophiques pour toutes les populations du Proche-Orient et au-delà. A moins que le mouvement de libération palestinien se dote d’une direction profondément révolutionnaire, ouvrière et socialiste capable d’offrir une alternative progressiste aux travailleurs et aux classes populaires palestiniens, arabes et juifs.

En effet, aujourd’hui plus que jamais les tâches de la libération nationale ne peuvent pas être déconnectées d’un programme révolutionnaire, de classe et socialiste. Tous les programmes qui ne prennent pas en compte les questions de classe et des bases matérielles de l’oppression et de l’exploitation des travailleurs et travailleuses palestiniens est condamné à emprunter l’impasse de la conciliation avec l’oppression coloniale israélienne, amputant ainsi le droit à l’auto-détermination palestinienne, ou alors à verser dans une forme de nationalisme sans avenir et en fin de compte réactionnaire qui tomberait dans une sorte d’essentialisation des groupes nationaux, empêchant l’unité de classe des prolétaires des différents peuples de la région contre les classes dominantes et les impérialistes.

Ainsi, contrairement au Fatah ou au Hamas, nous défendons la libération de la Palestine dans une perspective révolutionnaire et socialiste, qui permette l’unité d’action avec les travailleurs et les classes populaires arabes de toute la région contre le colonialisme et l’apartheid israélien. Penser la libération de la Palestine isolément, sans tenir compte du sort et des aspirations des prolétariats arabes de toute la région est entièrement chimérique. Il s’agit là même d’une illusion nationaliste et petite-bourgeoise où « l’unité nationale » palestinienne se ferait entre des secteurs capitalistes et ouvriers, abandonnant ainsi toute revendication de classe contre l’exploitation.

Mais un programme de classe et socialiste ne peut pas oublier le prolétariat juif. Aujourd’hui les travailleuses et travailleurs juifs sont dans une écrasante majorité des soutiens du sionisme et donc de l’oppression des Palestiniens. C’est le résultat de 75 années de colonialisme et de représentation de la cause palestinienne comme une menace à l’existence même de millions de citoyens juifs d’Israël. La propagande sioniste s’alimente en même temps des attaques que certaines organisations de la résistance palestinienne lancent contre la population civile israélienne. Ces attaques poussent dans les faits une partie importante de la population israélienne dans les bras des différents courants sionistes, plus ou moins radicaux ou « modérés ». Pour le mouvement de libération de la Palestine il est stratégique de trouver la façon de frapper le sionisme dans son point faible et pousser des secteurs ouvriers et populaires à rompre avec cette idéologie néfaste, mortifère et profondément réactionnaire.

Pour ce faire, une façon serait de montrer comment le sionisme et les intérêts capitalistes des patrons juifs sont liés. Une direction ouvrière et socialiste palestinienne pourrait offrir une perspective de lutte pour la libération nationale mais aussi de libération du joug patronal dans toute la région, y compris en Israël. Cela confère un rôle déterminant aux citoyens arabes israéliens. Conquérir une fraction de travailleurs juifs contre le colonialisme israélien, en rupture avec le sionisme, serait un coup dur pour l’Etat israélien mais aussi un pas en avant pour briser la méfiance et le ressentiment, tout à fait compréhensibles, de la part de du prolétariat palestinien et arabe dans la région.

Cependant, la fin du colonialisme et de l’apartheid ne seraient pas suffisants sans toucher aux bases matérielles qui les rendent possibles. C’est dans ce sens que le mouvement de libération de la Palestine devrait revendiquer l’expropriation des capitalistes, juifs et arabes, et la construction d’une Palestine libre, ouvrière et socialiste. Cela implique un pouvoir de la classe ouvrière où les droits nationaux, culturels et religieux des Palestiniens, des Juifs et de tous les groupes nationaux du territoire seraient respectés et constitueraient la base d’une coexistence pacifique et fraternelle entre eux. Cette Palestine socialiste devrait s’inscrire inévitablement dans le cadre d’une fédération socialiste du Proche et du Moyen-Orient. Contrairement aux duperies et aux illusions proposés par les courants bourgeois et petit-bourgeois, les socialistes défendent la perspective d’un Etat unique débarrassé de toute oppression nationale, religieuse, de genre ou de tout type ; un Etat libéré de l’exploitation capitaliste, ce qui constitue la garantie de la fin des oppressions ; un Etat ouvrier et socialiste où tout le monde puisse exercer librement sa religion, vivre sa culture sans entrave ni répression. C’est la seule alternative réaliste face aux farces tragiques et aux arnaques proposées par les impérialistes et les réactionnaires de tout type.

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1Ils ont ainsi obtenu en 1979 la contribution fondamentale de la bourgeoisie égyptienne, qui a trahi non seulement la cause palestinienne mais aussi les sentiments profondément pro-palestiniens de son propre peuple quand l’Egypte est devenu le premier Etat arabe à reconnaitre l’existence d’Israël. Cela a été un coup dur pour la Palestine, d’autant plus que l’Egypte avait mené deux guerres contre Israël et s’était proclamé le champion de la cause palestinienne depuis l’arrivée d’Abdel Nasser au pouvoir. Le Caire bénéficie depuis d’une aide financière et militaire très importante de la part des Etats-Unis, et son rôle est déterminant dans le siège et blocage permanent de Gaza par Israël depuis 2007.

[2Inspirés de cette politique, les Etats-Unis avec Donald Trump d’abord et ensuite avec Joe Biden ont adopté une stratégie vis-à-vis de la question israélo-palestinienne tendant à essayer de faire « disparaître » la cause palestinienne à la faveur de la « normalisation » des relations d’Israël avec des Etats arabes. Les célèbres « Accords Abraham » ont ainsi été signés par les Emirats Arabes Unis, par Bahreïn, par le Maroc et le Soudan. Parallèlement, juste avant l’attaque du 7 octobre Israël et l’Arabie Saoudite négociaient aussi une normalisation de leurs relations. De cette façon les bourgeoisies et les roitelets arabes tournaient le dos aux revendications historiques de la Palestine en échange de meilleures relations avec Israël et ses alliés impérialistes.
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