Le mirage d’une solution à deux Etats

Les accords qui ont mis la Palestine à genoux

Ghada Karmi

Les accords qui ont mis la Palestine à genoux

Ghada Karmi

Après l’avalanche de réactions à chaud qu’a suscité le 7 octobre et ses suites, une recontextualisation et un retour historique s’imposent. Dans son livre « Israël-Palestine, la solution : un Etat » traduit et publié par les éditions La fabrique en 2022, la chercheuse palestinienne Ghada Karmi revient sur les impasses qui ont conduit les Palestiniens à la situation actuelle : celle d’un peuple d’exilés et de captifs enfermés dans des enclaves sans pouvoir. Dans le troisième chapitre du livre que nous reproduisons ici avec l’accord de l’éditeur, l’auteure livre une critique rigoureuse du « plan de paix » israélo-palestinien. Dès le départ très encadré par les puissances occidentales, ce processus apparaît comme une suite interminable de renoncements et de reniements de la part de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en échange de quelques miettes et de fausses promesses aussitôt démenties dans les faits par Israël. Karmi dresse un bilan sévère de la grande illusion qui a mené Arafat à signer les accords d’Oslo : celle de mettre un « pied dans la porte » pour arriver pas à pas à constituer un Etat palestinien à côté de l’Etat israélien. Loin du résultat escompté, les négociations n’ont fait qu’accompagner la main mise coloniale de l’Etat d’Israël sur la Palestine et sa politique d’apartheid. Face à la chimère d’une solution à deux Etats, Karmi explique que la seule issue au besoin de justice des Palestiniens, réfugiés compris, et au besoin de sécurité des Israéliens, c’est un Etat laïque en Palestine où tous les habitants pourraient jouir des mêmes droits. Une lecture indispensable.

Ghada Karmi, Israël-Palestine, la solution : un État, Paris, La fabrique, 2022, 13 €, disponible ici

Le «  plan de paix  » israélo-palestinien

Il est plus urgent que jamais de trouver une solution à un conflit qui ruine les existences et compromet l’avenir non seulement des Palestiniens mais de tout le monde arabe (et aussi d’Israël). Les Palestiniens, dont la situation se dégrade de jour en jour, ne peuvent attendre davantage, pendant que l’on propose des solutions toujours plus vaines. Dans les flambées de violence de mai 2021, les communautés palestiniennes sous contrôle israélien à Jérusalem, à Gaza, en Cisjordanie et en Israël même se sont soulevées ensemble. Il y a eu 250 morts parmi eux, plus de 1 000 blessés, et des destructions massives de bâtiments et d’infrastructures à Gaza. Outre ces pertes, la prolongation sans fin de la condition de réfugié pour des millions de Palestiniens, les dangereux efforts d’Israël pour détruire la cause nationale palestinienne sont autant d’impératifs qui demandent une action d’urgence.

Mais en même temps la puissance israélienne, sa domination sur la région et son importance dans les affaires de la seule vraie superpuissance ont augmenté. L’indulgence exceptionnelle de l’Occident envers l’État juif a nourri chez les Israéliens un sentiment d’invincibilité et a gonflé leur vision de la place d’Israël dans le monde. Ils en sont venus à croire que les normes de conduite internationale ne s’appliquaient pas à Israël, protégé de toute censure, de toute sanction quoi qu’il fasse. Un tel État, pourvu d’un puissant arsenal d’armes conventionnelles et nucléaires, est un voisin dangereux fait pour inspirer la peur.

De plus, les Israéliens, surtout après la victoire de 1967, sont convaincus que toute la Palestine historique leur appartient, que les Palestiniens n’ont d’autre choix que de souffrir et que les besoins d’Israël, qu’il s’agisse de terres, de ressources ou de sécurité sont souverains. Pour cette raison, toute concession aux Palestiniens si petite soit-elle est considérée comme un «  douloureux sacrifice  » pour la paix. Pour utiliser le jargon populaire, il existe deux récits nationaux concurrents, et le déséquilibre des forces fait que c’est toujours le récit israélien qui l’emporte.

Non seulement les Palestiniens sont faibles et vulnérables, mais leur seul soutien provient d’un monde arabe dirigé par des gouvernements qui sont eux-mêmes sous influence occidentale et incapables d’affronter Israël.
Le conflit devient plus insoluble que jamais et tandis que l’on propose des plans variés, la confiscation de terres et de ressources par Israël ne fait que progresser, les Palestiniens étant réduits à des enclaves de plus en plus petites ou poussés à émigrer. La résistance palestinienne est réprimée par de brutales représailles dans un total mépris des droits humains. Dans ce climat instable, le soutien aveugle des États-Unis à Israël est d’une insouciance presque incompréhensible.

Le processus de paix israélo-arabe

Peu de termes circulent autant dans le lexique politique en étant aussi dépourvus de sens que le «  processus de paix israélo-arabe  ». Il se référait jadis à un accord entre Israël et les États arabes, mais depuis les accords d’Oslo de 1993, il concerne essentiellement le processus entre Israël et les Palestiniens. Mais bien qu’il se soit écoulé soixante-douze ans depuis l’armistice de 1949 qui mit fin à la première guerre entre Arabes et Israéliens, aucun accord n’a été conclu pour assurer une paix durable dans la région [1]. De nombreux plans ont été proposés, mais aucun n’est parvenu à en finir avec l’hostilité entre Israël et les Arabes.

Pourquoi aucune solution n’a-t-elle fonctionné ? Pourquoi tous les efforts internationaux et régionaux qui semblaient prometteurs n’ont-ils pu résoudre le conflit ? Jusqu’en 1993, quand les accords d’Oslo furent signés entre Israël et l’OLP, les négociations de paix ne portaient pas essentiellement sur la question palestinienne, même si elle était toujours présente ici ou là. Évidemment l’on avait conscience, surtout du côté arabe, que le sujet devait être traité mais sans être jamais une priorité. L’attitude qui prévalait sur la question des réfugiés en est un bon exemple : théoriquement, tout le monde savait qu’il fallait pour eux une solution, mais en pratique ils étaient ignorés ou traités avec condescendance comme des sujets inférieurs. Cette disposition a constamment animé l’approche du processus de paix entre Arabes et Israéliens.

La résolution 242

La célèbre – mais jamais appliquée – résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée après la guerre de 1967 a été la première tentative internationale sérieuse de faire la paix entre Israël et les Arabes, qui a jeté les bases de tous les efforts qui ont suivi. Elle représentait un succès non négligeable pour Israël. Tout en réduisant la question palestinienne à celle des réfugiés dans une phrase presque annexe («  Un traitement juste de la question des réfugiés…  »), elle offrait à Israël la fin de l’état de guerre avec les Arabes, la reconnaissance de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, et elle ouvrait la voie à son acceptation dans la région. En moins de vingt ans après la fondation, Israël passait du stade de paria régional à celui de pays légitime, tandis que les Palestiniens étaient considérés comme un problème humanitaire en attente d’une juste solution, quelle qu’elle soit. Il n’est donc pas étonnant que l’OLP ait rejeté la résolution, qui ne faisait par ailleurs aucune mention de la souveraineté palestinienne sur Gaza et la Cisjordanie après leur évacuation par Israël.

Les manœuvres israéliennes après cette résolution sont une image de ce qui allait se passer par la suite. Jugeant insuffisant ce qui était offert, Israël insistait sur la nécessité de négociations directes avec les États arabes, un par un et sans conditions préalables. Le calcul était toujours le même : les Arabes n’accepteraient pas de telles négociations bilatérales parce qu’elles supposaient la reconnaissance d’Israël sans contrepartie. Dans le hiatus qui s’ensuivit, Israël put continuer à accaparer et coloniser des terres arabes. La communauté internationale ne fit pas grand-chose pour contrer les manœuvres israéliennes et aucun mécanisme international ne fut mis en place pour obliger Israël à se retirer des terres arabes et à respecter les droits humains et politiques des Palestiniens.

Entre 1967 et l’accord de Camp David

La résolution 242 fut suivie d’une intense activité diplomatique. Dans les années 1970, les États-Unis s’alignèrent sur la position israélienne selon laquelle seuls étaient possibles des accords de paix limités avec des États arabes un par un. La cause palestinienne fut mise de côté et l’OLP violemment critiquée pour avoir lancé une campagne de résistance armée contre des cibles israéliennes, d’abord depuis la Jordanie puis, après qu’elle eut été chassée de ce pays, depuis le Sud-Liban – avec des effets bien connus sur la stabilité et l’économie de ce pays.

Si la volonté internationale avait prévalu en 1967 – en s’assurant de l’accord israélien sur les territoires occupés et sur la question cruciale des droits des Palestiniens –, peut-être aurait-on pu éviter le sang versé, la déstabilisation et la guerre au Moyen-Orient. Dans les faits, toute tentative pour résoudre le conflit passait par un mélange de corruption et de brutalité, sans jamais donner assez d’attention à la dimension palestinienne. Chaque accord était passé au détriment des Palestiniens, bien que diverses parties aient essayé d’agir en leur faveur. Le président Jimmy Carter en particulier montra au début le souci de résoudre la question palestinienne. En 1977, il proposa une conférence internationale en conjonction avec la Russie soviétique sur la base de la résolution 242, qui devait inclure une solution pour le problème palestinien et une reconnaissance «  des droits légitimes du peuple palestinien  ». Israël se retirerait des territoires occupés (pas tous) et tout état de guerre cesserait, assurant ainsi la paix et la reconnaissance mutuelle entre Israël et les Arabes. Mais Carter, soumis à une forte pression du Département d’État, d’Israël et du lobby sioniste, fut obligé d’abandonner son idée de conférence internationale, n’étant pas véritablement prêt à faire pression sur Israël pour qu’il l’accepte.

Camp David et ses suites

En 1979, l’Égypte et Israël finirent par conclure un accord de paix séparé. Mais la question palestinienne joua un rôle dans les discussions. Au cours d’interminables négociations, un plan fut adopté qui stipulait qu’après une période de cinq ans pendant laquelle les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza (Jérusalem-Est était hors des limites de l’accord) se prépareraient à «  une pleine autonomie  », une autorité gouvernementale serait formée au terme d’élections libres. Une fois ceci réalisé et les pouvoirs de l’Autorité définis, Israël redéploierait ses forces dans les territoires palestiniens. Puis, après un délai de trois ans, des négociations de paix seraient entamées sur les questions des frontières, de la sécurité et d’autres sujets. Il n’était pas fait mention du retrait d’Israël de Cisjordanie et de Gaza, le statut de Jérusalem était laissé dans le vague et il n’était pas question des colonies illégales d’Israël ni des droits nationaux palestiniens.

En 1981, l’Arabie saoudite proposa un «  plan de paix arabe  » – le plan Fahd – qu’Israël choisit d’ignorer. Il proposait, dans la lignée de la résolution 242, qu’Israël se retire des territoires conquis en 1967 et qu’un État palestinien soit fondé en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est pour capitale. En d’autres termes, les Arabes offraient une reconnaissance implicite d’Israël dans les frontières de 1967 et de Jérusalem-Ouest comme une cité juive (en désaccord avec le plan onusien de partition de 1947 qui prévoyait que Jérusalem ne serait ni juive ni arabe mais administrée par l’ONU).

Ronald Reagan, dans une proposition datée de 1982, reprit le plan Fahd mais d’une façon plus favorable à Israël. Il n’y avait plus ni État palestinien, ni autodétermination, ni participation de l’OLP, mais seulement une autonomie en confédération avec la Jordanie. Les Arabes répondirent que l’OLP était «  le seul représentant légitime du peuple palestinien  », mais comme ils étaient incapables d’imposer cette déclaration – pas plus que toute autre –, l’impact fut nul.

Finalement, ce furent les Palestiniens eux-mêmes qui déclarèrent leur accord à reconnaître formellement Israël, ce qui était implicite dans leur politique depuis 1974. Après que le roi Hussein de Jordanie eut cédé la Cisjordanie à l’OLP en 1987, le Conseil national palestinien, dans un meeting tenu à Alger un an plus tard, offrit à Israël une reconnaissance mutuelle et accepta ce que l’OLP avait jusque-là rejeté, à savoir les résolutions 242 et 338 de l’ONU. C’était une étape majeure pour les Palestiniens par rapport à leur ambition initiale de libérer tout le territoire conquis par les sionistes en 1948. C’était reconnaître ce que l’OLP ne pouvait pas ignorer : étant donné la puissance d’Israël et ses soutiens, le front arabe faible et désuni ne pouvait pas combattre l’État hébreu ni soutenir les Palestiniens. Israël ne manifesta aucun intérêt pour l’offre de l’OLP.

La conférence de paix de Madrid

Vers 1991, il semblait que la stratégie israélienne visant à dépouiller la cause palestinienne de toute signification, suivie fidèlement par les États-Unis, face à une opposition arabe inefficace, était une stratégie gagnante. Les essais pour réunir une conférence internationale n’avaient mené à rien et Israël avait pu consolider sa mainmise sur les territoires palestiniens qu’il occupait. Mais dans les suites de la première guerre du Golfe de 1991, les États-Unis dirigés par George Bush senior, beaucoup moins partisan, étaient déterminés à résoudre le conflit israélo-palestinien dans le cadre du «  nouvel ordre mondial  ». Bush pensait que les États arabes qui avaient aidé la coalition occidentale contre l’Irak seraient d’accord. Une grande conférence internationale fut donc organisée à Madrid en octobre 1991.

Cette conférence organisa une série de négociations multilatérales pour trouver des solutions aux problèmes régionaux majeurs tels que l’eau, le contrôle des armements, le commerce, les réfugiés. Elles durèrent jusqu’en 1993. Comme à Camp David, les Palestiniens se virent offrir un accord intérimaire, qu’ils acceptèrent à condition qu’il débouche sur un État indépendant. Mais comme précédemment, les Israéliens refusèrent, acceptant seulement une autonomie et gardant sous leur contrôle la terre, la sécurité et les Affaires étrangères. Finalement, toutes ces discussions n’aboutirent à rien sur le front palestinien et syrien (les relations entre Israël et la Jordanie ayant marqué quelque progrès) et la conférence de Madrid prit fin sans solution au conflit.

Les accords d’Oslo

En 1993, les Palestiniens eux-mêmes prirent en main le processus de paix. Bien que l’OLP ait fait comme on l’a vu des propositions de coexistence avec Israël depuis 1974 (toutes ignorées par Israël), ils négocièrent cette fois-ci directement avec lui sans les intermédiaires habituels. Mais même dans ces conditions, on le verra, le processus engagé avec Israël échoua de la même façon à résoudre les bases du conflit. Les négociations byzantines, la malhonnêteté, les dérobades, les tricheries et la dégradation progressive de la position palestinienne sont comme une démonstration de la position humiliante des Palestiniens. Pour les Israéliens, ils étaient toujours un «  non-peuple  » et rien n’avait beaucoup changé à cet égard depuis les débuts du projet sioniste.

En 1993, l’OLP avait perdu son importance et se trouvait en quasi-banqueroute. Les traumatismes successifs – l’expulsion du Liban en 1982, le bannissement de ses dirigeants et de ses combattants à la périphérie du monde arabe, au Yémen et à Tunis, et la condamnation de son attitude favorable à Saddam Hussein dans la guerre du Golfe – l’avaient privée de l’essentiel de sa réputation et de ses moyens financiers. Les Palestiniens des territoires occupés, qui s’étaient dressés contre Israël indépendamment de l’OLP en 1987, étaient peu impressionnés par sa conduite à Madrid et par la façon dont elle avait docilement accepté son rôle secondaire et l’offre absurde d’un accord intérimaire, où ils voyaient un moyen permettant à Israël d’accentuer son contrôle sur leurs terres. La fragmentation du front palestinien – que l’Intifada avait accentuée – entre ceux qui étaient sous occupation et ceux du dehors sous une direction impuissante et démoralisée allait bon train. C’était conforme à la volonté israélienne et à ses machinations depuis des années.

Si bien que quand des entretiens secrets entre l’OLP et Israël commencèrent pour préparer les accords d’Oslo, l’interprétation générale fut que Yasser Arafat cherchait à tenir un rôle et voulait relever l’OLP. Et qu’Yitzhak Rabin, dirigeant travailliste élu en 1972, cherchait à se débarrasser de Gaza, la colonie rebelle, surpeuplée et misérable, qui causait plus d’ennuis que ce qu’elle valait. Arafat provoqua la colère de nombreux Palestiniens qui pensaient qu’il les trahissait pour son intérêt personnel.

Pendant l’Intifada, Rabin s’était rendu compte que les Palestiniens n’allaient ni disparaître ni laisser Israël vivre tranquillement. Les groupes islamistes militants, le Hamas et le Jihad islamique, étaient devenus une force importante. De plus, Rabin pensait que la menace sur la nature sioniste de l’État juif – par la croissance démographique, par les échanges croissants entre les deux parties, et peut-être un jour par la revendication des Palestiniens des territoires occupés de droits civiques et politiques égaux à ceux des Israéliens – était trop grande pour être ignorée. Il visait donc à préserver le sionisme, éventuellement dans un territoire plus petit, tant que restait intact un Israël «  purement juif  ». Ce qu’il fit en mettant en œuvre la doctrine de la séparation (en hébreu hafradah), c’est-à-dire en assurant une division physique claire entre les deux parties. Confinés dans leur espace propre, les Palestiniens seraient libres de construire une entité qui aurait toutes les apparences d’un État et qu’ils appelleraient comme ils voudraient.

Les accords d’Oslo furent signés en grande pompe à Washington en 1993, dans une cérémonie qui aurait mieux convenu à une solution définitive et complète du conflit israélo-arabe alors qu’il ne s’agissait que d’un accord limité, conclu entre un État d’un côté et une organisation de l’autre. Cet accord signifiait qu’Arafat, censé représenter l’ensemble de la nation palestinienne, reconnaissait le droit d’Israël à exister, renonçait au «  terrorisme  » et s’engageait à le contrôler, et supprimait les parties de la charte de l’OLP hostiles à Israël. En fait, l’OLP reconnaissait Israël comme État sans reconnaissance réciproque des droits palestiniens à un État.
Israël recevait donc le plus grand cadeau qu’il pût espérer depuis sa fondation. D’un trait de plume, Arafat légitimait le sionisme, l’idéologie même qui avait engendré et perpétuait la tragédie palestinienne. Bien sûr, jusque-là, Israël s’était bien tiré d’affaire sans cette reconnaissance mais, pour ceux dont la vie avait été ruinée par sa création, devoir accorder leur bénédiction à cette ruine était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.

Les accords d’Oslo avaient débuté comme une audacieuse tentative des Palestiniens pour prendre en main leurs affaires en se confrontant directement à Israël. Et de fait, l’accord suscita un grand optimisme parmi eux et une hostilité envers ses détracteurs, condamnés comme «  ennemis de la paix  ». Mais les choses tournèrent autrement qu’ils l’espéraient. Israël ne tint pas ses promesses sur les dates butoirs, et les zones qui furent finalement confiées à l’Autorité palestinienne n’eurent aucune véritable souveraineté. Arafat lui-même avait besoin de la permission d’Israël chaque fois qu’il prenait l’hélicoptère pour aller d’un lieu à l’autre, car l’espace au-dessus des territoires occupés était contrôlé par Israël – comme toute entrée ou sortie des territoires, en dépit d’un ridicule arrangement destiné à faire plaisir aux Palestiniens, où les check-points étaient gérés par des officiels palestiniens, tandis que des gardes israéliens invisibles derrière leurs écrans les surveillaient et pouvaient à volonté contredire leurs décisions.

Israël gardait le contrôle des frontières, de l’espace aérien et des colonies ; son armée pouvait circuler librement sur toutes les routes et avait, en matière de sécurité, tous les droits dans la vie des Palestiniens. Comme on pouvait s’y attendre, le processus tortueux des négociations avec ses blocages, ses offres faites puis retirées, fut ponctué d’accès de violence palestiniens contre des cibles israéliennes, provoquant à chaque fois des représailles massives. Et à chaque fois, Israël demandait à Arafat de «  contrôler la violence  », de «  combattre le terrorisme  », un refrain rendu familier par son usage quotidien jusqu’à aujourd’hui. En même temps, Israël ne prenait aucune mesure contre la violence des colons et celle de ses propres troupes (par exemple, Gaza resta sous couvre-feu de juin 1993 à janvier 1994). Malgré tout, les villes principales comme Jénine, Tulkarem, Qalqilya, Ramallah et Naplouse passèrent finalement en zone A, devenant autonomes pour les affaires civiles. Mais Hébron, dont l’évacuation partielle ne se fit qu’en 1997, resta un lieu propice à la provocation des colons extrémistes au centre de la ville, gardés par des milliers de soldats israéliens.

Le programme d’Arafat

Pourquoi Arafat et ses collègues ont-ils accepté tout cela, pourquoi ont-ils donné leur accord à Oslo ? On a donné à cette question diverses réponses : Israël avait reconnu l’OLP et donc l’existence d’un peuple palestinien qui nécessitait une solution ; la résolution 242 avait été prise comme base du processus de paix, soulignant la formule «  la paix contre la terre  » qui s’appliquait aussi aux territoires palestiniens ; les sujets dont Israël avait fait des tabous – Jérusalem, les colonies, les réfugiés – étaient inscrits sur le programme des négociations. Ces implications des accords d’Oslo étaient strictement vraies, mais l’optimisme qu’elles avaient engendré fut de courte durée. Ce que les Palestiniens constataient, c’était l’expansion des colonies, les check-points et les routes de contournement : la réalité était bien différente de ce qu’ils avaient espéré.

Ce n’est pas qu’Arafat ignorât tout cela, ou que son apparente acceptation de la colonisation israélienne rampante fût une trahison de la cause palestinienne comme certains l’en ont accusé. Son programme allait au-delà de telles considérations. Il croyait fermement dans la tactique «  du pied dans la porte  », c’est-à-dire que si Israël pouvait être poussé à accepter certaines concessions sous la forme de modestes étapes vers l’indépendance, s’il acceptait de reconnaître les Palestiniens comme une nation pourvue de droits, ce serait le premier stade d’un processus continu qui se terminerait inexorablement par la création d’un État.

Arafat était si accroché à cette idée qu’il subordonnait toute objection qu’il aurait pu élever contre les demandes hégémoniques d’Israël à son but suprême qui était de maintenir l’élan vers la création d’un État. Il manifestait un incroyable empressement à accepter la moindre miette tombée de la haute table israélienne, et une réticence à utiliser le moindre levier pour obtenir un meilleur accord [2]. Arafat était convaincu qu’Israël était trop fort pour une confrontation directe. La seule façon d’aboutir à ce que voulaient les Palestiniens était de s’entortiller dans un processus qui, malgré lui, finirait par la création d’un État palestinien. C’est pour cette raison que l’Autorité palestinienne assuma les pièges de la nationalité, qu’elle nomma des ministres, établit des institutions, créa un drapeau national, une monnaie palestinienne et un passeport. À première vue tout cela était ridicule dans une situation d’occupation coloniale mais prenait du sens comme «  création de faits  », projetant dans le monde l’image d’un État en gestation qui, malgré des conditions peu propices, serait difficile à ignorer.

La poursuite de cette politique conduisit les dirigeants palestiniens dans une spirale descendante, abandonnant toujours plus de leurs conditions préalables et se plaçant dans une misérable dépendance par rapport aux bons offices de leur puissant patron, l’Amérique. Comme Sadate avant lui (et comme tous les leaders arabes), Arafat pensait que l’Amérique avait toutes les cartes et il cherchait à la satisfaire à n’importe quel prix. Mais comme toujours, Israël, conscient de cette situation, prenait avantage de la faiblesse d’Arafat et de la vulnérabilité palestinienne pour pousser à de nouvelles concessions.

Par la suite, tandis que le processus de paix s’engluait dans les délais et les difficultés, plusieurs tentatives furent faites pour le ressusciter. Aucune n’eut le moindre succès : toutes considéraient les deux parties comme égales et discutaient de la situation non pas à partir d’un point de référence, d’un principe, mais du point de vue du moment. Israël, habile à faire bouger les poteaux de but, en était le grand bénéficiaire tandis que les Palestiniens se trouvaient obligés d’accepter à chaque fois les nouveaux termes. Israël pouvait suspendre ou amender telle ou telle partie du processus, comme il lui plaisait. Le vieux procédé consistant à imposer un règlement aux Palestiniens à leurs dépens était une fois de plus évident.

Les discussions de Camp David

Le processus de paix bloqué une fois de plus, une réunion entre Israéliens et Palestiniens fut programmée à Sharm el-Sheikh en septembre 1999, qui aboutit à ce que l’on a appelé le mémorandum de Sharm el-Sheikh ou Wye II [3]. Mais rien n’avait avancé sur le front palestinien. Les négociations finales n’avaient pas commencé et le programme de règlement évoluait de façon aussi heurtée que d’ordinaire. Les négociations de Camp David de juillet 2000, lancées sous l’impulsion des Américains désireux d’aboutir à un règlement final, eurent lieu pour en finir avec cette impasse. Israël jugeait que les Palestiniens étaient plus faibles que jamais et qu’ils accepteraient un accord à n’importe quel prix, tandis que Clinton voulait absolument aboutir à un règlement au Moyen-Orient avant la fin de son mandat.

La rencontre entre Arafat et Ehud Barak, Premier ministre israélien, quatorze jours épuisants de négociations intensives, de bras tordus, d’intimidation et de coercition à l’encontre des Palestiniens, se termina par un échec complet. Il faut se souvenir que la terre, sujet de la négociation, était largement colonisée par les implantations israéliennes, les routes de contournement et les «  zones de sécurité  ». L’Autorité palestinienne avait le contrôle total ou partiel sur 42 % des terres. Israël proposait d’annexer 10-13 % de la Cisjordanie, où se trouvaient 90 % des colonies. Elles formaient trois blocs massifs au nord, au centre et au sud de la zone, et elles étaient destinées à s’étendre et à se connecter entre elles et à Israël par les routes de contournement qui occupaient encore davantage de terres palestiniennes. Sans que ce soit un hasard, les zones tenues par les Israéliens étaient celles où se trouvaient les principales sources d’eau de Cisjordanie, fermement contrôlées par Israël. Une part importante de la vallée du Jourdain représentant 14 % de la Cisjordanie serait maintenue sous contrôle israélien comme zone militaire, pendant douze à vingt ans. Les zones palestiniennes seraient reliées par une série de tunnels et de ponts, et Hébron resterait divisée. Il en résulterait un territoire palestinien sans continuité, des enclaves séparées par des bandes de territoire tenues par Israël.

Comme toujours, Israël rejetait toute idée de responsabilité pour les réfugiés palestiniens, que ce soit historiquement ou moralement. Il y aurait bien un droit au retour, mais ce serait dans la future entité palestinienne, et même cela restait douteux puisque Israël contrôlait les frontières et l’espace aérien et pourrait s’opposer à de telles infiltrations. Tout retour de réfugiés resterait donc à la discrétion d’Israël et Barak parlait d’un programme de réunions familiales progressif avec un maximum de 10 000 réfugiés. On pouvait envisager des compensations pour les autres, mais à condition que l’argent provienne d’un fonds international sans aucun coût pour Israël (et dont les Juifs expulsés des pays arabes après 1948 bénéficieraient eux aussi). Barak ne fit aucune excuse, aucun pas vers la reconnaissance de la tragédie des réfugiés.

Et après tout cela, on demandait aux Palestiniens de signer un document déclarant la fin du conflit en abandonnant toute revendication future contre Israël. Les positions des protagonistes étaient donc diamétralement opposées sur tous les points litigieux, et le seul arbitre capable d’aplanir les divergences était profondément acquis aux impératifs et au confort israéliens. Il était clair qu’Israël n’était pas disposé à se retirer sur la frontière de 1967, qu’il n’évacuerait pas les colonies, qu’il ne lâcherait pas Jérusalem-Est et qu’il rejetait le droit au retour des réfugiés.

Faire converger ces positions était une tâche herculéenne, et rien de tel n’eut lieu à Camp David. Les propositions de Camp David étaient une insulte pour la cause palestinienne. Elles étaient faites dans le même esprit que les accords d’Oslo sept ans plus tôt. La situation était celle du prince et du pauvre : les Palestiniens devaient accueillir tout ce qu’ils pouvaient obtenir non comme un droit mais comme des largesses de la part d’Israël. S’ils demandaient davantage, ils pouvaient, comme Oliver Twist, être taxés de cupidité. Telle était la réalité derrière la rhétorique de Camp David présentée comme un processus contractuel entre deux parties équivalentes. Un coup d’œil sur ce qui a été négocié à Camp David montre combien étaient ridicules les propositions faites aux Palestiniens.

L’échec des pourparlers de Camp David fut d’une extrême gravité pour les Palestiniens et pour les Israéliens. Il conduisit à l’explosion de la seconde Intifada, qui était armée et plus violente que la première. Dans les cinq années qui suivirent, plusieurs tentatives furent faites pour arrêter la violence et faire revenir les parties à la table des négociations. Il ne semble pas qu’Israël et ses alliés aient compris que chercher la paix sur la base d’un pouvoir inégal avec un arbitre partisan n’était pas une solution gagnante. Laissé à lui-même, Israël était satisfait de continuer à accaparer la terre et les ressources, et à construire des colonies avec un minimum de réactions. Avec l’élection d’un nouveau gouvernement en Israël sous la direction du faucon Ariel Sharon, toutes les négociations cessèrent et l’Intifada fit rage.

En 2001, un comité sous la présidence de l’ex-sénateur George Mitchell recommanda, entre autres, que l’Autorité palestinienne fasse «  un effort maximal  » pour contrôler la violence et que «  le gouvernement israélien puisse le constater  », en échange de quoi Israël gèlerait la construction de colonies et «  envisagerait  » de retirer ses forces sur les positions qu’elles occupaient le 28 septembre 2000, veille de la date du début de la seconde Intifada. Les parties devaient revenir à la table de négociation «  dans un esprit de compromis et de réconciliation  ».

Cette nouvelle formule reçut le nom de «  feuille de route  ». Partant d’un appel de George Bush en 2002, elle était fondée sur un plan prévoyant la création d’un État palestinien. Sa mise en pratique devait être supervisée et suivie par le Quartet – États-Unis, Russie, UE (Union européenne) et ONU – dans un délai bref, débuter en 2003 et aboutir à un État palestinien en 2005. C’était un plan précis et détaillé, chaque étape étant jugée selon le comportement des parties. Pour ses trois phases il était prévu des intervalles de temps précis où une série d’actions devaient être menées par chacune des parties, la nouvelle phase commençant lorsque la précédente était jugée satisfaisante.

Comme les accords d’Oslo, ce plan reposait sur une approche progressive, fondée sur le processus plus que sur la substance réelle. Il ne comportait aucun mécanisme contraignant, la bonne volonté des parties étant essentielle à son exécution, et malgré la surveillance et l’arbitrage du Quartet, la décision revenait comme d’habitude aux États-Unis. Après 2014, quand John Kerry, envoyé spécial d’Obama dans la région, eut fait les plus grands efforts – en vain – pour rapprocher les parties, les négociations de paix prirent fin.

En résumé, aucun accord de paix israélo-palestinien n’a été mis en œuvre à l’heure qu’il est. Et il en sera ainsi tant que les paramètres resteront inchangés ; à savoir qu’il est possible de faire un accord au détriment des Palestiniens mais qu’il n’est pas envisageable de faire pression sur Israël pour concéder quoi que ce soit. Si l’on met ensemble ces deux idées, avec à l’esprit l’énorme différence de puissance entre les deux parties, il apparaît que le seul accord possible est celui qui sera imposé par le plus fort. Et c’est ce que le «  processus de paix  » entre Israël et les Palestiniens a tenté de faire.

Toutes les propositions avancées cherchaient à satisfaire Israël en proposant des termes toujours plus désavantageux pour les Palestiniens. Même quand les Palestiniens sont entrés eux-mêmes dans le processus de paix, leur direction était prête à céder pour obtenir des concessions d’Israël. Ce processus, qui avait commencé par l’érosion progressive de l’objectif de libérer la totalité de la Palestine pour accepter de n’en conserver qu’une partie, a culminé avec la capitulation d’Arafat dans les termes des accords d’Oslo. Cette longue histoire de marginalisation a créé dans l’esprit des politiciens et des populations l’idée qu’une solution qui ne prendrait pas en compte les bases d’une issue juste pour les Palestiniens pouvait néanmoins être acceptable.

Le mouvement d’abandon des droits fondamentaux des Palestiniens était la conséquence logique de leur peur d’être réduits à rien par Israël. C’était une stratégie désespérée pour sauver quelque chose qui pourrait servir à rassembler les restes de la Palestine. Sans ce sacrifice, Arafat et ses successeurs pensaient qu’Israël finirait ce qu’il avait commencé en 1948 : la destruction du peuple palestinien, la perte de la terre et peut-être leur expulsion.

Les Palestiniens n’ont jamais représenté une menace physique pour Israël. Ils avaient plutôt le pouvoir moral d’invalider la prétention d’Israël à être une nation légitime sur sa propre terre – par leur existence même, comme témoins de leur propre dépossession. La réaction hystérique d’Israël à toute mention des réfugiés est motivée par cette peur. Tant que leur cause survivrait, un point d’interrogation pendrait au-dessus de la légitimité de l’État juif.

Il n’est pas douteux que les faiblesses, les erreurs de la direction ont contribué à la dégradation de la cause palestinienne. Qu’Arafat ait conclu qu’il n’y avait pas d’autre solution que de s’incliner devant les demandes d’Israël était une erreur. Les Palestiniens n’avaient pas de pouvoir formel, c’est vrai, mais ils avaient un pouvoir négatif, celui de dire «  non  » aux conditions mises par Israël à Oslo et par la suite. L’incapacité à exploiter le fait qu’Israël n’aurait jamais négocié en 1993 s’il n’en avait pas eu besoin – ce qui donnait aux Palestiniens le pouvoir du veto – fut une erreur essentielle. Il y aurait toute une histoire à écrire sur les fautes, les naïvetés, les pures folies de la conduite palestinienne, sans parler de l’inaptitude, l’égoïsme et la timidité des gouvernements arabes. Mais même dans ces conditions, l’échec des Palestiniens à se défendre efficacement justifie-t-il ce qu’on leur a fait ? Où est-il écrit que la stupidité est un crime qui mérite punition ? Quoique non stupides, les Palestiniens ont été sommés de se transformer en quelques années de paysans et de réfugiés en un peuple moderne capable de se défendre contre les attaques sophistiquées d’Israël et de ses alliés. Qu’ils aient échoué de diverses façons ne doit pas surprendre. Au contraire, la surprise est qu’ils aient fait tant de chemin.

La principale cause de la dégradation de la Palestine, proche aujourd’hui de la destruction, c’est le soutien constant et l’indulgence manifestée vis-à-vis de l’État juif par les États-Unis et l’Europe depuis sa fondation – et même avant. À plusieurs moments, dans les soixante-treize dernières années, il a été possible de revoir cette politique. Mais personne ne s’en est soucié, car l’action nécessaire pour rectifier le problème impliquait de poser de difficiles questions sur la nature de ce qu’on avait créé au Moyen-Orient, et aussi d’inverser la politique occidentale envers l’État juif. Grâce à la négligence générale, Israël a réussi à rendre méconnaissables les territoires occupés. Il les a colonisés, découpés en cantons, a érigé une infranchissable barrière autour de ces cantons, créant une série de ghettos dans lesquels les Palestiniens ne peuvent pas vivre normalement. Chaque communauté est séparée des autres et il est difficile de se rendre à Jérusalem. Il faut cheminer sur des routes «  illégales  » tortueuses non asphaltées, ce qui prend des heures avec le risque d’être bloqué dans un checkpoint ou arrêté par une patrouille israélienne.

Rien de tout cela n’est nouveau, mystérieux, ni caché. Les informations sont dans le domaine public, disponibles pour n’importe qui, et souvent exposées dans les médias. C’est évidemment encore mieux connu par les myriades d’experts et de spécialistes des gouvernements américains et européens. Israël n’a jamais caché son programme de colonisation des territoires palestiniens. Il a sans cesse travaillé publiquement à judaïser Jérusalem et a fini par en faire sa capitale, vociférant contre toute opposition à ce mouvement illégal. Il a réussi, en pleine lumière, à découper les territoires palestiniens en enclaves séparées sans moyens physiques de connexion. Pendant des années, il a modifié le terrain comme s’il n’existait aucune loi internationale ni aucun processus de paix. Les résultats sont visibles sur les nombreuses cartes des territoires occupés, qui montrent le maillage que forment les colonies, les routes de contournement et le mur-barrière qui découpent le territoire en un puzzle de pièces israéliennes et palestiniennes. En même temps, les violations des droits humains des Palestiniens sont montrées à la télévision, décrites par des journalistes, documentées par les ONG et observées par les diplomates, les églises, les groupes internationaux et la foule des visiteurs.

Si un Martien débarquait aujourd’hui en Cisjordanie, il comprendrait en un clin d’œil la stratégie israélienne et en tirerait la conclusion évidente : le territoire qu’il voit ne peut pas devenir un État d’une seule tenue. Pourtant, le discours occidental officiel maintient que c’est possible et que cela va arriver. Les puissances occidentales continuent à parler d’une «  feuille de route  » menant à la création d’un État palestinien «  indépendant, viable et contigu  », et avancent des motions pour tenter de le créer.

Il n’est pas possible que les officiels des gouvernements occidentaux et leurs analystes ne sachent pas tout cela. Alors, que se passe-t-il ? Pourquoi persistent-ils à faire des promesses aux Palestiniens dont ils savent qu’elles ne seront pas tenues ? Tout en sachant qu’aucun président américain, aucun dirigeant européen n’est prêt à faire face à Israël ou à exercer la moindre pression pour l’obliger à coopérer. S’agit-il d’un jeu cynique destiné à calmer l’opinion arabe et musulmane et à maintenir une façade d’ami de la paix pour leur propre électorat ?

Si c’est le cas, c’est un jeu mortel aux dépens des vies palestiniennes et de la sécurité de toute la région. Continuer dans ce sens serait une négligence criminelle, une impardonnable irresponsabilité. Les Palestiniens et tous les Arabes ont le droit de savoir si l’Occident est sérieux quant à une résolution du conflit ou s’il joue un jeu. Dans le premier cas, alors il doit prendre les mesures nécessaires pour que l’accord se fasse. Dans le second, alors les Palestiniens doivent se retirer d’un processus de paix fondé sur de tels termes. Pendant trop longtemps, ils se sont laissé utiliser comme des pions dans un jeu joué pour d’autres – sionistes accomplissant leur rêve, Européens expiant leur culpabilité post-nazie, Américains poursuivant leurs objectifs stratégiques et exprimant leur ferveur évangélique, régimes arabes légitimant leur existence aux yeux de leur population. Si les Palestiniens avaient pris conscience de leur force comme potentiels déstabilisateurs d’une région importante, comme icône pour des millions d’opprimés, comme clé de la diffusion d’une rébellion islamique antioccidentale, et comme élément central d’une solution pacifique du conflit israélo-arabe, ils ne seraient pas devenus si dociles face aux desseins israélo-occidentaux.

Avec un monde occidental voulant contenter Israël, quel type de solution peut-il émerger ? Et si l’on finit par abandonner le pseudo-processus de paix, quels seraient les paramètres pour une solution juste et durable – et non les bricolages à court terme qui ont été proposés jusqu’ici ?

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1Pour cette section, je dois beaucoup au livre de Charles Smith, Palestine and the Arab-Israeli conflict. Et aussi à William Quandt, Decade of decisions.

[2Par exemple, il n’y avait aucun avocat dans l’équipe palestinienne lors des négociations, et on n’utilisait pas de cartes pour la division des territoires en zones A, B et C après les accords d’Oslo 2.

[3The Sharm al-Shaykh Memorandum (Wye II) and related documents. Journal of Palestine Studies, vol. 29, p. 143-156, 2000.
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