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« L’esclavage c'est fini ! »

Grève à Emmaüs : « ils s’attaquent à l’ensemble des mécanismes de solidarité », Saïd Bouamama

Après 102 jours de grève des sans papiers de Emmaüs Saint-André-Lez-Lille, Saïd Bouamama ainsi que le secrétaire général de la CGT 59 sont attaqués en justice par leur direction pour avoir occupé le site de Emmaüs pendant 10 jours. Entretien avec Saïd Bouamama.

Ivan Ferrero

12 octobre 2023

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Grève à Emmaüs : « ils s'attaquent à l'ensemble des mécanismes de solidarité », Saïd Bouamama

Révolution Permanente : Vous entamez votre 102ème jour de grève à Emmaüs de Saint-André-Lez-Lille, le site de Grande Synthe en est à son 59ème jour de grève et le 31 septembre, un nouveau site d’Emmaüs est entré en grève à Nieppe. Est ce que tu peux nous parler de vos liens avec eux et de la dynamique d’extension du mouvement ?

Saïd Bouamama : Effectivement, les compagnons de Nieppe sont entrés en grève il y a deux semaines. Les grévistes sont très courageux car c’est un petit site qui est isolé. Cependant, la grève à des effets importants : ils empêchent les livraisons des dons. Tous les jours, on a des camarades qui vont sur leur piquet pour discuter avec eux et on a mis en commun la caisse de solidarité pour les aider parce qu’ils n’ont rien.

Nous sommes en lien avec une dizaine de communautés Emmaüs. Néanmoins, il faut bien comprendre la difficulté de dépasser la peur pour les compagnons et de se mettre en grève. C’est encore plus compliqué qu’une grève « ouvrière » : en plus de toutes les problématiques d’une grève « classique », chaque sans-papiers se demande est-ce que je vais me faire arrêter et expulser si je rentre en grève ? Est-ce qu’on va m’expulser de mon logement ?

La semaine prochaine la CGT va demander à toutes ses unions locales d’aller voir chaque Emmaüs de France pour voir s’ils font face aux mêmes problèmes que nous. On ne sait pas ce que ça va donner dans les faits mais on poursuit dans notre volonté de nationaliser le conflit. Des actions sont à venir à Paris également.

RP : Tu as récemment annoncé avoir été assigné en justice par Emmaüs, est que tu peux nous dire ce qui t’es reproché ?

SB : Vendredi dernier, nous avons reçu une assignation en justice suite à une plainte déposée par le président de l’Emmaüs de Saint André sous l’intitulé « affaire Bouamama - Emmaus ». Elle vise neuf personnes : sept grévistes de Saint-André-Lez-Lille, le secrétaire général de l’union départementale de la CGT 59, Jean-Paul Delescaut et moi-même. Nous sommes accusés « d’occupations des locaux », de « détérioration de matériel » et de « sabotage des caméras de surveillances », la direction réclame 1200 euros de dettes d’astreintes par heure d’occupations du site.

On a été prévenu le vendredi pour une audience qui devait se tenir lundi, nos avocats se sont rapidement mis sur l’affaire et ont obtenu son report au 31 octobre. Ils tentent de nous faire peur pour casser la grève. Ils savent qu’après plus de 100 jours de grève, en demandant plusieurs milliers d’euros à des sans-papiers qui n’ont même pas de revenus, ils peuvent diffuser la panique. Malheureusement pour eux, ils se sont trompés sur toute la ligne et cela a, au contraire, ressoudé le groupe.

Le moral est bon car on vient d’obtenir une première victoire ! Notre plainte pour traite d’êtres humains a été enregistrée, la justice a reconnu qu’il y a suffisamment d’éléments, ce qui donne le droit aux compagnons à un titre de séjour jusqu’à la fin de la grève. Néanmoins la préfecture fait traîner le dossier et si l’on n’obtient pas rapidement ces titres de séjour on va à nouveau radicaliser le mouvement. Face à la répression, on appelle à la solidarité la plus large possible le 31 octobre devant le tribunal de Lille pour montrer qu’on ne se laissera pas faire.

RP : Face à cette répression, Emmaüs National a annoncé son désaccord avec la direction de Emmaüs de Saint-André-Lez-Lille, qu’en est-il de leur soutien ?

SB : Emmaüs National, après deux mois de silence, ont annoncé entamer une procédure de sanctions contre les directions de Emmaüs Grande Synthe et Saint André-Lez-Lille, qui visent à les désaffilier de Emmaüs, et qui va aboutir … en juin 2024. Cela montre l’importance de l’extension du conflit à l’échelle nationale pour leur mettre la pression. Emmaüs, apparait souvent comme un symbole intouchable qui agit en faveur des plus démunis. En réalité, il ne s’agit pas de la mauvaise gestion d’une personne ou d’un site en particulier, il s’agit d’un système d’exploitation qui a été mis en place. On s’adresse au business de l’humanitaire, c’est un scandale national.

RP : Cette tentative de répression intervient dans un contexte d’offensives sécuritaires très important avec la répression de la CGT Énergie ou encore le procès des inculpés du 8 décembre. Quel est le sens politique de cette répression selon toi ?

SB : Le simple fait qu’ils aient poursuivi et que la justice soit allée aussi vite nous montre bien qu’on est face à une justice de classe qui n’hésite pas quand c’est des noirs et des arabes. Par ailleurs, le fait que la plainte soit à mon nom montre également une volonté de s’attaquer aux militants, il s’agit en réalité du procès de la solidarité.

Je pense que la classe dominante a conscience que la gestion économique ultra libérale provoquera inévitablement des mouvements d’ampleurs sous des formes multiples comme après la mort de Nahel, les Gilets jaunes ou sous la forme de grève comme lors de la réforme des retraites. Par conséquent, la répression est un choix conscient pour anticiper les luttes à venir.

RP : Jusqu’ici les directions syndicales n’ont pas pris à bras le corps la question de la répression, pourquoi ?

SB : Ce serait vraiment suicidaire de la part des syndicats des syndicats de ne pas prendre en compte la question de la répression parce que cela ne va faire qu’empirer . Non seulement ils attaquent des travailleurs, car ce n’est pas un combat humanitaire, mais derrière cela il y a deux symboles attaqués : le secrétaire général de la CGT 59 et l’ensemble des militants syndicaux et le porte-parole du CSP 59. Ils s’attaquent à l’ensemble des mécanismes de solidarité. Tous les militants qui sont poursuivis pour leur engagement et leur militantisme doivent être soutenus le plus largement possible.

Face à l’offensive grandissante de répression du gouvernement, il faut que les dynamiques de solidarité s’organisent et se structurent afin de pouvoir répondre rapidement à ces attaques. J’en appelle à une vraie réflexion sur le sujet y compris avec l’idée d’un fonds commun national à l’image du Secours Rouge International dans le passé, qui pouvait être mobilisé rapidement en termes d’argent et d’infrastructures.

Face à cette tentative de briser le mouvement, c’est l’ensemble du mouvement ouvrier qui doit se solidariser alors que les travailleurs les plus précaires de notre camp social sont attaqués mais également le secrétaire général de la CGT 59 et le porte-parole du CSP 59. Soyons nombreux devant le tribunal de Lille le 31 octobre et donnons à leur caisse de grève !


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