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Sous-traitance

Surexploitation des sans-papiers : La Poste condamnée à réviser son plan de sous-traitance

Le 5 décembre dernier, le tribunal judiciaire de Paris a condamné le groupe La Poste pour manquement à son « devoir de vigilance » vis-à-vis de ses multiples sous-traitants. Un procès illustrant la surexploitation permise par la sous-traitance, à l’heure où le gouvernement devrait encore durcir sa future loi immigration.

Manon Chaïbou

13 décembre 2023

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Surexploitation des sans-papiers : La Poste condamnée à réviser son plan de sous-traitance

Crédit photo : Wikimedia Commons

Une décision en faveur de la reconnaissance de la responsabilité de La Poste vis-à-vis des agissements de ses sous-traitants

Ce mardi 5 décembre, le tribunal judiciaire de Paris a condamné le groupe La Poste pour manquement à son « devoir de vigilance » vis-à vis de ses multiples sous-traitants. Ce jugement est l’aboutissement d’une procédure initiée il y a 4 ans par le Syndicat Sud PTT, qui a assigné La Poste en justice en s’appuyant sur la loi du 27 mars 2017 relative au « devoir de vigilance » des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre. Cette loi a ajouté des dispositions au code de commerce, obligeant les sociétés ayant recours à la sous-traitance à établir et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, pour prévenir les «  atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle  ».

Dans son jugement, le tribunal judiciaire de Paris considère que La Poste n’a pas suffisamment bien cartographié dans son plan de vigilance les risques qu’elle faisait courir en matière de droits humains, de santé et de sécurité aux salariés de ses sous-traitants et n’a pas pris les mesures suffisantes pour prévenir ces risques. La Poste a été condamnée à compléter son plan de vigilance, les mesures d’ordre général étant insuffisantes.

Ce procès, dont l’audience s’est tenue le 19 septembre dernier avait été l’occasion de mettre en lumière le « business model » de la sous-traitance à la tête duquel se trouve La Poste, et qui en bout de chaîne impose les conditions de travail les plus indignes à des centaines de travailleurs sans-papiers, à l’image de ceux des filiales Chronopost et DPD, entrés en grève il y a plus de deux ans, pour leur régularisation et contre leur surexploitation.

Pour Aboubacar Dembele, porte-parole des grévistes de Chronopost à Alfortville et membre du Collectif des Sans-Papiers de Vitry, au-delà des considérations techniques, cette décision permet de reconnaître la responsabilité de La Poste dans ce système, responsabilité qu’elle n’a eu de cesse de nier : « Ça montre qu’on a raison depuis le début, qu’on est surexploité, et que c’est une réalité. Cette décision montre que les vrais employeurs, ce sont eux, car ils sont les donneurs d’ordre, et que ce n’est pas possible de se laver totalement les mains en disant que c’est la responsabilité des sous-traitants ».

Pour Céline Gagey, avocate dans ce dossier, le juge est allé au-delà de l’interprétation étriquée que faisaient les entreprises de leur devoir de vigilance. Plus largement, pour elle cette décision « met fin à la position de La Poste qui consistait à totalement se dédouaner de toute responsabilité, et de faire comme si elle n’était absolument pas au courant de ce qui se passait auprès de ses sous-traitants ».

Cette décision met ainsi en lumière la réalité du modèle de la sous-traitance, utilisé de surcroît par une entreprise publique, qui conduit toujours à la précarisation extrême des conditions de travail, à l’image de celles des travailleurs sans-papiers des centres de tri de colis en Ile-de-France. Mais face à l’ampleur des problèmes que posent le système de sous-traitance, cette décision peut également sembler décevante face à l’implacabilité du système de surexploitation développé par La Poste depuis de nombreuses années.

Internalisation de tous les travailleurs et régularisation de tous les sans-papiers, seule solution contre le « business model » inhumain de La Poste

Dans le jugement du 5 décembre, les injonctions faites à La Poste portent uniquement sur son plan de vigilance, mais ne permettent pas de forcer La Poste à prendre des mesures précises pour mettre un terme aux atteintes graves portées aux droits des travailleurs, et à leurs conditions de travail indignes.

En effet par cette décision, La Poste est tenue de compléter son plan de vigilance en cartographiant mieux les risques auxquels elle expose les travailleurs, d’établir dans son plan, des procédures d’évaluation de ses sous-traitants en fonction de ces risques, de compléter son plan par un mécanisme d’alerte et de recueil de signalements, et de mettre en place un dispositif de suivi de ces mesures. Pour autant, toutes les demandes du Syndicat Sud PTT tendant à enjoindre à La Poste, au-delà de son plan, de prendre de manière effective des mesures pour prévenir les risques réels tels que le travail non-déclaré, les pratiques de prêt illégal de travailleurs entre entreprises, ou encore le harcèlement, ont été déboutées. De ce point de vue, l’impact de ce jugement et les conséquences qu’il pourrait avoir semblent pour le moins minimales, face à la réalité des conditions de travail.

Pour mettre un terme à ce système de sous-traitance en cascade, responsable de la surexploitation, il est nécessaire d’exiger l’internalisation de tous les travailleurs, et la régularisation de tous les sans-papiers. Les grévistes des centres de tri de Chronopost et DPD à Alfortville et Coudray-Montceaux, en grève depuis plus de 2 ans l’ont bien compris. C’est par la construction d’un rapport de force à la hauteur contre La Poste et contre la préfecture qui refuse toujours de les régulariser qu’ils pourront obtenir gain de cause : « Leur technique c’est de laisser pourrir la situation. Mais nous on n’a pas le choix, on continue de lutter jusqu’à ce qu’on obtienne la régularisation de tous les grévistes, et de tous les autres travailleurs sans-papiers qui sont venus en soutien », déclare Aboubacar Dembele.

En effet, le rapport de force est crucial pour faire plier les sous-traitants et donneurs d’ordre. Ce sont tous les travailleurs de La Poste, qu’ils soient postiers ou embauchés par des sous-traitants, qui doivent revendiquer leur internalisation, et porter également la revendication de la régularisation des travailleurs sans-papiers.

Une lutte que le reste du mouvement ouvrier ne doit pas laisser isolée, en la soutenant et en l’inscrivant dans une bataille plus large contre la politique xénophobe du gouvernement incarnée dans sa loi immigration. A l’heure où le Rassemblement National surfe sur la crise politique pour s’imaginer à la tête du gouvernement, l’absence d’une réponse forte de la part des directions syndicales laisse champ libre aux avancées réactionnaires, affectant les sans-papiers en premier lieu. Comme le dénonçait Aboubacar aux côtés de nombreux collectifs sans papiers en novembre dernier au sujet de la loi immigration : «  Nous rejetons ce projet de loi de précarité et de misère. Depuis 23 mois nous luttons contre une entreprise de l’Etat, la Poste, qui exploite les camarades avec des salaires de 600 €… On rejette le projet de loi avec ou sans l’article 3 sur la régularisation pour les métiers en tension. On n’en veut pas. Les gens ont besoin d’une régularisation pérenne.  »


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