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Russie

Alexeï Navalny, le principal opposant du régime de Poutine, est mort en prison

Le principal opposant du Kremlin Alexeï Navalny est décédé en prison, selon les annonces de l’administration pénitentiaire. Une mort qui évoque déjà des parallèles avec celles de Boris Nemtsov et d’Anna Politkovskaya, figures dissidentes tuées par le régime.

Sasha Yaropolskaya

16 février

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Alexeï Navalny, le principal opposant du régime de Poutine, est mort en prison

Crédit photo : Evgeny Feldman - Wikimedia commons

L’administration pénitentiaire FSIN de la région Arctique a déclaré aujourd’hui la mort d’Alexei Navalny : « Le 16 février 2024, dans le centre pénitentiaire numéro trois, le prisonnier Navalny A.A. s’est senti mal après une promenade. Les raisons de la mort sont en train d’être établies ». Cette mort qui arrive à trois semaines des élections présidentielles en Russie est un nouveau symbole de la brutalité du régime de Poutine et exprime un certain niveau de nervosité du gouvernement, empêtré dans la guerre en Ukraine.

En effet, la semaine dernière, Boris Nadezhdin, candidat présidentiel modérément critique de la guerre, a finalement été interdit de se présenter. Il n’avait aucune chance de remporter l’élection et ses critiques vis-à-vis de Poutine étaient tellement minimales que le régime avait envisagé de permettre sa candidature pour, entre autres, donner une certaine légitimité à une farce d’élection. Cependant, l’adhésion à sa candidature de plusieurs figures de l’opposition, dont des soutiens de Navalny (qui avaient appelé à manifester le jour de l’élection) ainsi que le fait que Nadezhdin s’exprime contre la guerre en Ukraine ont créé un engouement populaire.

De longues queues se sont créées, dans plusieurs villes, de gens qui voulaient laisser leur signature en soutien à la candidature de Nadezhdin. Cette dynamique a incommodé le régime qui, craignant que cela déstabilise la situation politique et crée une impression de baisse du soutien à Poutine, a finalement annulé la candidature de Nadezhdin. Dans ce contexte, la mort de Navalny, si elle est confirmée, paraît très suspecte.

En effet, Alexeï Navalny est connu en tant que politicien libéral qui a mené une opposition dure au pouvoir de Poutine depuis plusieurs décennies. En 2011, il joue un rôle de figure publique du mouvement de la place Bolotnaya contre les fraudes aux élections législatives, à l’instar de Sergei Oudaltsov et de Boris Nemtsov. En 2013 il émerge nationalement en se présentant aux élections à la mairie de Moscou où il rassemble 27% des voix, obligeant le pouvoir, selon les enquêtes journalistiques, à falsifier l’issue du premier tour pour ne pas permettre un duel potentiellement explosif entre Navalny et le candidat du régime Alexey Sobyanin.

Depuis, le régime a tout fait pour ne plus permettre à Navalny de participer légalement à la vie politique, initiant contre lui des procès judiciaires pour obtenir des condamnations pénales l’empêchant de se présenter aux élections. Boycotté par les médias d’État, Navalny monte sa propre infrastructure médiatique avec plusieurs chaînes YouTube très regardées pour y publier ensuite un documentaire sur la richesse insensée de l’ancien président Dmitriy Medvedev. Ces révélations ont provoqué des protestations de masse à Moscou et Saint-Pétersbourg, avec une partie de la jeunesse qui est descendue dans la rue indignée par la corruption des chefs de l’État.

Malgré l’impossibilité légale de se présenter aux élections, il mène tout de même une grande campagne aux élections présidentielles de 2018, espérant y accéder par un rapport de forces. Navalny monte un réseau national avec des cellules de militants de campagne et ouvre des locaux financés par des dons en ligne dans un grand nombre de régions. Cette infrastructure politique sera progressivement démantelée par le régime dans les années qui suivent, considérant son organisation comme extrémiste et poussant les militants à l’exil par des poursuites pénales.

En 2020, Alexeï Navalny se fait empoisonner par un agent neurotoxique Novitchyok par les agents de sécurité du FSB et il est évacué du pays pour pouvoir recevoir des soins assurant sa survie. À peine remis sur pieds après plusieurs mois de réhabilitation en Allemagne, Navalny termine son enquête documentaire sur la résidence luxueuse secrète de Poutine (intitulé « Un palais pour Poutine »), qui fait l’effet d’une bombe en Russie, battant tous les records de vues sur YouTube et provoquant de nouvelles protestations dans la rue. Navalny prend la décision de revenir en Russie par avion avec sa compagne mais il se fait arrêter à son arrivée à l’aéroport de Moscou le 17 janvier 2021.

Depuis, Alexeï Navalny était emprisonné dans des colonies de haute sécurité et des procès se multipliaient contre lui, éloignant toujours plus toute perspective de libération. Des peines absurdes et profondément politiques se sont ainsi accumulées : 19 ans de prison pour avoir « créé une communauté extrémiste » et pour avoir « financé des militants extrémistes », 11 ans et demi de colonie pénitentiaire de haute sécurité pour « fraude ». Durant une grande partie de son emprisonnement, au moins 300 jours, Navalny était placé en isolement, alors même que l’isolement carcéral de longue durée est reconnu par les organisations internationales, notamment l’ONU, comme une pratique de torture.

Tout ce parcours d’opposant libéral à Poutine lui a attiré la sympathie de différents dirigeants et gouvernements occidentaux. En effet, quand il s’agit de régimes avec lesquels les impérialistes sont en conflit économique et géopolitique, ils tentent toujours de s’appuyer sur des figures d’opposition libérales, acclamés comme des « héros de la démocratie ». Mais la question était plus complexe pour le cas de Navalny. Pendant son parcours politique, il s’est fait remarquer en exprimant des points de vue racistes, xénophobes et nationalistes, se rapprochant des discours de l’extrême-droite russe, et en prenant part aux marches russes, manifestations radicalement chauvines. Ensuite, si aujourd’hui les grands médias et dirigeants occidentaux le présentent comme un opposant à la guerre de Poutine en Ukraine, en 2014, ce même caractère nationaliste l’a amené à ne pas condamner l’annexion de la Crimée.

Dans le même temps, dans un long article, Navalny a critiqué depuis la prison les « pères fondateurs » de la Russie Moderne, à commencer par Boris Eltsine. Évidemment, sa critique était faite depuis un point de vue purement bourgeois et capitaliste mais elle contrastait avec les points de vue adulateurs que les dirigeants impérialistes en Occident ont sur ces mêmes politiciens corrompus qui ont fondé le régime politique actuel en Russie, sur lequel s’appuie Poutine.

Navalny était un politicien réactionnaire, pro-capitaliste et pro-impérialiste. Il est à l’opposé de ce que nous défendons et il se plaçait aux antipodes des intérêts des travailleurs et des classes exploitées en Russie. Cependant, sa mort illustre la cruauté du régime de Poutine qui a déjà assassiné d’autres dissidents comme le politicien Boris Nemtsov ou la journaliste Anna Politkovskaya. Ce régime, qui est capable d’infliger des souffrances inouïes et même la mort à des dirigeants politiques soutenus par tous les États impérialistes d’Occident, n’est qu’encore plus sauvage à l’égard de la classe ouvrière et des secteurs opprimés de la société. Ainsi, la mort de Navalny montre l’urgence pour les classes populaires en Russie de commencer à lutter, en toute indépendance d’autres courants bourgeois et de l’impérialisme, contre l’État russe qui mène une guerre sans merci contre l’Ukraine et organise des répressions à grande échelle contre tous ceux qui osent le contester.


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