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Après deux mois de guerre civile : le Soudan au bord de la famine

Malgré une succession de trêves fragiles impulsées par les États-Unis et l’Arabie saoudite, le conflit entre deux chefs militaires soudanais semble devoir se poursuivre. Deux mois après le début de la guerre civile, le pays est au bord de la famine.

Mariam Amel

20 juin 2023

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Après deux mois de guerre civile : le Soudan au bord de la famine

Il y a plus de deux mois, une guerre civile a éclaté au Soudan entre l’armée soudanaise commandée par le général Abdel Fattah al Burhane et les forces de soutien rapide FSR, une force militaire indépendante dirigée par le général Mohamad Hamdane Daglo. Au moins 2 000 personnes ont été tuées jusqu’à présent dans un conflit sanglant qui s’est propagé dans tout le pays et a plongé dans la détresse plusieurs millions de soudanais. Parmi les morts figurent Khamis Abdallah Abbakar, le gouverneur du Darfour occidental, qui a été tué après avoir critiqué les FSR lors d’une interview télévisée, bien que les FSR aient nié toute responsabilité.

Les violences qui s’exacerbent depuis deux mois se sont arrêtées la nuit du 17 juin dans le cadre d’une trêve qui a duré 3 jours. Une énième tentative de mettre à l’arrêt les conflits après une succession de trêves fragiles au cours des deux derniers mois, qui a fait suite à l’imposition de sanctions par les États-Unis en direction des deux généraux après la rupture d’une précédente trêve fin mai. En toile de fond, le compteur de morts ne cesse d’augmenter et les deux belligérants ne semblent pas prêts d’arrêter une guerre qui ramène le pays au bord de la famine.

Crise économique et humanitaire

Selon l’ONU, près de 25 millions Soudanais ont besoin d’aide humanitaire, un chiffre qui ne cesse d’augmenter avec la prolongation de la guerre et le retard de l’arrivée des aides humanitaires. Au moins 149 000 personnes ont fui vers le Tchad et plus de 528 000 ont cherché refuge dans les pays voisins : l’Égypte, le Tchad, le Soudan Sud et la Centrafrique, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Plus de 2,2 millions de personnes ont été déplacées par les combats.

Sur le plan économique, le Soudan souffrait déjà d’une inflation et d’une augmentation des prix liées à la crise économique mondiale. L’affrontement entre les deux belligérants a exacerbé la situation, notamment après la fermeture de dizaines de fleurons de l’économie soudanaise, supprimant un grand nombre d’emplois dans plusieurs secteurs du privé et de l’administration publique. En outre de cette situation de précarité des salariés, la guerre a aussi entrainé une suspension des exportations des marchandises et du trafic aérien avec une paralysie de près de 80% du commerce soudanais. Une perte estimée à 3,4 milliards de dollars : « Cela prendra des années à reconstruire » estime Mouna Mirghani dans un article publié dans les colonnes du Monde.

En réalités, les racines de la crise économique au Soudan sont plus lointaines que le déclenchement de la guerre civile le 15 avril dernier et remontent à plusieurs années. En 2008, le Soudan pompait près de 500 000 barils de pétrole par jour. Aujourd’hui, le pays ne produit plus que 60 000 barils quotidiens et se retrouve plongé dans une crise économique majeure. L’indépendance du Sud en 2011 a divisé les réserves de pétrole par trois et contracté l’économie nationale. Trois décennies de règne d’Omar al-Bachir et la mainmise de l’armée sur les ressources du pays ont alimenté la corruption et l’instabilité politique et économique. De plus, le partage du pouvoir entre les généraux Abdel Fattah Al Burhan et Hamdane Daglo a finalement repoussé le soutien des institutions internationales suite au deuxième coup d’État de 2021. Cette division et la militarisation des grands secteurs de l’économie au Soudan sont parmi les principales causes de l’escalade de la situation actuelle.

Les séries de trêves rompues : un symptôme d’un trouble géopolitique

Alors que des négociations pour conclure à une trêve devaient se mettre en place fin mai pour permettre l’arrivée des aides humanitaires sous l’égide des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite, l’armée soudanaise a suspendu sa participation aux concertations qui se tenaient à Djeddah en Arabie saoudite au mois de mai, estimant que le camp adverse n’avait pas respecté l’accord de cessez-le-feu ce qui a aggravé la situation humanitaire. Ce samedi 17 juin, une nouvelle trêve a été signée à Djeddah, cette fois les deux adversaires ont convenu que pendant le cessez-le-feu, ils s’abstiendront de mouvements interdits, d’attaques, d’utilisation d’avions ou de drones militaires, de frappes d’artillerie, de renforcement de positions et de réapprovisionnement de forces, ainsi que de toute tentative en vue de la recherche d’un avantage militaire. Comme les expériences de cessez-le-feu précédentes en témoignent rien n’est garanti.

En effet, l’incapacité de l’initiative Djeddah-Washington à maintenir une trêve prolongée et solide montre aussi la faiblesse des deux pays à imposer un plan plus strict sur la table de négociation. Ceci est lié à plusieurs facteurs, d’un côté l’engagement des deux militaires soudanais dans une guerre totale où l’un est déterminé à détruire l’autre pour s’emparer du pouvoir, mais aussi d’autre part, l’affaiblissement des relations géopolitiques entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis.

Depuis le début de la Guerre en Ukraine, l’unité et l’influence de ces deux pays est en effet fragilisée. Parmi les plus importants symptômes de ces difficultés figurent la renégociation entre l’Arabie Saoudite et la Chine de la vente de pétrole saoudien à Pékin en yuan chinois au lieu du dollar américain, mais aussi le refus de l’Arabie saoudite de condamner l’invasion russe de l’Ukraine et de répondre aux demandes américaines d’augmentation de la production de pétrole pour réduire son prix, qui a atteint 120 dollars le baril. Ces développements soulèvent des questions importantes et des tensions dans les relations américano-saoudiennes et sur le plan stratégique entre les deux pays. D’autant plus que Riyad cherche de plus en plus à s’appuyer sur des partenaires autres que Washington pour sécuriser ses intérêts stratégiques, notamment en se rapprochant dernièrement de Téhéran sous l’impulsion de Beijing.

La classe ouvrière soudanaise, quelles perspectives pour son émancipation  ?

La succession des dictatures qui ont plongé les Soudanais dans des conflits ethno-tribaux ne peut suffire à expliquer le malheur soudanais, dont la dimension matérielle ne peut être écartée. La militarisation de l’économie soudanaise et ses conséquences matérielles dévastatrices sur la classe ouvrière font du besoin des travailleurs soudanais à trouver une alternative qui dépasse les demi-solutions de transition civile une nécessité toujours plus urgente. Le combat du peuple soudanais est loin de se cantonner à la lutte contre la domination militaire. En effet, celle-ci risque de faire tomber la classe ouvrière soudanaise dans le piège d’une transition démocratique qui ouvrirait la voie à une montée bourgeoisie et des marionnettes des impérialistes

Les travailleurs.es soudanais.es, la jeunesse, les personnes opprimées et marginalisées au Soudan ont besoin d’une véritable organisation révolutionnaire et de classe qui rompe avec les héritiers militaires et en même temps qui propose une alternative d’indépendance de classe qui prenne ses racines dans l’auto-organisation des différents secteurs stratégiques du pays contre la militarisation des forces matérielles et contre l’expropriation de ces derniers par une bourgeoisie qui ne fera que poursuivre le chemin de l’exploitation et de l’épuisement.


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