« All the blood is red », « Le sang est toujours rouge », le titre du roman de l’écrivaine jamaïcaine Leone Ross est de circonstance. Haptom Zerhom n’a commis d’autre crime que celui d’être « noir ». Dans un Etat raciste comme Israël, c’est la marque du soupçon.
Dimanche 18 octobre, 19h passées de quelques minutes, gare routière de Beersheba. Un homme attaque un soldat israélien au couteau, le tue et s’empare de son arme. Il est rapidement neutralisé. Abattu, il sera ensuite identifié comme un citoyen israélien, résidant à Uqbi, un village bédouin « non reconnu » du Néguev.
Haptom Zerhom, surnommé « Mila » était de passage à Beersheba. Travailleur émigré érythréen et demandeur d’asile, il devait renouveler son visa. Il était assis sur un banc avec des amis. Au son des coups de feu, il court s’abriter. Repéré comme cible, désigné complice, on lui tire dessus. Il est roué de coups par une dizaine de fervents citoyens, entourés de policiers. Il meurt le lendemain des suites de ses blessures. Les images de la scène, publiées sur internet, donnent le vertige.
« Si un homme frappe à mort un être humain, quel qu’il soit, il sera mis à mort. S’il frappe à mort un animal, il le remplacera — vie pour vie. Si un homme provoque une infirmité chez un compatriote, on lui fera ce qu’il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ; on provoquera chez lui la même infirmité qu’il a provoquée chez l’autre. Qui frappe un animal doit rembourser ; qui frappe un homme est mis à mort. Vous aurez une seule législation : la même pour l’émigré et pour l’indigène. » Lévitique, 24, 17-22.
Aujourd’hui en Israël, même l’inique loi du talion, détaillée par ce passage du Lévitique, ne suffit pas à épancher la furie vengeresse des « bons citoyens ».
C’est la vendetta qui prime pour les racisés. Un homme trop brun pour avoir la licence de tuer s’attaque à un flic, la foule des citoyens en armes court à la recherche d’une victime expiatoire, n’importe qui, le premier passant venu. Il n’est pas armé, il n’est pas « blanc », c’est donc un terroriste.
Le ratio 1/1 du œil pour œil, dent pour dent, est allègrement outrepassé. Pour les morts c’est un rapport de 1 à 6 qui prévaut : depuis le début du mois d’octobre, 45 Palestiniens ont été tués, pour 8 Israéliens. Pour les blessés, le ratio est de 1/25 : on compte plus de 2000 blessés côté Palestiniens, pour 83 Israéliens. Evidemment ces chiffres ne sont pas mentionnés dans la presse hexagonale. Mais la froide et macabre arithmétique rend très superficiellement compte de la réalité coloniale. La barbarie imprime tous les gestes quotidiens, des plus banals aux plus sordides.
Beersheba, nouvelle Sodome ? Dans le texte de la Genèse, Yahweh détruit par le feu les villes de Sodome et Gomorrhe. Contrairement à ce qui sera suggéré bien plus tard par des interprètes peu scrupuleux, le crime des habitants de Sodome dans la Genèse, est de ne pas respecter l’antique coutume de l’hospitalité, et de condamner à mort les étrangers. On sait, au moins depuis Spinoza, que Yahweh n’est ni plus ni moins que quatre consonnes : YHWH, d’un récit toujours brandi pour justifier les pires atrocités.
La réalité dépasse déjà depuis longtemps la fiction. Face à la barbarie quotidienne, inutile de chercher en vain un hypothétique rédempteur.
Point de salut, mais un combat, la résistance de tout un peuple contre la colonisation.
Le sang des Palestiniens est toujours rouge et il se répand avec la complicité des puissances impérialistes.
Pour Mila, en guise d’hommage, ces quelques vers de Mahmoud Darwich :
« C’était comme un cauchemar, le flic est dans notre tête
naîtront
sous les arbres
naîtront
sous la pluie
naîtront
de la pierre
naîtront
des éclats
naîtront
des miroirs
naîtront
des recoins
naîtront
des défaites
naîtront
des bagues
naîtront
des bourgeons
naîtront
du commencement
naîtront
de la légende
naîtront
sans fin
et ils naîtront, grandiront, seront tués
puis naîtront, naîtront et naîtront »
Mahmoud Darwich, Beyrouth, 1981
Parler, dire, témoigner, ne pas oublier, Mila, et les milliers d’autres morts pour rien, en Israël ou en Méditerranée.
Le silence est complice. Sortir de la spirale funèbre, vivre, c’est lutter.