×

International

Corée du Sud : « ces dernières années ont démontré la combativité de la classe ouvrière »

Crise politique, grève des chauffeurs de camions et des travailleurs sous-traitants de la construction navale…Dans cette interview, Yang Dong Min, militant à March to Socialism en Corée du Sud, revient sur la situation politique et sociale dans le pays d’Asie de l’Est et les perspectives pour la classe ouvrière, la jeunesse et les révolutionnaires.

Irène Karalis

31 août 2023

Facebook Twitter
Audio
Corée du Sud : « ces dernières années ont démontré la combativité de la classe ouvrière »

March to Socialism (MTS) est une organisation socialiste révolutionnaire fondée en octobre 2022, composée d’une cinquantaine de militants, et principalement implantée à Séoul - la capitale du Pays - et à Ulsan - l’une des villes les plus industrialisées en Corée du Sud. Composée de travailleurs d’une centrale électrique au charbon, de chauffeurs d’autocars, de bus et de taxis, de travailleurs sous-traitants dans la métallurgie et la construction navale, de travailleurs de la santé ou encore de l’éducation, MTS vient également de fonder l’organisation étudiante Students Socialist Solidarity.

Dans cette interview, Yang Dong Min, militant à MTS, revient sur la situation politique et sociale en Corée du Sud et sur les perspectives pour la classe ouvrière, la jeunesse et les révolutionnaires.

Révolution Permanente : Quelle est la situation politique et économique en Corée du Sud ?

En Corée du Sud, la situation politique est dominée par deux partis principaux : le Parti Démocrate et le parti conservateur, Power to the People (PP), qui ont récolté à eux deux 96,39% des voix aux dernières élections qui se sont tenues en 2022. Il existe aussi le Parti Progressiste, un parti nationaliste de gauche, le Parti de la Justice, un parti réformiste, et le Parti des Travailleurs, un parti anticapitaliste.

La situation est marquée par une crise politique latente depuis plusieurs années. En 2016, à la suite d’un scandale de corruption, l’ancienne présidente Park Geun-hye est destituée. Moon Jae-In, membre du Parti démocrate, remporte les élections mais perd rapidement sa popularité durant son mandat en raison de ses promesses non tenues, et notamment de sa promesse d’augmenter le salaire minimum et de régulariser les travailleurs irréguliers. En temps de crise, la bourgeoisie ne peut pas faire de concessions aux travailleurs : c’est le dilemme du Parti démocrate.

L’année dernière, un nouveau président, Yoon Suk-Yeol, du PP a été élu. Sa politique est caractérisée par trois choses. Premièrement, il a renforcé l’alliance entre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud et a intensifié les entraînements militaires en Corée du Sud. Deuxièmement, il a fait de « la guerre contre le crime » un de ses chevaux de bataille, « crime » désignant en réalité les activités syndicales. Il a attaqué de nombreux syndicats en leur demandant de montrer leurs listes d’adhérents et leurs financements, a convoqué un millier de travailleurs de la construction et en a arrêté 19. Enfin, il mène des offensives permanentes contre les minorités.

Par exemple, les personnes en situation de handicap, qui n’ont aucun droit en Corée du Sud, ont manifesté à plusieurs reprises sur des quais de métro pour exiger des ascenseurs et davantage de bus accessibles. La police en a récemment interpellé plusieurs, les faisant violemment sortir du métro. Par ailleurs, cette année, le maire de Séoul, qui est du même parti que le président, a interdit la Pride qui se déroule chaque année sur la place principale de la capitale. Une décision qui montre le vrai visage du régime, alors même que le président avait affirmé lors de la campagne électorale : « Il n’y a plus de sexisme systémique. C’est une histoire du passé. Les femmes ont totalement les mêmes droits que les hommes. »

Mais le régime reste instable et le président actuel a rapidement perdu des points de popularité, pour deux raisons principales : il a accepté la décision du gouvernement japonais d’évacuer 1,3 million de m3 d’eaux usées de Fukushima dans l’Océan Pacifique et a tenté de faire passer une réforme du travail prévoyant d’augmenter le temps maximum de travail à 69 heures par semaine, un temps qui peut s’étendre à 80 heures dans la réalité. Ces deux politiques ont fait chuter sa popularité.

En ce qui concerne la situation économique, elle est marquée par une forte inflation. Si elle est moins forte qu’en Europe, elle est très élevée quand on la compare aux années précédentes. L’économie ralentit. La Corée du Sud exporte beaucoup de produits, notamment vers la Chine, mais le volume des échanges diminue. Le salaire minimum a été fixé très bas cette année, donc le salaire réel a diminué.

Quel est l’état du mouvement ouvrier ?

Il n’y a pas eu de vraie grève générale après la grève générale de 1996-97. Les syndicats, en raison de leur bureaucratisation, sont incapables de riposter aux attaques du gouvernement. La direction de la KCTU, qui est pro-Corée du Nord et reliée au Parti Progressiste, ne mène pas réellement de lutte contre le gouvernement.

Par exemple, alors que le salaire minimum était au centre des préoccupations cette année en raison de l’inflation, la KCTU a décidé d’appeler à la grève générale en juillet, alors que les négociations entre les syndicats, les entreprises et le gouvernement pour fixer le montant du salaire minimum se tiennent en juin. À MTS, nous avons insisté sur le fait que la grève devrait se tenir en juin, sans quoi elle n’aurait aucun pouvoir. Et de fait, ce n’était pas une vraie grève générale : il s’agissait de plusieurs journées de grève étalées sur deux semaines et décalées entre les différents secteurs. Les capitalistes savaient que la grève s’arrêterait en quelques jours, cela ne les a pas menacés.

Pourtant, plusieurs luttes ont montré la combativité de la classe ouvrière sud-coréenne ces dernières années, en particulier la grève des sous-traitants de la construction navale et la grève des chauffeurs de camion. La grève des travailleurs sous-traitants, d’un chantier naval de l’entreprise Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering qui s’est déroulée en juin-juillet 2022, a généré un enthousiasme et une solidarité impressionnante de la part d’autres secteurs. Alors que les salariés exigeaient 30% d’augmentation, la direction a tenté de briser la grève en envoyant des travailleurs réguliers qui ont utilisé la force physique. Les travailleurs réguliers ont été très violents et sont même allés jusqu’à attaquer physiquement les grévistes sur leur piquet de grève, envoyant même un extincteur sur les grévistes. À ce moment-là, les travailleurs réguliers, agissant comme des briseurs de grève, ont interpellé la direction de la KCTU et lui ont demandé d’arrêter les grévistes, en menaçant de quitter la centrale syndicale si elle ne le faisait pas. La direction de la KCTU n’a pas retenu les travailleurs réguliers et à cause de la pression exercée sur eux, les grévistes ont arrêté la grève après n’avoir obtenu que 4% d’augmentation. Aujourd’hui, les ex-grévistes font face à des dettes exorbitantes puisque la direction de Daewoo leur a demandé de payer des dommages dus à la grève, dont le montant est estimé à 47 milliards de won.

La grève des sous-traitants du chantier naval est survenue juste après celles des chauffeurs de camion, qui ont commencé leur grève en juin 2022 pour revendiquer le prolongement des garanties de salaire minimum mises en place en 2020. La grève, qui s’est arrêtée puis a repris en novembre, était massive et nationale, avec des chiffres atteignant les 25 000 grévistes et 11 000 chauffeurs participant aux rassemblements. Les grévistes ont fait le tour du pays, bloquant les principales installations industrielles et les ports maritimes, et ont reçu le soutien de chauffeurs non syndiqués qui se sont également mis en grève. Des rassemblements et manifestations ont eu lieu en soutien et le gouvernement a tenté d’utiliser les réquisitions pour briser la grève. À ce moment-là, les chauffeurs de camion des confédérations publiques, en lien avec d’autres secteurs comme les chemins de fer et les hôpitaux, ont commencé à préparer des actions communes, posant la possibilité de combiner la grève des chauffeurs de camions avec d’autres secteurs mobilisés. Mais ces secteurs ont arrêté la grève car ils ont eu des négociations spécifiques avec le patronat e,t en conséquence, la grève des chauffeurs s’est retrouvée isolée. Finalement, après quinze jours de grève, les chauffeurs de camion ont perdu.

Le rôle de la bureaucratie syndicale a été central dans la défaite : c’est elle qui a signé les accords pour les secteurs publics et c’est elle qui a suspendu la grève des chauffeurs de camion à l’espoir que le Parti démocrate les aiderait lors de son congrès, ce qui ne s’est évidemment pas réalisé. La grève s’est arrêtée après que le Parti démocrate a décidé de ne pas soutenir les grévistes. De notre côté, nous avons tout fait pour relayer la solidarité qui s’est exprimée à travers le pays auprès des chauffeurs de camion. Leur grève a suscité tellement d’enthousiasme que des travailleurs d’autres secteurs leur disaient : « Vous êtes notre espoir dans la lutte contre le gouvernement ». Mais après la défaite de la grève des chauffeurs, beaucoup de secteurs se sont démoralisés et cette année n’a pas connu de nouvelles grandes luttes du mouvement ouvrier. Les conditions objectives sont réunies mais pas les conditions subjectives.

Par ailleurs, la classe ouvrière est divisée entre les travailleurs réguliers et les travailleurs irréguliers : les travailleurs réguliers ont des syndicats forts et des conditions de travail stables mais ils ne se battent que pour leurs revendications. En revanche, les travailleurs irréguliers, c’est-à-dire qui travaillent à leur compte, travaillent dans la sous-traitance ou sont intérimaires, et qui représentent environ 80% des travailleurs, ne sont pas syndiqués et ceux qui le sont sont isolés, à l’image des travailleurs de la sous-traitance navale. Les secteurs stratégiques emploient des travailleurs réguliers mais sont très encadrés par la bureaucratie syndicale et piégés dans leur corporatisme. Souvent, les luttes éclatent dans des secteurs occupés par des travailleurs irréguliers et il y a quatre ans, un réseau s’est créé et regroupe des travailleurs de la métallurgie, du public, des transports, du nettoyage des hôtels, des universités, des hôpitaux et des aéroports.

Quel est l’état du mouvement étudiant ?

Il y a eu un fort mouvement étudiant dans les années 1980-90, parmi lesquels il y avait notamment des courants nationalistes et pro-Corée du Nord. Le gouvernement a ensuite attaqué l’ensemble du mouvement étudiant et l’a écrasé, ce qui a eu comme conséquence une profonde démoralisation et une atonie du mouvement étudiant pendant environ trente ans. Actuellement, le mouvement étudiant est très faible et petit. En dehors des courants pro-Corée du Nord, il n’y a que très peu de forces politiques à l’université, car elles se sont toutes effondrées. De plus, il y a eu des offensives importantes de la part de la bourgeoisie contre certaines tendances politiques, comme le marxisme, et contre les courants féministes après la nouvelle vague féministe de 2016. À MTS, nous luttons pour défendre les idées marxistes et le mouvement féministe à l’université.

Quel est l’état de l’extrême-gauche sud-coréenne et quelles sont les perspectives pour les révolutionnaires ?

MTS est la fusion de trois courants, dont deux viennent d’un parti, le Parti Révolutionnaire, un parti centriste qui a scissionné en décembre 2021, et un vient d’une organisation révolutionnaire indépendante. Il existe aussi l’équivalent du SWP anglais, qui fait partie de l’Internationale IST mais ils ne sont pas très implantés dans la classe ouvrière et sont en crise en raison de leur gestion d’un cas de violences sexuelles.

L’enjeu central pour la classe ouvrière en Corée du Sud est désormais de réussir à dépasser la division entre les différents secteurs. En ce qui nous concerne, nous sommes profondément impliqués dans le réseau des travailleurs irréguliers et tentons de le développer. De plus, nous défendons le caractère hégémonique de la classe ouvrière. Par exemple, nous avons lancé un réseau de travailleurs de l’énergie qui exigent une transition écologique juste, défendent l’alliance du mouvement ouvrier avec le mouvement écologiste et un mouvement écologiste dirigé par la classe ouvrière. Enfin, après avoir soutenu les travailleuses du nettoyage des universités l’année dernière et organisé des rassemblements de plusieurs centaines de personnes, nous militons pour organiser une grève des femmes le 8 mars prochain pour exiger l’augmentation des salaires et dénoncer les violences sexistes et sexuelles sur les lieux de travail.


Facebook Twitter
Cour pénale internationale : Netanyahou bientôt sous le coup d'un mandat d'arrêt international ?

Cour pénale internationale : Netanyahou bientôt sous le coup d’un mandat d’arrêt international ?

Offensive surprise contre l'État colonialiste d'Israël. Soutien à la résistance palestinienne !

Offensive surprise contre l’État colonialiste d’Israël. Soutien à la résistance palestinienne !

Violente expulsion du campement de Columbia : l'offensive policière se poursuit aux Etats-Unis

Violente expulsion du campement de Columbia : l’offensive policière se poursuit aux Etats-Unis

Iran. Condamné à la peine de mort pour sa critique du régime : solidarité avec Toomaj Salehi !

Iran. Condamné à la peine de mort pour sa critique du régime : solidarité avec Toomaj Salehi !

1er mai : la fédération palestinienne des syndicats appelle à la solidarité ouvrière avec Gaza

1er mai : la fédération palestinienne des syndicats appelle à la solidarité ouvrière avec Gaza

Argentine : Milei trouve un accord avec la caste pour voter une version réduite de sa loi Omnibus

Argentine : Milei trouve un accord avec la caste pour voter une version réduite de sa loi Omnibus

Des Etats européens bientôt exemptés des règles budgétaires de l'UE au nom de la militarisation ?

Des Etats européens bientôt exemptés des règles budgétaires de l’UE au nom de la militarisation ?

Le mouvement étudiant fait irruption au coeur de l'impérialisme en soutien à la Palestine

Le mouvement étudiant fait irruption au coeur de l’impérialisme en soutien à la Palestine