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Soutien à la Palestine

Égypte. Face au massacre à Gaza, le régime d’Al-Sissi dans la tourmente palestinienne

C’est la première fois depuis dix ans et le coup d’Etat du Maréchal Al-Sissi, que le peuple égyptien manifeste aussi massivement dans les rues du Caire. La solidarité populaire avec le peuple palestinien remet en cause la normalisation avec Israël, et dévoile la faiblesse d’un régime soutenu par les puissances impérialistes.

Sayf Zalil


et Abdelkrim Ayour

23 octobre 2023

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Égypte. Face au massacre à Gaza, le régime d'Al-Sissi dans la tourmente palestinienne

Crédit Photo : Hossam el-Hamalawy. Des drapeaux palestiniens et égyptiens hissés sur la place Tahrir au Caire en Egypte le vendredi 9 septembre 2011.

L’Egypte aux premières loges du massacre à Gaza

L’Égypte a pu ouvrir le poste frontalier de Rafah ce vendredi, seule porte d’entrée vers Gaza, qui a été bombardé plusieurs fois par Tsahal depuis le 7 octobre dernier. Cependant l’aide humanitaire ne passe qu’au compte-gouttes. Alors que l’ONU estime qu’il faudrait au moins 100 camions par jour pour répondre aux besoins des 2,4 millions de gazaouis sous embargo total, seuls 20 camions sont entrés samedi dans l’enclave palestinienne. Par ailleurs, l’ouverture du poste-frontière concerne uniquement l’aide humanitaire, puisque elle est assortie d’une interdiction formelle d’entrer sur le territoire égyptien pour les populations palestiniennes.

Alors que le bilan de l’attaque israélienne contre Gaza s’alourdit à plus de 4.000 morts depuis le 7 octobre dernier, ce samedi l’Egypte accueillait au Caire un « sommet pour la paix » qui a réuni une trentaine de participants, essentiellement de pays européens et arabes, avec l’objectif affiché de permettre d’établir un cessez-le-feu pour assurer l’acheminement de l’aide humanitaire. Etaient présents le roi Abdallah II de Jordanie, l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, le président des Emirats-Arabes-Unis, Mohammed Ben Zayed, le représentant de la diplomatie européenne, Josep Borrell et la première ministre italienne, Giorgia Meloni.

Un « sommet pour la paix » ou le bal des hypocrites

L’Egypte étant le premier pays arabe à avoir signé un accord de paix avec Israël en 1979, partageant une frontière commune avec Gaza, le président Abdel Fattah Al-Sissi cherche à profiter de sa place de « médiateur naturel » pour affirmer son rôle dans la région. Une tentative de remettre le régime égyptien au centre de la scène géopolitique, alors qu’il a été éclipsé ces dernières années par la normalisation entre Israël et d’autres pays arabes comme le Maroc, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn ou encore l’Arabie Saoudite.

Cependant, l’impossibilité que ce sommet n’aboutisse à un résultat concret était dès le départ évidente vu l’absence de représentant palestinien – à l’exception de Mahmoud Abbas, aujourd’hui largement délégitimé par le peuple palestinien –, israélien, ou même américain et iranien. Au final, les participants n’ont même pas réussi à s’entendre sur un communiqué commun et encore moins à « un consensus sur une feuille de route » comme le souhaitait le président égyptien.

En effet, d’un côté la France et l’Allemagne se sont illustrées par leur répétition ad nauseam du « droit d’Israël à se défendre » des « attaques terroristes » du Hamas. Tandis que de l’autre, les régimes arabes – y compris ceux ayant signé récemment les accords d’Abraham, comme c’est le cas du Maroc - sous pression des mobilisations populaires en faveur de la Palestine, se sont opposés à l’ordre d’évacuation du Nord de Gaza donné par l’armée israélienne à la population gazaouie. Depuis le début de l’offensive coloniale de Tsahal, plus d’un million de palestiniens ont été déplacés dans la Bande de Gaza.

Face à ce qui est en train de devenir une deuxième « naqba » (« catastrophe » en arabe, en référence à l’expulsion de 700.000 Palestiniens par la puissance coloniale sioniste entre 1947 et 1949), le président égyptien, soutenu par l’institution religieuse d’Al Azhar, a demandé aux Gazaouis de rester dans la bande afin d’éviter un nouvel exode. En vérité, le président égyptien ainsi que les régimes arabes du Moyen-Orient craignent surtout que le Sinaï devienne la base des opérations de la résistance palestinienne et le terrain d’un afflux massif de réfugiés dans le pays déstabilisant la région.

Région appauvrie, terreau du fondamentalisme islamique, la péninsule du Sinaï a été le théâtre d’attentats djihadistes depuis 2011. En supplétif de la force internationale dans le nord-est de la région, les autorités égyptiennes y ont déployé un dispositif militaire important contre les groupes salafistes. Le nord de l’Egypte contraste ainsi avec le sud-est dont les villes de Charm-El-Cheikh, Dahab et Taba sont de véritables vitrines du tourisme cosmopolite brandis depuis l’époque de l’ancien président, Housni Moubarak, comme les étendards du « développement » du pays.

Loin est l’époque où l’Égypte accueillait fièrement sur ses terres l’OLP (Organisation de la Libération de la Palestine) dirigée par Yasser Arafat et les réfugiés palestiniens. Par ailleurs, Abdel Fattah Al-Sissi est arrivé au pouvoir en 2013, par un coup d’Etat sanglant contre le gouvernement Morsi figure du mouvement des Frères Musulmans. L’homme fort actuel du régime égyptien, voit donc d’un mauvais œil la présence sur son territoire du Hamas, également lié aux Frères Musulmans.

Qui plus est, le pouvoir garde en tête le souvenir de la tentative d’attentat mené en 1970 par le Front de Libération Populaire de la Palestine (FPLP) qui visait le roi Husseïn de Jordanie. Dénoncé comme un « dirigeant réactionnaire », il fut ciblé par la résistance palestinienne en raison de sa trahison à l’égard de l’OLP et de ses compromissions pour normaliser ses rapports avec Israël… qui n’est pas sans rappeler la politique menée par Al-Sissi pour réprimer dans le sang l’effervescence populaire post-Printemps Arabes et maintenir l’ordre en Egypte au service des puissances impérialistes et de l’Etat colonial israélien.

En effet, le discours de circonstance du raïs égyptien ne doit pas faire oublier que c’est pour pacifier la rue égyptienne et notamment garantir l’intégrité de l’Etat colonial d’Israël menacé par le soulèvement populaire de 2011, que les puissances occidentales dont la France l’ont soutenu depuis 2013. La répression politique s’est ainsi abattu contre l’opposition, en restreignant drastiquement le droit de manifester, mais aussi contre les mouvements de solidarité populaire avec la Palestine, à l’instar de l’emprisonnement de Rami Shaath, coordinateur en Egypte du mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) contre Israël, pendant plus de deux ans.

La position du raïs égyptien et des régimes arabes n’est donc, au fond, pas tant motivé par la défense des droits du peuple palestinien, que par une volonté de négocier avec les puissances impérialistes et Israël pour sauvegarder l’équilibre instable qui permet à leurs régimes de se maintenir. En effet, outre les risques d’embrasement en cas d’élargissement militaire du conflit, en Egypte comme dans la plupart des pays du Maghreb et du Moyen-Orient, les masses populaires sont largement solidaires de la cause palestinienne, comme l’ont démontré les énormes manifestations de vendredi, inédites depuis le coup d’Etat et la politique autoritaire du maréchal Al-Sissi.

La question palestinienne et le retour des masses égyptiennes dans les rues

Vendredi dernier, à l’instar d’autres villes dans le monde, à majorité arabe et musulmane, le Caire a donc connu des manifestations massives en soutien à la Palestine, suite au bombardement de l’hôpital Al Ahli Arab par Israël à Gaza. Alors que les prochaines élections présidentielles du 10 au 12 décembre 2023 seront certainement rythmées par la guerre en Palestine, le régime a cherché à canaliser l’engouement des masses populaires, et le sentiment de fraternité sincère afin de servir son propre agenda politique. En effet, des bus ont été affrétés par le pouvoir et les manifestations dans la capitale ont été autorisées par le régime pour la première fois depuis presque dix ans, et quadrillées par un dispositif policier important.

Le régime bonapartiste d’Abdel Fattah al-Sissi, largement soutenu par les occidentaux, se retrouve face à une situation de crise conjoncturelle que la guerre coloniale menée par Israël vient donc exacerber. En effet, l’économie égyptienne est frappée par une hyperinflation qu’elle prétend résoudre par un nouvel accord de prêt auprès du FMI signé en décembre 2022. L’institution néolibérale a exigé des mesures de dévaluation monétaire, une poursuite des privatisations et une politique d’austérité budgétaire.

Mais la mobilisation populaire de solidarité avec le peuple égyptien a échappé au contrôle étatique, puisque les manifestants ont fini par forcer des cordons de policiers pour envahir l’emblématique place Tahrir, avant qu’elle ne soit violemment évacuée. 43 personnes ont été arrêtées. Le pays n’avait pas connu de tels rassemblements depuis 2014. En voulant domestiquer et canaliser une rage populaire réelle, le régime révèle ses propres contradictions internes. Le président qui brigue un troisième mandat, se pose en médiateur international et en sauveur des Palestiniens pour tenter de trouver une légitimité en interne. En maniant de manière opportune un discours nationaliste et prétendument pro-palestinien, il voudrait échapper aux nombreuses critiques qui lui sont adressés, notamment concernant les prochaines élections fantoches.

Les classes dominantes égyptiennes, mais aussi les grandes puissances impérialistes au premier rang desquelles les Etats-Unis de Joe Biden, savent qu’elles prendraient trop de risques en laissant la situation s’embraser. Donner carte blanche à Benjamin Netanyahou au risque de voir le conflit s’élargir au Liban, à la Syrie ou à l’Iran pourrait déstabiliser durablement la région, tandis que les atrocités commises par l’armée coloniale israélienne contre les palestiniens pourraient conduire à un soulèvement des peuples du Moyen-Orient face à la complicité de leurs propres gouvernements. D’autant plus dans un contexte où les régimes arabes autoritaires et corrompus sont affaiblis par différents facteurs, dont le retrait relatif des Etats-Unis de la région, suite au pivot vers la Chine opéré depuis plusieurs années maintenant.

En catalysant la colère populaire, la cause palestinienne pourrait jouer un rôle décisif dans la crise de l’impérialisme au Moyen-Orient, à condition que la solidarité s’exprime en toute indépendance des régimes autoritaires et corrompus à l’image de celui d’Al-Sissi.


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