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Crise politique

Manifestations de la droite, amnistie des indépendantistes : l’Etat espagnol face à une grave crise politique

Alors que Pedro Sanchez devrait être investi jeudi 16 novembre comme chef du gouvernement, l’Etat espagnol est en proie à une profonde crise politique. Tandis que le PSOE a obtenu le soutien des indépendantistes catalans en échange de l’amnistie partielle des prisonniers politiques, la droite et l’extrême-droite menacent de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement et organisent des manifestations de rue contre l’amnistie et l’investiture.

Antoine Weil

13 novembre 2023

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Manifestations de la droite, amnistie des indépendantistes : l'Etat espagnol face à une grave crise politique

Photo : Izquierda Diario

Alors que Pedro Sanchez devrait être reconduit à la tête du gouvernement de l’Etat espagnol le 15 et 16 novembre prochains, le pays est secoué par la crise politique suite à un accord entre le PSOE et les indépendantistes catalans de Junts pour former un nouveau gouvernement. Après des actions violentes de groupes d’extrême-droite contre des locaux du Parti socialiste (PSOE) au cours de la semaine, ce dimanche d’importantes manifestations appelées par la droite et l’extrême-droite se sont tenues.

En cause, les « concessions » faite par le PSOE aux indépendantistes catalans qui accordent une amnistie partielle et conditionnée des prisonniers politiques en échange du soutien à l’investiture de Pedro Sanchez. En réponse, la droite et l’extrême-droite ont mobilisé dans la rue contre la loi d’amnistie, remettant ainsi en cause la légitimité du gouvernement.

Un accord PSOE-indépendantistes catalans pour sortir de l’impasse et former un nouveau gouvernement

Le point de départ de cette crise tient dans les résultats des élections du 23 juillet dernier qui ont vu une défaite de la droite, sans donner de majorité claire au bloc de gauche sortant, formé par le PSOE et son allié Sumar regroupant plusieurs formations de gauche autour de la ministre du travail Yolanda Diaz. D’emblée, l’équation était quasi-insoluble pour Pedro Sanchez : il avait besoin de l’accord du parti indépendantiste catalan de droite, qui réclamait l’amnistie des condamnés pour avoir participé au mouvement pour l’indépendance.

Cinq mois plus tard il l’a finalement obtenu, en échanges d’importantes concessions des indépendantistes. En effet, ces derniers ne s’opposeront pas à l’investiture de Pedro Sanchez, lequel obtiendra la majorité grâce à une entente avec Sumar et le parti de gauche républicaine catalane ERC auxquels s’ajoutent les formations basques EH Bildu (indépendantiste basque de gauche) et PNV (autonomiste basque de droite). En échange, Pedro Sanchez promet une amnistie partielle des prisonniers politiques catalans condamnés suite au « procés » du mouvement d’indépendance qui a animé la Catalogne ces 10 dernières années, avec comme point culminant la déclaration d’indépendance en octobre 2017, suivie d’une mise sous tutelle de la région par le roi et le gouvernement de droite.

D’après El Pais 300 militants indépendantistes et 73 policiers seraient concernés par l’amnistie, dont la loi a été transmise ce lundi au Parlement. Un accord qui scandalise la droite et des pans entiers du régime, et ce malgré le caractère très partiel du compromis obtenu. Comme l’expliquent nos camarades du CRT dans l’Etat Espagnol, courant frère de Révolution Permanente, des centaines de militants condamnés pour délits d’opinion en lien avec des mobilisations contre le régime ne seront pas concernés par cette loi. De plus, rien ne garantit que les militants concernés soient amnistiés, car cela dépendra des conclusions d’une commission d’enquête, laquelle sera constituée lors de la prochaine législative, et de la décision de juges. Or l’institution judiciaire dans son entièreté s’est opposée à la loi d’amnistie, au point de menacer de bloquer son application, au côté de la droite et l’extrême-droite. Ce sera pourtant entre les mains de ces mêmes juges que sera in fine scellé le sort des militants catalans.

Pourtant, le prix à payer de cette loi est particulièrement fort pour la cause catalane. En échange de l’amnistie, Junts, qui a dirigé le mouvement indépendantiste au cours du « procés », a accepté d’importants renoncements sur l’autodétermination de la Catalogne, ouvrant la voie à une restauration du régime.

Les indépendantistes catalans renoncent à l’autodétermination et ouvrent la voie à une restauration « progressiste » du régime

Sur le papier, Sanchez s’est entendu avec les indépendantistes pour convoquer un référendum « d’autodétermination pour une autre politique de la Catalogne, s’appuyant sur l’article 92 de la Constitution » comme le stipule l’accord. Si cette décision a de quoi hystériser les réactionnaires, elle représente une impasse totale, car en acceptant de suivre la Constitution, Junts se lie d’emblée les mains, puisque le texte qui fonde le régime de 1978 empêche toute décision d’indépendance.

En effet, un texte qui affecte l’Etat dans son ensemble doit être approuvé par l’ensemble du pays et non par une seule communauté autonome, du nom des régions espagnoles, ce qui signifie que l’ensemble de l’Etat espagnol devra se prononcer sur l’avenir de la Catalogne. A fortiori, ce referendum n’aura qu’une valeur consultative, et il devra être appelé par le Roi, sous la demande du gouvernement et après approbation des députés.

Dans le cas, inimaginable, où un tel scrutin accoucherait sur une victoire pour l’indépendance, pour qu’elle soit concrétisée il faudrait une réforme constitutionnelle approuvée par les deux tiers du Parlement, à nouveau soumise à référendum, puis à nouveau votée aux deux tiers par une nouvelle assemblée issue de nouvelles élections. Une hypothèse impossible à réaliser alors que la quasi-entièreté des forces politiques sont hostiles à une indépendance de la Catalogne. En soumettant leur appui à Pedro Sanchez en échange de cette farce de référendum, les indépendantistes catalans enterrent donc pour de bon l’autodétermination de la Catalogne.

Dès lors, les revendications de Junts et de la droite catalane devraient se resserrer autour de thématiques plus classiques, comme des avantages fiscaux ou la demande de nouvelles compétences pour le gouvernement régional. A cet égard, la priorité affichée de Junts est désormais de promouvoir le retour en Catalogne d’entreprises qui l’avaient quitté, à la recherche d’un climat moins agité pour les affaires. Un retour à la normale en somme, avec une politique pro-business et l’abandon des revendications démocratiques pour l’autodétermination, qui ne sera plus agitée qu’au moment des élections ou pour obtenir des concessions de l’Etat central.

Alors que la mobilisation pour l’auto-détermination de la Catalogne a été un élément subversif, facteur récurrent de crise pour l’Etat espagnol ces dix dernières années et surtout depuis 2017, l’accord entre le PSOE et les indépendantistes pose donc les bases pour une restauration « progressiste » de la monarchie constitutionnelle et du régime de 1978.

Mais un accord qui radicalise la droite et la crise de régime

Mais cet accord est loin de résoudre les contradictions qui traversent l’Etat espagnol. Au contraire, il a entrainé une radicalisation de la droite et l’extrême-droite, renforçant la crise politique.

En plus des actions de groupuscules d’extrême-droite qui ont émaillé la semaine, ce dimanche le Parti Populaire (droite traditionnelle) a organisé des manifestations partout dans le pays. Si le PP avance le chiffre fantaisiste de 500 000 manifestants à Madrid et enchaine les fake news, ces protestations ont rassemblé beaucoup de manifestants, vraisemblablement plus que les 80 000 à Madrid et 6 000 à Barcelone que comptent les socialistes, quand El Pais, hostile à l’amnistie, estime que plusieurs centaines de milliers de personnes ont participé aux marches dans tout le pays.

Ces manifestations sont d’autant plus inquiétantes pour Pedro Sanchez qu’elles s’accompagnent de discours radicalisés, avec des propos quasi-sécessionniste de la part de dirigeants de droite et d’extrême-droite. Ainsi le chef du Parti Populaire Nuñez Feijoó a annoncé « nous ne nous tairons pas tant qu’il n’y aura pas de nouvelles élections » quand des nombreuses voix à droite parlent de « dictature » en cours et de « risque pour la démocratie » en écho à la ligne portée par le dirigeant de Vox (extrême-droite nationaliste) Abascal et la cheffe du PP à Madrid et figure de son aile droite Isabel Díaz Ayuso.

Un discours véhément de la part de barons de la droite qui n’hésitent pas à cibler directement le chef du gouvernement, à l’image du vice-secrétaire du PP Miguel Tellado qui a déclaré que « Pedro devra quitter le pays [caché] dans un porte-bagage ». Un niveau de radicalité qui montre la détermination des réactionnaires à empêcher les maigres concessions faites aux indépendantistes, qui passe par l’affirmation d’un objectif de « restauration conservatrice ».

Face à la radicalité de la droite et aux concessions des « progressistes » soi-disant de gauche, l’enjeu pour les travailleurs et la jeunesse dans l’Etat espagnol est donc de reprendre la rue contre la monarchie et le régime anti-démocratique de 1978. Comme l’expliquent nos camarades du CRT, face à l’impasse réactionnaire actuelle, il s’agit de construire un mouvement de la classe ouvrière et de la jeunesse indépendant des directions de gauche ou de l’indépendantisme catalan qui préparent l’austérité demandée par Bruxelles, et ce en s’appuyant sur la forte mobilisation en cours en soutien à la Palestine, qui prend de l’ampleur dans la jeunesse et depuis les lieux d’étude, réunissant 30 000 personnes à Barcelone et mobilisant des secteurs du monde du travail contre le soutien à Israël, à l’image des salariés d’Airbus à Getafe ou des dockers de Barcelone.


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