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Offensive élitiste

Fin des rattrapages, absences, compensation et partiels à Paris 1 : la moitié des étudiants en sursis

La présidence de Paris 1 a présenté début avril une réforme de tri social mettant sur la sellette des milliers d'étudiants. Une attaque d’une rare violence, qui prépare la suppression des rattrapages, des partiels, ainsi que de la compensation, et qui s’inscrit dans une offensive à l’échelle nationale contre les classes populaires à l'université.

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Fin des rattrapages, absences, compensation et partiels à Paris 1 : la moitié des étudiants en sursis

La présidence de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a proposé lors du comité permanent de la Commission de la Formation et de la Vie Universitaire (CFVU), mercredi 3 avril, un projet de réforme pour la période 2025-2030. Celle-ci pose les bases pour une suppression d’ici à l’horizon 2030 des dispositifs qui aident les étudiants, tels que les rattrapages et la compensation entre les matières, ainsi que le statut d’AJAC (ajourné autorisé à composer, un statut qui autorise les étudiants un peu de choix sur le déroulement de leurs années en licence). Sont aussi mis en péril les partiels, qui permettent de compenser les difficultés de suivi d’un semestre en contrôle continu, ainsi que le droit aux absences, dans une université avec un règlement déjà très strict. Dans la droite lignée des politiques néolibérales de sélection à l’université (Parcoursup 2018, MonMaster 2023), la réforme à Paris 1 cherche ainsi à accélérer la restructuration de sa formation pour en exclure des milliers d’étudiants.

Alors que la présidence espérait initialement passer cette réforme d’envergure au sus des étudiants, les organisations étudiantes dont Le Poing Levé ont révélé le contenu des documents de travails versés au Conseil de la Formation et de la Vie Universitaire (CFVU). En alertant sur la situation, les élus ont ainsi permis l’organisation de trois assemblées générales de plusieurs centaines d’étudiants, ainsi que la diffusion d’une consultation lancée par Le Poing Levé Paris 1 faisant savoir au plus grand nombre la nature de l’attaque en cours. Le résultat de cette consultation est sans appel : 95% des étudiants de Paris 1 Panthéon-Sorbonne rejettent les implications de la réforme.

Une attaque ultra-violente, qui menace le droit d’étudier de dizaines de milliers d’étudiants de Paris 1

Comme nous le détaillions dans un précédent article daté du 19 mars, l’attaque s’articule autour de quatre volets.

Premièrement, la réforme vise à restreindre très sévèrement le droit aux absences pour les étudiants. Ces derniers ont pour l’instant droit à 3 absences. Au delà de trois absences à un cours, les étudiants se voient être mis défaillants dans la matière, un statut qui implique la perte de la bourse et le passage impératif aux rattrapages. Avec la réforme, les absences pouvant être justifiées sont extrêmement restrictives : l’étudiant doit disposer d’un certificat d’hospitalisation, un certificat de décès d’un proche ou une convocation à un examen de la fonction publique. Par ailleurs, c’est l’administration qui est en charge du contrôle des justificatifs alors que cette compétence appartenait aux enseignants, qui pouvaient faire preuve de davantage d’indulgence avec leurs élèves. Alors que la consultation du Poing Levé montre que ce sont pourtant plus de 80% des étudiants qui ont déjà dû s’absenter pour un motif autre que ceux autorisés par la réforme, la présidence a indiqué qu’elle était prête à revenir sur cette mesure afin d’entériner le reste du projet de tri social. Une façon de se montrer conciliante sur le volet le plus contesté, tout en commençant à installer une ambiance de flicage dans la fac.

Deuxièmement, la réforme prévoit la suppression pure et simple du statut d’AJAC, qui permettait jusqu’alors à certains étudiants n’ayant pas validé toutes leurs matières de passer à l’année supérieure, avec l’obligation de valider les examens des matières non-validées l’année précédente en plus de ceux de l’année en cours. Avec la suppresion du statut d’AJAC, les étudiants de Paris 1 n’ayant pas validé toutes les matières d’une année seront contraints de redoubler et auront le droit de passer les matières de l’année supérieure. Ce changement généralise le redoublement, et implique que les étudiants devront obligatoirement rentrer dans les schémas de la présidence pour valider leur diplôme. Aussi, alors qu’un étudiant a jusqu’ici le droit de redoubler deux fois en licence et une fois en Master, la suppression du statut d’AJAC implique nécessairement que ces plafonds seront plus vite atteints par des étudiants en difficultés scolaires, contraints d’arrêter leurs études.

Troisièmement, la réforme introduit un flou sur le droit à la compensation. Ce système permet aux étudiants n’ayant pas eu la moyenne dans une ou plusieurs matières de tout de même valider leur année grâce à de bonnes notes dans d’autres disciplines. La compensation peut être effective entre deux matières, deux blocs de matières ou deux semestres différents. Si pour 2025-2030, la compensation est maintenue en principe, la création de matières annualisées à la discrétion des composantes de l’université (les UFR - Unités de Formation et de la Recherche) permet de remettre en question ce droit dans ces matières. Il s’agit là de préparer la généralisation d’un système bien plus rude, qui existe déjà dans un certain nombre d’universités comme Sorbonne-Université ou à Strasbourg. Ainsi, tandis que la consultation du Poing Levé montre que 56% des étudiants ont validé un ou plusieurs semestres grâce à la compensation des notes, la réforme promet de rendre bien plus difficile la réussite scolaire et l’obtention de diplômes.

Quatrièmement, la présidence prévoit d’autoriser les filières à passer certaines matières en contrôle continu intégral. Ce nouveau mode d’évaluation implique surtout la suppression des partiels et de leur période de révision dédiée, mais aussi la suppression des rattrapages et du système actuel où la note de rattrapage remplace celle du semestre. Loin de préserver le principe de « seconde chance », l’évaluation continue intégrale ne laisse pas aux étudiants le choix de comment passer leur semestre, et ne manquera pas de pénaliser les étudiants en emploi non déclaré ou avec un temps de travail inférieur à 15 heures qui ne peuvent pas suivre tous les cours. En d’autres termes, c’est l’introduction d’une sorte de « Bac Blanquer » en licences qui est à l’oeuvre dans le projet de réforme, misant sur le décrochage scolaire des plus précaires pendant l’année pour réduire drastiquement les effectifs étudiants dans les différentes formations.

D’après la consultation du Poing Levé, 68% des étudiants n’auraient pas validé leur licence sans compensation et sans rattrapages. Un chiffre qui est d’autant plus élevé pour les étudiants salariés. Autrement dit, le projet de la présidence de Paris 1 met sur la sellette deux tiers des étudiants, et vise à faire échouer à la fac les plus en difficultés et les plus précaires. Comme détaillé dans le texte déposé auprès des conseils centraux par la présidence, l’université Panthéon-Sorbonne cherche à s’inscrire à l’échelle nationale et internationale comme une université d’élite, avec des étudiants venus de classes préparatoires aux grandes écoles ou de l’internationale, mais aussi sans étudiants précaires et ne pouvant dédier tout leur temps aux études. Une ambition élitiste qui s’inscrit dans une série de « réformes » similaires mises en place dans de très nombreuses universités à travers la France.

Paris 1 : Un des (nombreux) terrains de bataille de la guerre de Macron contre la jeunesse

Il ne faut pas se méprendre : si la loi ORE permet aux universités de mener à bien des réformes locales de tri social, c’est bel et bien une attaque d’envergure nationale qui est en cours depuis plusieurs mois dans plusieurs universités du pays. En effet, Aix-Marseille, Strasbourg, Sorbonne-Université, Caen, Dijon, Lyon 2, ou encore Rennes 2 ont déjà introduit des formes de contrôle continu intégral, avec ou sans rattrapages. De la même manière, une série d’ « Établissements publics expérimentaux » (EPE) ont été fondés ces dernières années, comme l’Université Paris-Cité ou l’Université Paris-Saclay. Ces « EPE » sont des regroupements d’établissements d’enseignement supérieurs qui se caractérisent par une « dérogation au code de l’éducation », permettant notamment aux entreprises privées de jouer un rôle déterminant dans leur gestion interne et dans leurs formations. La construction de ces conglomérats élitistes a mené à la fois à l’exclusion d’un nombre croissant d’étudiants des bancs des universités ou à leur relégation à des facs « de seconde zone », sous-financées et souvent insalubres, mettant de fait en place un système à deux vitesses ; tandis que les anciennes facultés d’élites - dont Paris 1 est certainement la plus parfaite représentante - cherchent à imiter ces nouveaux établissements.

De ce point de vue, il s’agit non seulement d’exiger le retrait total de la réforme locale à Paris 1, mais aussi l’abrogation de toutes les mesures sélectives instaurées dans les autres universités ainsi que de la loi ORE qui confère aux établissements l’autonomie pour adapter la sélection sociale au niveau de chaque licence voire chaque matière. À Paris 1, certaines organisations étudiantes comme le SAP1 (section locale de l’Union Etudiante) ou l’UNEF n’ont pas saisi cet enjeu et misent sur des négociations bilatérales avec l’administration pour tenter de gratter quelques concessions, notamment concernant les absences.

Le Poing Levé au contraire, cherche à démontrer aux étudiants qu’il s’agit plutôt de faire bloc pour le retrait de la réforme dès lors que celle-ci s’inscrit dans un projet national de long terme, antérieur à Macron mais qui a pris son véritable essor depuis son arrivée au pouvoir en 2017. Les dirigeants français ont en effet depuis longtemps comme ambition de neutraliser politiquement le mouvement étudiant afin de briser son rôle d’avant-garde tactique, tout en dé-finançant massivement les études jugées peu utiles au capitalisme et en multipliant les filières « professionnalisantes » pour répondre à la demande du patronat. Une ambition qui se couple à la course à l’élitisme menée par un certain nombre de facs parisiennes et d’autres grandes villes - dans l’espoir de grimper au sein du « classement de Shanghai » pour que la France paraisse plus attractive - tout en reléguant les filières « non élitistes » à des centres et universités de banlieues, méprisés et sous-financés.

C’est dans cette optique qu’ont par exemple été mises en place les plateformes sélectives « Parcoursup » et « Trouver Mon Master », dont l’objectif central est d’accélérer et d’institutionnaliser la sélection des étudiants, sur des critères flous et inégalitaires, afin de faire face à la hausse de jeunes désireux de continuer leurs études après le bac, sans pour autant ouvrir plus de places dans les universités, voir en en fermant toujours plus. D’une certaine manière, les réformes locales permises par la loi ORE de 2018 complètent le dispositif de Parcoursup - agissant en amont de l’entrée à l’université - au sein des filières.

Mettre au pas la jeunesse, s’adapter aux besoins du patronat

Toutes ces réformes visent à la fois à virer des centaines de milliers d’étudiants des universités, afin de s’adapter aux coupes budgétaires de 900 millions d’euros imposées par Macron dans l’enseignement supérieur, mais aussi à accélérer le tri social, afin de transformer les universités en centre de recrutement privilégié pour le patronat.

En effet, à l’heure où l’État charcute le budget de l’éducation pour engraisser celui de l’armée, le rôle des universités doit être, pour Macron et ses ministres, de former les futurs cadres du capitalisme. Elle doit dès lors fermer ses portes à tous ceux qui se destinent à n’être que des travailleurs de base (ou des soldats), ainsi qu’à tous ceux qui envisagent une vie étudiante un tant soit peu épanouissante. Dans l’université de Macron il n’y a pas de place pour les étudiants qui voient les universités comme un lieu d’épanouissement intellectuel, culturel et social ou comme un espace politique. C’est ce que l’offensive contre le droit aux absences à Paris 1 rappelle d’ailleurs pertinemment : aux yeux du patronat, le droit de gérer son emploi du temps est une très mauvaise habitude, à laquelle il convient de ne pas accoutumer les futurs employés.

C’est dans cette optique que les cas de censure et de répression violente contre des militants politiques se sont multipliés ces derniers mois dans toutes les facs de France. De nombreuses présidence d’universités semblent en effet avoir pour ambition de totalement dépolitiser les facs et d’ainsi déshabituer du militantisme politique les futurs travailleurs que sont les étudiants.

Ce projet de néolibéralisation des facs, dont nous subissons une déclinaison particulièrement violente à Paris 1, doit être retiré dans son intégralité. A rebours des stratégies de négociation permettant à la présidence de sacrifier quelques mesures pour entériner l’essentiel du projet, cette attaque d’envergure nécessite une résistance ferme, collective et nationale.


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