L’obsession sécuritaire

France et Israël au diapason pour réprimer la cause palestinienne. Entretien avec Rafik Chekkat

Rafik Chekkat

France et Israël au diapason pour réprimer la cause palestinienne. Entretien avec Rafik Chekkat

Rafik Chekkat

Dans cet entretien, Rafik Chekkat, avocat spécialiste des questions de discrimination revient sur la couverture du conflit israélo-palestinien en France et explique pourquoi le gouvernement et la plupart des médias se rangent du côté de l’Etat israélien. Il aborde également la répression de la solidarité avec la cause palestinienne et la réinscrit dans la dérive autoritaire et sécuritaire du gouvernement français.

RP Dimanche Suite aux attaques du Hamas sur le territoire israélien, l’armée israélienne a entamé une opération militaire de grande ampleur dans la bande de Gaza : siège total, bombardements de civils y compris au moyen d’armes chimiques, déplacements forcés de population. Alors que le gouvernement français annonçait en début de semaine son « soutien inconditionnel » à Israël après les meurtres contre ses civils, comment expliquer le silence du gouvernement au sujet du massacre de la population palestinienne ?

Rafik Chekkat : Rarement un gouvernement français ne se sera enfoncé si profondément dans le soutien aveugle et criminel à Israël. Certes, officiellement la France a toujours été du côté israélien. Il y a même eu un « âge d’or », très bien décrit par le journaliste et auteur Denis Sieffert, entre la IVe République (1946-1958) et le tout jeune Etat israélien.

La coopération militaire entre les deux États était alors à son zénith. L’expérience accumulée par l’armée française dans ses colonies – notamment lors des guerres d’Indochine et d’Algérie – a permis l’exportation à l’étranger de ses techniques contre-subversives. L’armée israélienne a reçu le concours d’instructeurs français en matière de « guerre révolutionnaire ». Et inversement par la suite. Un échange de bons procédés coloniaux, en somme. C’est aussi sous la IVe République que la France va commencer à livrer sa technologie atomique à Israël.

Pour en revenir à la séquence actuelle, le gouvernement français est pris au piège de son « soutien inconditionnel » à Israël, une formule répétée comme un mantra. Une formule qui signifie « impunité totale à Israël » et sonne comme une sentence de mort pour les Palestiniens. Il est aujourd’hui trop tard pour faire machine arrière. D’autant que la diplomatie française n’a pas le moindre contact avec le Hamas ou un quelconque dirigeant palestinien d’envergure à Gaza. Il lui est impossible de « peser » sur le cours des événements. L’exécutif a fait le choix de soutenir jusqu’au bout la fuite en avant meurtrière d’Israël. Les pertes civiles palestiniennes comptent pour quantité négligeable.

RP Dimanche : Dans la continuité, que pensez-vous de la couverture et du discours médiatique sur le conflit en France ?

Rafik Chekkat : Ce discours n’est bien entendu pas uniforme. Dans les grands médias, on a rivalisé de superlatifs pour condamner le Hamas. La présente séquence a partout été décrite depuis la seule perspective israélienne. Une couverture certes unilatérale, mais pas uniforme. Sur les chaines d’information en continu, c’était l’hystérie. L’offensive du 7 octobre 2023 a été analysée sous le prisme exclusif du « terrorisme islamique », ce qui a permis un déversement continu de propos culturalistes sur une violence qui serait intrinsèque à l’islam, etc. Une islamophobie décomplexée et joyeuse a régné sur les plateaux.

D’autres chaines, publiques notamment, ou des quotidiens comme Le Monde ou Libération, expriment leur parti pris très clair en faveur d’Israël de manière plus subtile à travers notamment une euphémisation de la domination coloniale et une réinitialisation de l’horloge : la violence du Hamas est décrite comme « violence primaire », celle à partir de laquelle tout découle. A cela il faut ajouter le jeu ordinaire des fausses symétries qui renvoient dos-à-dos Palestiniens et Israéliens.

Depuis le 7 octobre 2023, l’unanimité journalistique en faveur d’Israël est affichée avec une rare ostentation. Il faut remonter à la Guerre des Six Jours en 1967 pour retrouver un tel enthousiasme dans la presse française. La victoire d’Israël sur Nasser sonnait alors comme une revanche de la perte de l’Algérie et celle de l’empire colonial français en Afrique. Plus près de nous, la première guerre du Golfe avait aussi donné lieu à une couverture médiatique tout aussi biaisée et unilatérale. On se souvient par exemple de ces journalistes en duplex portant masque à gaz et gilet pare-balles alors qu’ils se trouvaient très éloignés du théâtre des opérations. Ou du discours sur les « frappes chirurgicales » de la coalition menée par les Etats-Unis. A croire que les bombes allaient guérir la population irakienne.

RP Dimanche : La situation en Palestine a amené le gouvernement à lancer un tournant autoritaire profond : interdictions systématiques des rassemblements et des réunions et conférences liées à la question palestinienne, etc. La France fait partie des seuls Etats à avoir interdit les mobilisations concernant la Palestine dans tout le pays. Comment expliquez-vous cette offensive autoritaire de la part du gouvernement ?

Rafik Chekkat : Il est important d’écarter d’emblée tout argument de nature antisémite qui voudrait que le soutien à Israël soit le signe d’une mainmise israélienne (ou « sioniste », ou « juive ») sur les médias et la politique. Je pense plutôt que ce soutien est symptomatique de tendances bien françaises. Parmi elles, il y a bien sûr l’extrême-droitisation de la société, la fuite en avant sécuritaire, l’islamophobie et son corollaire qu’est le discours sur le « clash des civilisations ». Tout ceci participe à aligner les séparatismes français et israéliens.

RP Dimanche : Avec ce tournant autoritaire, le gouvernement a lancé une vague de tentatives de dissolutions contre le Collectif Palestine Vaincra, le Comité d’Action Palestine et le Parti des Indigènes de la République. Sur quel appareil juridique s’appuie Darmanin pour se lancer dans une telle offensive ?

Rafik Chekkat : L’arsenal juridique pour rétrécir le débat public, attaquer les libertés politiques et associatives, est aujourd’hui très fourni. C’est pour cela qu’une des formules préférées des juristes, à savoir « Cela me parait contestable du point de vue du droit », montre de plus en plus ses limites. Tout ce que fait le gouvernement a beau répondre à des préoccupations politiques et partisanes, cela est fondé légalement. Par exemple, l’arrestation de deux syndicalistes de la CGT à qui on reproche un tract en faveur des Palestiniens, s’appuie sur le délit d’ « apologie de terrorisme ». Issu d’une vieille loi de 1881 sur la liberté de la presse, il a été introduit dans le Code pénal par la loi du 14 novembre 2014. Depuis une décennie, la répression de ce délit très « politique » autorise tous les abus.

Les dissolutions d’associations s’appuient quant à elles sur la loi renforçant les principes de la République adoptée à l’été 2021 (dite « loi séparatisme »). Elle a déjà permis le démantèlement de nombreuses structures musulmanes. Elle a ensuite été utilisée contre des organisations et activistes écologistes. Ses cibles ne cessent de s’étendre. C’est le fameux « effet cliquet » dénoncé de longue date par les organisations de défense des droits.

Cette façade légaliste fonde en grande partie la violence libérale.

RP Dimanche : Il y a deux ans, on discutait déjà dans nos colonnes avec vous des échos français de la question palestinienne. Qu’est ce qui a changé depuis ?

Rafik Chekkat : Nous avons vieilli de deux ans. Et deux années sous la majorité actuelle en paraissent dix. Plus sérieusement, la fuite en avant répressive du gouvernement ne s’est pas démentie. Le RN n’a pas besoin de gouverner pour être au gouvernement. Pour ne pas être distancé dans l’ « opinion » et dans les urnes, la majorité actuelle multiplie les discours et mesures d’extrême-droite. Ce qui contribue évidemment à la renforcer. En revanche, pour les cibles de ces mesures et discours, les raisons pour lesquelles le gouvernement agit de telle ou telle manière sont indifférentes.

Depuis deux ans, ce qui a surtout changé c’est cette inflation dramatique, couplée à la décision imposée à coup de 49-3 de faire travailler la population deux années de plus pour bénéficier d’une retraite à taux plein. L’appauvrissement de pans entiers de la société (étudiants, chômeurs, retraités ayant de faibles pensions, travailleurs précaires, etc.) atteint des niveaux critiques. Il faut ajouter à cela la décision de faire travailler les allocataires du RSA 15 heures par semaine.

Autrement dit, chaque fois que l’on pense avoir atteint certaines limites, on se rend compte que l’exécutif pousse le curseur de la répression et de la précarisation un peu plus loin. Le néolibéralisme autoritaire fonctionne ainsi comme une brutalisation continue de la société. Sur ce point aussi, les affinités franco-israéliennes sont patentes.

Entretien réalisé pour RP Dimanche par Julien Anchaing et Jyhane Kedaz

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