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Offensive contre la presse

L’UE rejette le durcissement proposé par la France, mais légalise l’espionnage des journalistes

Alors que la France voulait durcir le texte au nom de la « sécurité nationale », l'Union européenne a adopté la première version de la loi prétendant protéger les droits des journalistes. Désormais, ces derniers pourront légalement être espionnés.

Jackson Leniwy

15 décembre 2023

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L'UE rejette le durcissement proposé par la France, mais légalise l'espionnage des journalistes

Crédit photo : David Iliff, CC BY-SA 3.0

Depuis septembre 2022, l’Union européenne se déchirait à propos de l’European Media Freedom Act, projet de loi visant à protéger les droits de la presse à travers l’Union européenne. Dès les premiers mois, la France avait en effet montré son opposition au texte, clamant sa volonté de l’amender et durcir ainsi son contrôle sur le travail des journalistes. Au cœur des débats se trouvait l’article 4, portant sur la question de la protection des sources, principe pourtant de base du droit de la presse. L’Hexagone avait en effet ouvertement affirmé sa volonté de pouvoir détenir, surveiller ou perquisitionner les médias et les journalistes en cas « d’impérieuse nécessité d’intérêt public ». Concrètement, sa crainte portait sur une possible restriction de l’utilisation de logiciels espions, régulièrement utilisés à l’insu de certains journalistes.

La France voulait continuer à espionner les journalistes en toute impunité

Une volonté également affichée par six autres Etats membres : l’Italie, la Finlande, la Grèce, Chypre, Malte et la Suède, quand la Hongrie est elle opposée à l’intégralité du projet de loi depuis le début du processus. Dans une enquête publiée ces derniers jours, Disclose, en partenariat avec Investigate Europe et Follow the Money, dévoilait « les visées liberticides du gouvernement français contre la presse ». Une nouvelle attaque alarmante contre le droit d’informer condamnée par une cinquantaine d’organisations de défense de la liberté de la presse, parmi lesquelles de nombreux syndicats de la presse, les sociétés de journalistes de multiples médias, ou encore Acrimed. « Sans protection des sources, pas de journalisme, pas de démocratie », affirmaient-ils ces derniers jours dans un appel adressé à Emmanuel Macron pour abandonner sa position sur le sujet. « Outre la Finlande et la Suède, la France est rejointe sur cette position par des États où la liberté de la presse connaît des vicissitudes et où, parfois, les journalistes ont pu être inquiétés par les autorités : la Hongrie, l’Italie, la Grèce, Chypre et Malte », pointait de son côté Reporters sans frontières.

Pour mener à bien sa campagne, la France n’avait en effet pas hésité à s’associer aux différents gouvernements d’extrême droite de l’UE, de Giorgia Meloni à Viktor Orban. Objectif : s’assurer que les services de renseignement puissent garder les mains libres pour espionner les journalistes à leur guise. Une volonté de toujours plus les bâillonner loin d’être nouvelle dans l’Hexagone, comme l’a notamment illustré la détention pendant près de 40 heures de la journaliste de Disclose Ariane Lavrilleux, en septembre dernier. Cette dernière avait dévoilé plusieurs crimes de l’Etat français, lequel aurait assisté le régime égyptien dans des frappes ayant coûté la vie à de nombreux civils, avant d’être accusée d’avoir révélé des documents classés « secret-défense ». Une opération scandaleuse largement dénoncée jusqu’au sein des entreprises de presse bourgeoises, et qui visait surtout à identifier ses sources.

La France déboutée, mais l’espionnage des journalistes légalisé

Le troisième et dernier round des négociations entre des représentants du Parlement européen, des Etats membres et de la commission européenne a permis de parvenir à un accord, plus d’un an après le début du processus législatif. Ce vendredi en fin d’après-midi, l’Union européenne se félicitait d’avoir trouvé un accord, allant à l’encontre de la volonté de la France et de ses alliés réactionnaires. Le texte finalement adopté ne contient « pas de référence à la sécurité nationale », a ainsi affirmé l’eurodéputée roumaine Ramona Strugariu à l’issue des tractations.

Cependant, si la loi n’a pas été durcie, elle légalise tout de même l’utilisation de logiciels espions à l’insu de journalistes dans certains cadres précis. Cet usage devra être préalablement autorisé par une « décision judiciaire » et entrer dans le cadre de dix « crimes graves » prédéfinis comme le terrorisme, le viol, le meurtre ou encore le trafic d’armes. « L’utilisation de logiciels de surveillance intrusifs à l’encontre de journalistes devra également être justifiée dans le cadre d’enquêtes sur des infractions graves passibles d’une peine privative de liberté dans l’État membre concerné, écrit le Parlement européen dans son communiqué. Dans ce cas, les mesures de surveillance devront être régulièrement contrôlées par les autorités judiciaires. »

Dans un contexte où des faits d’espionnage de journalistes ont déjà cours, l’Union européenne a ouvert la boîte de Pandore en autorisant l’utilisation de logiciels espions dans un cadre légal. Sans compter que ces supposées restrictions devraient rapidement être largement débordées. Si la voie du pire défendue par la France et consorts n’a pas été retenue, cette loi dont se félicite l’ensemble de la classe dirigeante de l’UE et présentée comme défendant la liberté de la presse est tout le contraire. Remettant profondément en cause la protection des sources, elle ne fait que légaliser la surveillance et la répression des journalistes et ne vient qu’entériner la volonté de restreindre la pseudo-liberté de la presse.


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