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Edito

La CGT doit construire la solidarité avec la lutte pour l’autodétermination du peuple palestinien

Depuis l’offensive meurtrière et coloniale de l’Etat d’Israël, la réponse de la direction de la CGT a été plus que timorée. Alors qu’une invasion terrestre se prépare à Gaza, la CGT devrait s’inspirer de son héritage anti-impérialiste, œuvrer à la construction d’une politique active de solidarité avec la lutte pour l’autodétermination du peuple palestinien et défendre le droit à soutenir la cause palestinienne.

Nathan Deas

24 octobre 2023

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La CGT doit construire la solidarité avec la lutte pour l'autodétermination du peuple palestinien

Crédit photo : Révolution Permanente

L’image d’un hôpital bombardé à Gaza, et son cortège de morts -plusieurs centaines- et de blessés a fait mercredi le tour du monde, obligeant, au moins partiellement et temporairement, médias et politiques à ne plus complètement détourner le regard du massacre en cours. Plus de deux semaines après le début de la « contre-offensive » israélienne, le phosphore blanc, les coupures d’eau et d’électricité et le largage de plusieurs milliers de bombes ont déjà fait près de 5000 morts et entraîné le déplacement de plus d’un demi-million de Gazaouis. Un bilan terrible, qui, dans les prochains jours, s’annonce pire encore. Rapidement, en effet, une offensive terrestre pourrait voir le jour, de quoi faire craindre à l’ONU le scénario d’un « nettoyage ethnique ».

Une position qui tend à mettre sur un pied d’égalité violence de l’oppresseur et violence de l’opprimé

Dans ce contexte, et au regard de ces enjeux, la réaction plus que timorée des directions syndicales, et notamment de la CGT, a été problématique. Dans le concert de déclarations faisant du soutien inconditionnel à Israël la seule position acceptable, Sophie Binet a à juste titre, et ce dès dimanche 8 octobre sur France Info, dénoncé la « politique d’apartheid et de colonisation de l’Etat d’Israël ». Problème, la secrétaire générale de la CGT s’est immédiatement empressée, de renvoyer dos à dos Etat sioniste et résistance palestinienne comme deux causes à part égales « d’une situation gravissime, avec des millions de civils qui risquent de basculer dans la guerre ». Or si les meurtres de civils doivent être condamnés, la logique qui sous-tend les propos de la secrétaire générale de la CGT participe à la construction d’un discours selon lequel la violence des deux camps serait identique.

Dix jours plus tard, période durant laquelle la confédération a surtout brillé par son silence, la centrale a publié un communiqué condamnant la « politique du pire [du Hamas] » et appelant « à stopper immédiatement le bain de sang à Gaza ! » et expliqué « travailler à la construction d’un arc de forces le plus large possible en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et d’une paix juste et durable pour cette région du monde ». Une position qui défend le respect des résolutions de l’ONU, déjà formulée par Sophie Binet sur France Info dans la continuité d’un certain … Jacques Chirac qui « à l’époque avait pu nous rendre fiers » dixit la secrétaire générale de la CGT, et qui malgré une dénonciation plus ferme sur la forme des crimes de l’Etat d’Israël mais aussi de l’offensive autoritaire du gouvernement français contre les soutiens de la Palestine, tend à amalgamer à nouveau violence de l’oppresseur et violence de l’opprimé.

Or ce jeu d’équilibriste ne répond ni à la réalité ni aux enjeux de la situation. Comme le notait Philippe Alcoy précédemment dans nos colonnes : « aujourd’hui les territoires palestiniens n’ont aucune continuité territoriale et sont totalement dépendants d’Israël qui exerce un contrôle presque complet sur des services vitaux comme l’eau potable, l’électricité et même l’aide humanitaire internationale. La population palestinienne vit dans une claire situation d’oppression coloniale et d’apartheid, comme le dénoncent des ONG reconnues au niveau mondial comme Amnesty International. À cela il faut ajouter que la bande de Gaza vit sous blocus depuis 2007, dans la foulée de la prise du pouvoir par le Hamas dans le territoire, et qu’elle a subi six guerres sur cette période. Depuis l’an 2000, 10 500 palestiniens sont morts à cause d’interventions militaires ou d’actions policières israéliennes. Dans ce contexte, et malgré d’énormes souffrances et humiliations, le peuple palestinien n’a jamais cessé de résister et de se battre depuis la création de l’État d’Israël. »

Face à ce genre de situations, le mouvement ouvrier a toujours défendu le droit inconditionnel à la lutte des peuples opprimés contre leurs oppresseurs, le droit à la résistance contre les agressions coloniales, et cela quels que soient les désaccords avec les directions existantes des mouvements de libération nationale ou de résistance. Autrement dit, la critique des méthodes du Hamas ne saurait faire oublier que le premier responsable de toute violence est le pouvoir colonial d’Israël, qu’il y a un oppresseur et un opprimé, un colon et un colonisé. Une position que la direction de la CGT s’est non seulement refusée à défendre clairement, et qui, plus problématique encore, a dans un premier temps servi de prétexte à son maintien à l’écart de l’ensemble des manifestations ou expressions de solidarité en direction du peuple palestinien depuis près de deux semaines et corrélativement de la réponse à l’offensive autoritaire du gouvernement.

Si l’appel de la confédération aux côtés de plusieurs organisations syndicales, politiques et du mouvement social, à participer ce dimanche 22 octobre à un rassemblement place de la République à Paris pour « un cessez-le-feu immédiat » et la fin « du massacre à Gaza » a constitué une avancée indéniable, la présence de la CGT a été réduite au strict minimum, très loin de l’urgence de la situation et de la nécessité de la construction d’une politique active de solidarité avec le peuple palestinien et sa lutte pour l’autodétermination.

Il faut renouer avec la tradition anticoloniale et anti-impérialiste du mouvement ouvrier et syndical

La direction de la CGT devrait en ce sens replonger dans sa propre histoire, et notamment sur le terrain de ses démonstrations anti-impérialistes et anticoloniales. Historiquement, en effet, les militants de la CGT, ont su défendre des positions nettement moins « frileuses », et cela particulièrement dans les années 50-70 dans le contexte de renforcement des luttes de libération nationale dans nombre de colonies françaises. En novembre 1950, par exemple, la centrale syndicale affirme dans Le Peuple [1] sa « solidarité agissante avec la lutte menée par les vaillants peuples algérien, tunisien et marocain pour leur indépendance », laquelle « entre dans le cadre de la lutte des peuples pour la paix, la libre disposition d’eux-mêmes et les conditions de vie meilleures ».

Dès la fin 1954 et tout au long de l’année 1955, les campagnes se multiplient contre « l’état de guerre en Algérie » et pour « soutenir la lutte du peuple algérien pour son indépendance », puis contre la loi sur l’état d’urgence (mars 1955) et l’envoi du contingent, enfin pour « la fin immédiate de la guerre d’Algérie » et contre la répression (à compter de mai 1955), le plus souvent sous la forme de meetings aux portes des usines. Une politique anti-impérialiste fortement réprimée par l’Etat : le 14 juillet 1953, lors d’une manifestation appelée par la CGT, 7 personnes seront tuées par balles par la police, dont 6 algériens. Neuf ans plus tard, le 8 février 1962 dans une manifestation contre la guerre d’Algérie, huit cégétistes communistes seront tués au métro Charonne par la police.

Quelles qu’aient pu être alors les limites de la politique anticoloniale et internationaliste de la direction de la CGT, la période est indubitablement marquée par une politique active de solidarité syndicale, ouvrière et anti-impérialiste. Autre exemple, celui-ci de taille, le 2 novembre 1949, à l’initiative de militants CGT et du PCF, les dockers de Marseille décident de refuser d’embarquer des armes et du matériel militaire pour la guerre d’Indochine. En quelques jours, le mouvement se généralise et s’étend à plusieurs ports, constituant jusqu’à avril 1950 un des mouvements sociaux les plus importants de la séquence post 2ème guerre mondiale et l’un des plus durs de l’histoire des corporations de dockers en France.

La lutte des Palestiniens contre les crimes coloniaux d’Israël, n’est pas différente de celles que menèrent les travailleurs d’Algérie, du Maroc, du Viet Nam ou encore du Cambodge contre les horreurs de l’impérialisme français. Plus que jamais aujourd’hui, le rôle d’une organisation ouvrière comme la CGT, devrait être de proposer une analyse et une perspective de classe, qui défendent les intérêts du monde du travail et des opprimés en France et à l’international, sur tous les sujets, y compris face à la guerre, en défense des peuples opprimés et pour le droit à l’autodétermination.

Il s’agit là en réalité d’un des principes fondateurs du syndicalisme et édicté comme tel à la création de la CGT en 1895, et qui reste d’actualité dans les statuts de la centrale. Au-delà de l’argument moral, celui-là-même que le Che intimait à ses enfants de respecter dans une lettre –« Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde »- la nécessité pour le mouvement syndical et ouvrier français de s’emparer des enjeux liés à la situation palestinienne est directement politique. Israël est une enclave coloniale au service de la préservation des intérêts impérialistes dans le Moyen-Orient et joue un rôle de gendarme de ces puissances dans la région.

Les gouvernements français et occidentaux et leurs chiens de garde médiatique voudraient nous faire croire que les travailleurs et les classes populaires en France auraient les mêmes intérêts que les capitalistes. Or c’est tout le contraire. Plus l’impérialisme français et occidental est fort à l’international et dans ses différents prés carrés impériaux, plus il en profite sur le sol national pour diviser les travailleurs et plus il dispose de marges de manœuvre pour exploiter la classe ouvrière en France. À l’inverse, tout revers de l’impérialisme en Palestine, et ailleurs, renforce la position relative des travailleurs dans leur lutte contre la bourgeoisie, mais aussi le besoin de resserrer l’étau autoritaire de celle-ci sur le sol national. Dans le contexte répressif actuel, la dénonciation des crimes et agissements de l’État sioniste, mais aussi la construction d’une contre-offensive face au bonapartisme du gouvernement Macron est donc une double urgence.

L’urgence d’une politique de solidarité active avec la cause palestinienne sur le terrain de la lutte des classes

A l’intérieur de la CGT plusieurs fédérations ont d’ores et déjà pris position en ce sens, à l’instar de l’UD CGT Nord, l’UD CGT Bouches-du-Rhône ou encore de la CGT énergie Paris. Olivier Mateu, secrétaire général de l’UD CGT 13, déclarait de ce point de vue, à l’occasion d’un rassemblement interdit en soutien à la Palestine à Marseille le 10 octobre dernier, qu’il en allait de sa responsabilité de syndicaliste d’être présent « pour faire entendre aux travailleurs et aux jeunes générations que la situation est inacceptable [et que] les premiers criminels sont ceux qui soutiennent la politique d’Israël ».

Quelques jours plus tard, après son arrestation scandaleuse pour un communiqué de soutien à la Palestine, le secrétaire général de l’UD CGT Nord déclarait à la sortie de sa garde-à-vue : « On ne nous fera pas taire et on continuera le combat. On a rappelé pendant la garde à vue la position de la CGT depuis 128 ans : ne pas oublier tous les camarades. Nous, on les représente et on ne nous fera pas taire. Il y a des conflits dans le monde et la CGT a son mot à dire. On va continuer le combat qu’on doit mener »

De telles solidarités ouvrières sont à généraliser et à développer. À l’international, les syndicalistes et travailleurs des ports de Livourne, Gênes et Naples, qui en 2021 tentaient d’empêcher la livraison de cargaisons d’armes et d’explosifs à destination d’Israël, déclarant dans un communiqué : « le port de Livourne ne sera pas complice du massacre du peuple palestinien », ont montré la voie. La même année, des dockers sud-africains et néo-zélandais refusaient de décharger des cargaisons de navires israéliens pour protester contre l’offensive israélienne sur la bande de Gaza, répondant à un appel du mouvement ouvrier palestinien au boycott d’Israël.

En France, la CGT aurait à réfléchir à un certain nombre d’actions ciblées de ce type dans les entreprises qui commercent avec Israël, notamment d’armement, et toutes celles qui contribuent ou vont contribuer, de quelque manière que ce soit, à l’offensive coloniale de Tsahal. En juillet 2014, la CGT Thalès dans cette perspective interpellait le PDG du groupe à propos de « notre relation commerciale avec l’Etat d’Israël [lui demandant de] revoir [sa] position en matière de commerce, mais aussi d’activités avec le gouvernement israélien dans les domaines militaires et à vous assurer qu’aucun produit acheté ne vient des territoires occupés par Israël en Palestine ou y sera vendu » et appelait à construire la solidarité entre travailleurs français et travailleurs palestiniens.

A minima, la CGT devrait appeler et chercher à construire toutes les manifestations de soutien à la Palestine : y envoyer des porte-paroles ne suffit pas, il faut aussi convaincre les syndiqués d’y venir. Une nécessité d’autant plus urgente que l’offensive répressive contre la solidarité avec le peuple palestinien se poursuit, entre menaces, promesses de dissolution, interdictions de manifestations et arrestations de militants et syndicalistes notamment de la CGT. Alors que le gouvernement est confronté à une pression croissante en faveur de la possibilité d’exprimer sa solidarité avec la Palestine, ce dont a témoigné le rassemblement de ce dimanche à Paris et ses plus de 30 000 manifestants, il apparaît crucial que cette journée ne soit pas sans lendemain et serve au contraire de rampe de lancement à la construction d’une véritable contre-offensive pour exiger l’arrêt des bombardements et de l’intervention israélienne, mais aussi la fin de la criminalisation des soutiens de la Palestine et l’abandon de toutes les poursuites pour des faits de solidarité avec le peuple palestinien.

Une perspective indissociable enfin de l’édification d’une stratégie capable de faire entrer largement le mouvement ouvrier dans la bataille. Lutter pour la Palestine depuis la France, c’est lutter contre Emmanuel Macron, ses appels à la constitution d’une coalition internationale guerrière pour accompagner la "riposte" de l’État sioniste et sa politique de soutien inconditionnel à Israël. Alors que les faiblesses du gouvernement sont réelles, entre difficultés croissantes à l’international et notamment dans son pré-carré africain et difficultés sur le terrain national que le retour des 49-3 au Parlement peine à camoufler, la crise politique et sociale sur fond de paupérisation grandissante du monde du travail pourraient ouvrir de nouvelles brèches pour le mouvement de masse, quelques mois après la mobilisation historique des retraites. Dans ce contexte, plus que jamais, la direction de la CGT doit rompre avec le « dialogue social », construire la riposte contre Macron, et faire de la Palestine un enjeu plus général de notre classe.

Une telle politique sur le terrain de la lutte des classes et dans laquelle une organisation comme la CGT aurait un rôle crucial à jouer pour apporter depuis la France une solidarité active à la lutte du peuple palestinien est d’autant plus cruciale que dans la période d’augmentation des tensions internationales, la construction d’une solidarité internationaliste et ouvrière sera décisive pour que les travailleurs et travailleuses s’opposent aux dynamiques mortifères en cours, dont ils seront les premières victimes et qu’ils sont les seuls à pouvoir arrêter. Cela commence par la solidarité avec le peuple palestinien.

Notes :

[1] Le Peuple commence à paraître comme quotidien en 1921, en remplacement de La Bataille, où s’exprimait déjà la majorité de la CGT de l’époque. Lors de la réunification de 1936 entre la CGT et la CGTU, le Peuple devient l’organe confédéral officiel.


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