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Moyen-Orient

Manifestations en Jordanie : Israël menace, le gouvernement réprime

Les mobilisations se poursuivent à Amman où des milliers de personnes manifestent chaque soir devant l’ambassade israélienne. L’annonce des exigences de l’Etat colonial pour le renouvellement des accords sur l’eau a nourri la colère populaire tandis que la monarchie réprime violemment le mouvement.

Enzo Tresso

11 avril

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Manifestations en Jordanie : Israël menace, le gouvernement réprime

Crédit photo : capture d’écran Associated Press Archive

Depuis plus de trois semaines, des dizaines de milliers de manifestants prennent les rues d’Amman et manifestent devant l’ambassade israélienne, désaffectée depuis le rappel de l’ambassadeur à Tel-Aviv, à la mi-octobre. Ni les déclarations cosmétiques de la monarchie ni les largages humanitaires ne suffisent plus à calmer les Jordaniens qui demandent l’abrogation du traité de paix signé entre Israël et la Jordanie en 1994. Au cœur de la colère populaire, les manifestants visent également le pont terrestre, mis en place par la Jordanie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, pour acheminer des marchandises vers Israël en contournant le blocus Houthis de la route maritime de la Mer Rouge. Si les autorités jordaniennes ne se sont pas encore exprimées sur le sujet, la récente proposition de Yoav Gallant de confier la sécurité de Gaza à une coalition arabe à laquelle la Jordanie participerait, risque d’attiser encore davantage la colère populaire.

Dénonçant également les exportations fruitières à destination d’Israël, les Jordaniens remettent aussi en cause les accords énergétiques avec Israël, l’Etat colonial contrôlant une partie des voies d’accès l’eau du pays tandis que la monarchie importe du gaz israélien. Alors que le contrat sur l’eau s’achève en mai prochain, Israël conditionne son renouvellement à la satisfaction de certaines clauses. Selon certains médias israéliens, le gouvernement Netanyahou aurait exigé de la Jordanie qu’elle rétablisse des « relations diplomatiques normales » avec Israël et cesse d’émettre des déclarations hostiles à l’égard de la politique du gouvernement d’extrême-droite.

L’annonce des conditions israéliennes a aiguillonné les manifestations et soulevé une vague d’indignation dans le pays. Hicham, qui manifestait ce week-end à Amman, juge que « cet accord nuirait à la souveraineté jordanienne et placerait tous les jordaniens sous le contrôle et le chantage d’Israël, surtout avec la présence de ce gouvernement d’extrême-droite ». Portant des revendications radicales, les manifestants demandent la fin des relations diplomatiques avec Israël et l’arrêt de la normalisation.

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Une vaste offensive médiatique contre les Palestiniens

Trois semaines après le début des mobilisations, la rue continue de faire entendre sa voix. Alors que la monarchie réprime toujours plus violemment les manifestants, suscitant les inquiétudes d’Amnesty International, les idéologues du pouvoir parcourent les plateaux des chaînes de télévision du Golfe pour discréditer les manifestants, de crainte que la colère ne s’étende à d’autres pays. Certains commentateurs jordaniens n’hésitent pas à comparer les manifestations aux évènements du Septembre Noir, pendant lesquels la monarchie avait envoyé l’armée pour écraser les forces de la résistance palestinienne qui avait construit un vaste appareil parallèle de gouvernement au sein du pays. N’hésitant pas à qualifier les Palestiniens réfugiés en Jordanie « d’invités maléfiques », l’appareil médiatique de la monarchie tente de gagner la bataille de l’information contre les manifestants.

Le pouvoir accuse ainsi le Hamas et l’Iran d’être les instigateurs secrets du mouvement et leur attribue le dessein de déstabiliser la monarchie et de tourner la rue contre le roi. L’ancien ministre de l’information a ainsi déclaré que le parti nationaliste palestinien manipulait les manifestations pour « envoyer un message et montrer qu’il peut influencer voire conduire la rue jordanienne. La situation sert également l’Iran qui n’a jamais été capable d’exercer la moindre influence politique en Jordanie ». Alors que certains chants de soutien au Hamas ont été entendus lors des manifestations, le pouvoir entend criminaliser le mouvement et ressuscite le vieil argument des autocrates sunnites contre la « chiitisation » de la société : « La sécurité jordanienne est chargée de protéger les manifestants et de garantir leur sécurité, mais le problème vient de ceux qui menacent la sécurité nationale et animent les manifestations avec des chants inacceptables ».

Si les responsables proches des Frères Musulmans, comme Murad al-Adayleh, secrétaire générale du Front d’action islamique, démentent toute ingérence extérieure, le Hamas espère, indéniablement, que la situation catastrophique à Gaza réveille le monde arabe sans pour autant souhaiter le renversement des bourgeoisies arabes et des monarchies réactionnaires de la région. Si l’organisation soutient le mouvement de masse en Jordanie, c’est en grande partie pour conserver ses relations régionales, en donnant à voir la force du soutien populaire à la cause palestinienne, et faire pression sur les dirigeants arabes et leurs alliés impérialistes lors des négociations à venir sur l’avenir de Gaza.

Comme l’explique Amer al-Sabaileh, analyste géopolitique jordanien, le mouvement tente de régionaliser la cause palestinienne : « Les manifestations en Jordanie prennent aujourd’hui une nouvelle dimension, en antagonismes la police ou via les appels à envahir ou assiéger l’ambassade israélienne. Ces aspects sont nouveaux et peuvent être clairement liés aux appels lancés par les dirigeants du Hamas pour mobiliser la population jordanienne et la pousser dans les rues. Les Frères musulmans veulent également tirer parti de cette situation avant les prochaines élections, qui devraient avoir lieu dans environ cinq mois. En Jordanie, nous sentons l’impact de la situation régionale. Le Hamas craint que l’opération de Rafah ne marque sa fin. Le Hamas pense que faire escalader la situation aujourd’hui, mettre la pression sur un pays comme la Jordanie, qui est un allié de Washington et de l’Occident, pourrait être la meilleure recette pour mettre davantage de pression sur Israël et les Etats-Unis et les pousser à un accord politique ».

La monarchie fait le choix de la répression

Mais la marge de manœuvre de la monarchie est très faible. Dépendant d’Israël pour son approvisionnement énergétique et son accès à l’eau, la monarchie ne souhaite pas se couper de l’Etat colonial. Alors que les manifestants demandent l’abrogation du traité de paix israélo-jordanien de 1994 et que les manifestations grandissent, rassemblant chaque soir des milliers voire des dizaines de milliers de personnes, la monarchie fait le choix de la répression.

Depuis le 7 octobre 2023, les autorités ont arrêté près de 1500 personnes, dont 500 depuis le début des manifestations. Les autorités privent les détenus de défense et détiennent administrativement, d’après Amnesty International, au moins 21 personnes. Les autorités ont également interdit les drapeaux palestiniens lors des manifestations et certains slogans. Un couvre-feu a été mis en place à Amman, imposé chaque soir à partir de minuit. La répression touche également les contenus numériques. Une vingtaine d’individus ont ainsi été poursuivis pour des publications sur les réseaux sociaux, grâce à la loi sur la cybercriminalité qui bâillonne les journalistes et les opposants politiques.

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Qu’un pays dont 60% de la population est d’origine palestinienne et qui compte près de deux millions de résidents palestiniens sur son territoire interdise le drapeau palestinien témoigne du degré de fébrilité de la monarchie qui a signé, dans une tentative désespérée pour se racheter aux yeux de l’opinion jordanienne, une tribune hypocrite appelant à un cessez-le-feu à Gaza, aux côtés d’Emmanuel Macron et d’al-Sissi, qui maintient également une ferme censure sur le débat public égyptien.

Comme le note encore Amer al-Sabaileh, craignant que les mobilisations ne prennent encore plus d’ampleur, « les manifestations et protestations en interne en Jordanie exercent donc une pression supplémentaire sur le pays, qui fait déjà face à des difficultés économiques et d’autres crises. Par conséquent, le risque de déstabilisation augmente et il faut que les autorités jordaniennes y soient attentives. La situation est encore sous contrôle mais les échauffourées continues avec la police pourraient créer une déstabilisation ». Analysant la situation du point de vue du pouvoir, al-Sabaileh trahit les peurs des élites jordaniennes que leurs compromissions avec l’Etat colonial ont rendu illégitimes aux yeux du peuple jordanien.


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