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Grèce

Mouvement étudiant en Grèce. « Il faut une grève générale pour défendre l’éducation publique et gratuite »

Depuis plusieurs semaines, des manifestations massives se multiplient en Grèce contre un projet de loi prévoyant la mise en place d’universités privées. Dans cet entretien, Ionas Aggelis, étudiant et militant au NAR, revient sur les caractéristiques et les perspectives du mouvement.

Irène Karalis

5 février

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Mouvement étudiant en Grèce. « Il faut une grève générale pour défendre l'éducation publique et gratuite »

Crédits photo : NAR

En Grèce, les manifestations et assemblées générales étudiantes se multiplient contre un projet de loi prévoyant la mise en place d’universités privées. Ionas Aggelis, étudiant en ingénierie à l’université de l’Attique occidentale et militant au NAR, organisation communiste révolutionnaire grecque, revient sur ce mouvement étudiant massif, qui rappelle la force de frappe de la jeunesse dans un pays qui subit encore les conséquences de la crise de 2008.

Révolution Permanente : Pourquoi la jeunesse grecque se mobilise-t-elle aujourd’hui ?

Ionas : Les grandes mobilisations que nous vivons aujourd’hui à échelle nationale ne sortent pas de nulle part. Il y a une ambiance générale d’opposition aux projets de loi du gouvernement parmi les jeunes qui, tout au long du premier mandat de Kyriákos Mitsotákis, le premier ministre grec, sont descendus dans les rues et ont fait entendre leurs revendications en matière d’éducation, de travail et de vie décente. Les luttes des cinq dernières années contre les projets de loi de SYRIZA et de Nouvelle Démocratie [le parti de Mitsotákis, parti de droite au pouvoir, NDLT], constituent une expérience pour le mouvement étudiant.

Aujourd’hui, les occupations d’universités se multiplient, la voix des étudiants se fait de plus en plus forte dans tous les coins de la Grèce, affirmant que les plans de la bourgeoisie seront renversés. Les jeunes comprennent que le gouvernement est sous pression, ils trouvent dans cette lutte la perspective d’une victoire, c’est pourquoi des milliers d’étudiants participent aux assemblées générales des organisations étudiantes.

Les jeunes se mobilisent parce qu’ils savent que si des universités privées sont créées, si l’éducation est complètement privatisée, la majorité des enfants en Grèce ne pourront pas recevoir d’éducation. En même temps, ils se mobilisent pour beaucoup plus, car l’éducation dans notre pays exige déjà beaucoup de dépenses de la part des familles des élèves et des étudiants. Ils se mobilisent parce qu’ils veulent travailler dans le domaine qu’ils étudient, avec de bons salaires et de bonnes conditions de travail. Ils se mobilisent parce qu’ils se rendent compte que nous pouvons désormais gagner beaucoup plus en luttant pour une véritable éducation publique et gratuite pour tous.

RP : Quel est le projet global de Mitsotakis pour l’éducation et les services publics en Grèce ?

Ionas : Le gouvernement poursuit essentiellement le travail des gouvernements précédents (PASOK, SYRIZA), en suivant les lignes directrices et les exigences de l’Union européenne, sans parler de l’éducation basée sur le Traité de Bologne. Le plan du gouvernement comprend l’institutionnalisation de la dégradation complète de l’université publique et de l’intensification de la concurrence entre les institutions, puisqu’il met désormais les universités privées dans la course au financement. Dans le même temps, il crée des diplômes à plusieurs vitesses, s’attaquant directement aux droits professionnels et aux droits du travail des jeunes travailleurs, dans le but de créer une main-d’œuvre bon marché et flexible, exacerbant les barrières de classe dans l’éducation et le travail. Cela affectera également les matières enseignées dans les écoles elles-mêmes, car les écoles privées transmettront la partie surspécialisation des matières, contribuant ainsi à la fragmentation de nos droits du travail. De plus, la création d’universités privées atteint les fondements même de l’enseignement libre, car à tout moment la subvention de l’État qui assure la gratuité est remise en cause. Enfin, il s’agit d’un projet profondément antidémocratique et conservateur.

Mais le modèle de « libéralisation » des biens sociaux n’est pas un phénomène nouveau. Après tout, c’était le couronnement des impératifs du mémorandum - avec le pillage des biens publics qui s’en est suivi. La santé, l’électricité, les transports, etc. sont autant de secteurs publics qui ont été dégradés au fil du temps par tous les gouvernements afin que le secteur privé puisse intervenir en tant que « dieu de la machine » pour sauver et consolider le secteur public bureaucratique et improductif. Nous avons vu les résultats de ces privatisations dans la pandémie, dans les factures de la DEH [le principal fournisseur d’électricité en Grèce, NDLT], lors de l’accident de train à Tempi…

RP : Comment s’organise la mobilisation ? Comment les étudiants s’organisent-ils face à la répression ?

Ionas : Les mobilisations sont organisées par les décisions des Assemblées Générales, qui sont l’organe dominant des organisations étudiantes. Les Assemblées Générales sont un lieu de rencontre et de discussion pour l’ensemble de la communauté étudiante, où les organisations politiques et les étudiants indépendants prennent position et soumettent leurs propositions. En fin de compte, ce sont les étudiants des organisations et de l’université eux-mêmes qui ont leur mot à dire dans la décision finale, qu’ils déterminent activement. Chaque université dépose sa propre bannière et a son propre cortège dans la rue. Face à la répression, tous les étudiants s’organisent, protégeant chaque cortège d’une éventuelle attaque policière. Cela se fait toujours dans le but de protéger les personnes qui participent à la manifestation ainsi que le message politique qui y est transmis.

RP : Quelles sont les perspectives de mobilisation ?

Ionas : Je crois qu’en ce moment le mouvement est à un tournant, après un mois d’Assemblées Générales, d’occupations et de manifestations. Le moment est venu pour le mouvement étudiant d’organiser des marches à l’échelle nationale et des comités de coordination qui, ensemble, trouveront une direction commune qui pourra organiser des occupations de plusieurs jours, formées par des comités de coordination et qui auront quotidiennement différents types d’actions, dans le but de donner vie aux occupations. En outre, le mouvement étudiant doit s’accorder à la fois avec le mouvement éducatif en vue d’un front universitaire et éducatif - c’est-à-dire s’accorder avec les luttes des enseignants et des étudiants - et, plus largement, avec le mouvement ouvrier. En d’autres termes, il est clair qu’il faut une grève générale pour que tout le monde se lève et défende l’éducation publique et gratuite. C’est ainsi que nous intensifierons notre lutte, c’est ainsi que nous obtiendrons la victoire.

RP : Pouvez-vous nous parler du mouvement étudiant de 2006-2007 qui a sauvé l’article 16 ?

Ionas : 2006-2007 a été l’un des plus grands moments du mouvement étudiant et constitue un exemple durable qui alimente notre lutte actuelle. C’est une lutte qui a été menée dans le pire des contextes, avec de forts pourcentages aux élections parlementaires de Nouvelle Démocratie et du PASOK [Parti de droite et parti social-démocrate historiquement corrompu, NDLT]. C’est une lutte initiée par les forces de la gauche anticapitaliste qui ont cherché à donner de la continuité à la lutte, en réussissant à amener le reste des forces militantes à se positionner de la sorte. Elle a réussi pendant six mois à maintenir les occupations à l’intérieur des écoles, créant une fissure dans la politique bourgeoise et réussissant à délégitimer dans la pratique la révision de l’article 16, car elle a réussi à toucher des pans larges de la population. Évidemment, le mouvement avait aussi des faiblesses. Mais les images collectives victorieuses de la lutte de cette période sont variées et il est important de reconnaître les dynamiques et les faiblesses afin que la lutte d’aujourd’hui puisse également être victorieuse.

RP : Quelle est la responsabilité de SYRIZA et du PASOK qui ont déclaré être ouverts à la possibilité de créer des universités non étatiques ?

Ionas : La responsabilité de SYRIZA et du PASOK est énorme et, à ce jour, elle joue un rôle important dans la restructuration de l’éducation et du mouvement lui-même. Tous deux ont contribué à la restructuration de la carte et du programme de l’éducation, en renforçant la fonction commerciale de l’université et les projets néolibéraux pour l’éducation publique. Nous ne sommes pas surpris par leur soutien au nouveau projet de loi, et la réponse que nous devons apporter en tant que mouvement étudiant doit être globale et attaquer non seulement le gouvernement actuel, mais tous les partis bourgeois et la politique bourgeoise dans son ensemble. En fait, cela fait également partie du débat au sein des universités, les organisations étudiantes se positionnant clairement contre l’ensemble du cadre juridique de l’éducation que tous les gouvernements ont progressivement mis en place au cours des 15 dernières années.


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