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Portugal : « Le renforcement de la droite et de l’extrême-droite signe l’échec de la gauche au pouvoir »

Après 8 ans de gouvernement socialiste, les élections au Portugal ont vu la victoire de la droite ainsi qu’une percée sans précédent de l’extrême droite. Andrea Carvalho, correspondante depuis le Portugal pour RP, revient sur les raisons de ce tournant.

Andrea Carvalho

14 mars

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Portugal : « Le renforcement de la droite et de l'extrême-droite signe l'échec de la gauche au pouvoir »

RP : Peux-tu présenter un tableau général de ces élections, et en quoi elles marquent un tournant au Portugal, après huit ans de gouvernement du parti socialiste ?

Andrea Carvalho : La soirée de dépouillement électoral d’hier soir a été la plus longue et la plus incertaine de l’histoire récente du Portugal. Jusqu’au dernier moment, l’« Alliance démocratique » – la coalition de droite, qui a revendiqué la victoire à ces élections – était au coude à coude avec le Parti socialiste. L’Alliance démocratique a finalement réussi à faire élire 79 députés, tandis que le PS est juste derrière, avec 77 députés. Cette répartition des sièges à l’Assemblée n’est pas totalement définitive étant donné qu’on attend encore les résultats du vote des Portugais de l’étranger, qui représentent 4 sièges. Si les deux partis du centre sont au coude à coude, c’est néanmoins une victoire objective de la droite. Le PS a reconnu sa défaite étant donné qu’aux 79 députés de l’Alliance démocratique, il faut également ajouter 8 députés de l’« Initiative Libérale », un parti ultralibéral qui a déjà annoncé qu’il ferait un accord parlementaire avec l’Alliance démocratique. Mais surtout, l’extrême droite représentée par le parti Chega (littéralement Ça suffit, ndt.) est arrivée en tant que troisième force politique hier soir, avec 48 députés, quadruplant ainsi leur représentation à l’Assemblée. Ils avaient obtenu 12 députés en 2022 et sont désormais à 48 députés. L’Assemblée va donc pencher majoritairement à droite, voire à l’extrême-droite.

Ces élections marquent donc la fin de huit ans de gouvernement socialiste et un retour en force de la droite, dont on peut déjà donner quelques éléments de programme. Luís Montenegro, le probable futur Premier ministre, vient des rangs du parti social-démocrate, le PSD, qui est la droite traditionnelle portugaise. Il était jusqu’ici leader de l’opposition au parti socialiste, et le président du groupe du PSD au parlement, notamment sous le gouvernement de droite de Pedro Passos Coelho entre 2011 et 2015. Son mandat a été marqué par l’intervention de la Troïka et les mesures d’austérité, d’attaques au droit du travail et de très importantes privatisations. Luís Montenegro est issu de cette tradition politique.

Les divers partis de droite ont largement porté, tout au long de cette campagne, un programme néolibéral visant à alléger encore davantage les charges fiscales pour le grand patronat et les grandes entreprises portugaises, particulièrement dans les secteurs de l’industrie, de la finance et de l’immobilier. Un autre thème fort de la campagne à droite a été la question de l’ouverture à la privatisation des services publics, particulièrement de la santé et de l’éducation, qui sont en crise en raison des diverses mesures d’austérité qui ont été appliquées tout au long des dernières années.

Malgré cette nette victoire, le prochain gouvernement s’annonce très instable au vu de l’absence de majorité absolue pour la droite, qui va entre-autres rendre extrêmement difficile l’adoption des budgets annuels nécessaires pour gouverner. Une question qui s’est posée tout au long de la campagne était de savoir s’il y aurait un accord post-électoral entre la droite, de l’Alliance démocratique et de l’Initiative libérale avec l’extrême-droite de Chega. Jusqu’ici, Luis Monténégro a dit et a redit qu’il s’y opposait et que c’était pour lui une ligne rouge. Il l’a répété hier soir dans son discours de victoire. Cependant, il devra de fait trouver des accords parlementaires dans un Parlement qui comptera 48 députés d’extrême droite, sachant que le PS, de son côté, s’est dit opposé au fait de voter les prochains budgets de la droite. Le gouvernement naît donc déjà dans une sorte d’impasse. Pour certains commentateurs, la question se pose de savoir si dans les prochains mois, le Portugal ne sera pas contraint d’organiser de nouvelles élections législatives.

RP : Quel est le bilan de la gauche, après 8 ans au pouvoir ? Quelle est la raison de sa défaite ?

Andrea Carvalho : Il faut tout d’abord rappeler que ces élections législatives se tiennent de manière anticipée : les dernières élections législatives avaient eu lieu en 2022. Le Premier ministre socialiste Antonio Costa a été contraint de présenter sa démission suite à une enquête sur des soupçons de corruption visant un membre de son gouvernement et un membre de son cabinet politique.

Pour le PS, ces élections marquent une défaite importante : ils ont glissé d’une position où, en 2022, ils avaient réussi à conquérir une majorité des sièges à l’Assemblée, à une élection où ils se retrouvent en deuxième position, contraints de mener l’opposition. Cette défaite est attribuable à plusieurs facteurs, mais surtout à une lassitude générale des électeurs portugais à l’égard du Parti socialiste, éclaboussé ces derniers mois par une série de scandales. 

Mais au-delà de ces scandales, c’est aussi la fin d’un cycle qui a été marqué ces dernières années par une aggravation de la qualité de vie des travailleurs, des couches les plus précaires de la société et de la jeunesse. Il y a une préoccupation très forte au Portugal en ce qui concerne le pouvoir d’achat et les salaires. Bien que ces derniers aient légèrement augmenté ces dernières années, cette hausse est loin de compenser l’impact de l’inflation qui a durement frappé le pays.

À cela s’ajoute une importante crise du logement : dans les grandes villes, le prix des loyers a explosé ces dernières années, et plus particulièrement à Lisbonne. Après la crise financière, le gouvernement socialiste dirigé par Antonio Costa a mis en place une politique visant à encourager les capitaux étrangers à investir massivement dans l’immobilier au Portugal, qui a ainsi été saturé par investisseurs étrangers avec un pouvoir d’achat bien supérieur à celui des Portugais. À cela s’ajoute une forte politique d’incitation au développement du tourisme, ce qui a entraîné dans certains quartiers de la capitale une proportion de logements dédiés au tourisme atteignant près de 80 %. Cette situation se traduit par une offre de logements très limitée, et donc une augmentation considérable des loyers, rendant quasiment impossible pour un jeune de se loger normalement à Lisbonne. Par exemple, un appartement de deux pièces coûte environ 1000 €, alors que le salaire minimum au Portugal est de 850 €. Le malaise social est donc très marqué. Beaucoup de jeunes Portugais envisagent d’émigrer, particulièrement parmi les jeunes diplômés.

RP : À quoi peut-on imputer la percée de l’extrême droite lors de ces élections ?

Andrea Carvalho : Cette situation de mécontentement généralisé a été un terreau très fertile pour l’extrême droite portugaise, qui était complètement marginalisée depuis des décennies au Portugal, jusqu’à l’émergence en 2019 du parti Chega, mené par André Ventura, premier député d’extrême-droite à être élu au Parlement portugais depuis la révolution des œillets de 1974. La révolution, qui a mis à bas le régime autoritaire de Salazar, avait permis, notamment par des processus d’auto-organisation des travailleurs et des paysans, d’épurer le pays de l’extrême-droite. La réémergence de l’extrême droite avec Chega s’est avant tout appuyée sur le vote protestataire, essentiellement dans les zones semi-périphériques du pays, de plus en plus précaires et qui se démènent pour vivre du fruit de leur travail. Chega a profité de ce ressentiment pour émerger et pour croître, notamment autour d’un discours particulièrement xénophobe qui vise à pointer l’immigration comme responsable de tous les maux du pays.

Un autre aspect très préoccupant est que Chega capitalise beaucoup sur le vote des jeunes. Selon une étude sortie récemment, les jeunes portugais ont, contrairement à leurs aînés, beaucoup plus propension à voter pour les partis de la droite radicale et spécifiquement pour Chega, face au sentiment que les années de gouvernement socialiste n’ont pas apporté d’améliorations significatives à la vie des jeunes. André Ventura, c’est aussi une personnalité, un phénomène politique et médiatique particulier, au style assez grossier, qui incarne une forme de « radicalité » dans sa manière d’être, ce qui plaît à une partie de la jeunesse.

RP : Quel a été le rôle de l’extrême gauche dans les années de gouvernement socialiste et quelles sont les perspectives pour les années qui viennent ?

Andrea Carvalho : Pour replacer cela dans son contexte, en 2015, le Parti Socialiste a accédé au pouvoir grâce au soutien de la gauche radicale. En effet, lors des élections législatives de cette année-là, ce n’est pas le Parti Socialiste qui l’a remporté, mais la droite, bien qu’elle n’ait pas obtenu de majorité parlementaire. Ainsi, le Parti Socialiste et les partis de gauche plus radicaux, tels que le Bloc de Gauche et le Parti Communiste Portugais, ont formé une alliance parlementaire dans le but de permettre à la gauche de gouverner et d’éviter un second mandat de la droite. Cette période intervient après quatre ans de gouvernement de droite de Pedro Passos Coelho, marqués par des mesures d’austérité très violentes, mais aussi par les manifestations les plus importantes depuis la révolution contre la troïka et l’austérité, menées par la jeunesse précaire.

Entre 2011 et 2013, le Portugal a connu plusieurs mouvements sociaux contre l’austérité et le gouvernement de Pedro Passos Coelho, accompagnés de journées de grève nationale. À cette époque, c’était principalement le Parti communiste qui dirigeait les plus grandes centrales syndicales du pays. Cependant, ces mouvements se limitaient à des grèves ponctuelles sur certaines journées, sans chercher à étendre le mouvement dans la durée ni à dialoguer avec toute une génération de travailleurs précaires non syndiqués, notamment parmi les jeunes qui s’organisent contre la précarité du travail. Cependant, ce mouvement a fini par s’essouffler, ce qui conduit, en 2015, à une forte capitalisation de ce mécontentement social par les partis de la gauche radicale, en particulier par le Bloc de Gauche. Ce dernier est même devenu la troisième force politique lors des élections législatives, ce qui a conduit à un accord avec le Parti Socialiste pour permettre à la gauche de gouverner.

Pour ce qui est du bilan de cette période d’alliance, il est souvent revendiqué par les électeurs de gauche et d’extrême-gauche dans une logique du « moindre mal ». Elle a en effet permis de bloquer l’accession au pouvoir de la droite après des années d’austérité, et quelques mesures progressistes ont été mises en place, telles qu’une légère augmentation du SMIC et la restitution de certains jours fériés supprimés pendant la période de la Troïka. Cependant, il faut noter que cette alliance n’a pas remis en question l’ensemble des mesures structurelles mises en place par la bourgeoisie portugaise, telles que les attaques au droit du travail, les accords collectifs de branche et les gels des carrières dans la fonction publique.

Cette alliance a également placé la gauche radicale dans une position de subordination à l’agenda politique néolibéral du Parti Socialiste, ce qui a contribué à sa réélection en 2022, contrairement à la plupart des autres partis socialistes d’Europe qui sont en train de mourir en raison de leurs politiques néolibérales. Pendant cette période de gouvernement de gauche, les mouvements sociaux se sont calmés, les partis de gauche capitalisant sur le mécontentement sur un terrain électoral et parlementaire, plutôt que d’organiser et de jouer un rôle dans la lutte des classes. Aujourd’hui, ces partis apparaissent très peu comme une opposition à la politique du parti socialiste, mais plutôt comme un appui, ce qui explique que des zones paysannes et appauvries qui étaient anciennement des bastions du Parti communiste, comme le sud du Portugal, sont en train d’être récupérées par l’extrême-droite.

En termes de représentation politique, la gauche radicale a maintenu à peu près son nombre de sièges au Parlement, bien que le Parti Communiste ait perdu quelques députés et qu’un nouveau parti, LIVRE, plus social-démocrate, ait gagné des sièges. Cependant, il manque toujours au Portugal une politique véritablement d’indépendance de classe, capable d’organiser les travailleurs et la jeunesse sur le terrain de la lutte de classes pour proposer des solutions ouvrières aux problèmes sociaux urgents, comme l’éducation, le logement, la santé, les salaires, sans illusion sur l’impasse des stratégies électorales et parlementaires.

Malgré la période de relative stabilité politique, la situation sociale reste tendue, avec une jeunesse précaire et des questions sociales explosives telles que le logement. Il ne faut donc pas sous-estimer la possibilité de nouvelles explosions sociales dans les mois à venir, et l’enjeu qu’émergent des forces politiques qui se donnent comme défi d’y intervenir avec audace pour reconstruire des organisations révolutionnaires.


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