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Téléphonie mobile

Rachat de Bouygues Télécom. Tractations au sommet de l’Etat

Damien Bernard L’appétit de croissance est insatiable pour Patrick Drahi, patron d’Altice, fond d’investissement spécialisé dans les télécommunications et le câble. Après avoir avalé, en 2014, SFR, Virgin Mobile et Portugal Telecom, c’est 10 milliards d’euros que met le patron de la holding Luxembourgeoise sur la table pour s’offrir le très convoité Bouygues Telecom, l’objectif étant de doubler Orange et de devenir le numéro 1 du mobile en France. Dans un secteur des télécommunications stratégique pour le patronat et le gouvernement, les recompositions et inquiétudes se fontpressantes. Mais quoiqu’en disent Valls et Macron, ce sont de toutes façons les travailleurs qui en paieront le prix.

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Abus de position dominante, le revers de la médaille. Après SFR, Bouygues.

Depuis la crise de 2007-2008 rien ne va plus pour les grands monopoles qui ont structuré l’histoire du capitalisme français. Après Alcatel, Alstom, Areva, qui s’affichaient comme les grands groupes mondiaux, « fleurons » de l’industrie française, c’est le géant du BTP, en crise, qui se voit dans l’obligation, à court ou moyen terme, de céder au plus offrant son ancienne poule aux œufs d’or Bouygues Télécom.

Avec l’arrivée de Free en 2012 sur dans le secteur de la téléphonie mobile, c’est l’ensemble des opérateurs historiques Orange, SFR, et Bouygues Télécom qui ont vu leur position dominante remise en cause, après avoir profité de leur leadership constitué en collaboration étroite par les gouvernements successifs aussi bien de droite que de gauche pendant des dizaines d’années.

Cette position dominante a été pointée du doigt lors de la condamnation pour entente sur les prix, en 2005, des trois opérateurs SFR, Orange et Bouygues Telecom, à une amende de respectivement de 220, 256 et 58 millions d’euros. Cette entente révèle une pratique courante pour le grand patronat. Mais une fois la supercherie découverte, par-delà ces amendes ridicules en proportion aux profits générés, le gouvernement dut laisser de nouveaux acteurs s’emparer du marché pour faire mine d’une « concurrence libre et non faussée », comme le dénote l’arrivée de l’outsider Xavier Niel et Free.

Macron « opposé » au rachat, Valls fixe ses « conditions »

Suite à l’annonce de la proposition de rachat de Bouygues Télécom par Altice, Emmanuel Macron est monté au créneau le premier. Le ministre de l’économie « dis et répète » : « La consolidation n’est pas aujourd’hui souhaitable pour le secteur. » « L’emploi, l’investissement et le meilleur service aux consommateurs » seraient ses priorités. Du côté de Valls il ne s’agit pas de s’opposer frontalement à cette recomposition et au passage à trois opérateurs, mais de fixer les conditions d’un feu vert du gouvernement, conditions qui seraient « l’emploi, l’investissement, la vente des fréquences, l’innovation et la qualité de service ».

Là encore, le jeu de théâtre entre Macron et Valls a de quoi faire sourire. A celui qui a utilisé une seconde fois le 49-3, l’arme la plus anti-démocratique du régime parlement, pour faire passer en la force la loi Macron, synonyme de casse du droit du travail, échoit le rôle de « protecteur » de l’emploi, tout en défendant la « concurrence libre et non faussée », alors que Macron joue l’étonnement et de l’agacement. Ce qui montre que ces recompositions dans un des secteurs stratégiques de l’impérialisme français, sur fond de tensions internationales et d’interventions militaires, induisent d’importantes tractations au sommet de l’Etat intervenant au sein de rapports de force mouvants entre l’outsider Altice et Bouygues, tranchant avec la stabilité antérieure à l’arrivée de Free.

Le capitalisme « rentier » à la française en crise

Après plusieurs décennies de partage serein du marché, y compris après l’ouverture à la concurrence de la téléphonie mobile en 1987, on voit aujourd’hui s’opposer deux profils de grands capitalistes. On a d’un côté Martin Bouygues, figure d’un capitalisme français habitué à tirer profit de sa rente de situation, très proche de l’Elysée comme l’illustre l’épisode de sa mort annoncée par erreur dans le journalLe Monde,épisode suite auquel Valls avait indiqué être « Content d’avoir eu Martin Bouygues au téléphone ».

De l’autre, se trouve, Patrick Drahi, figure du capitalisme anglo-saxon, qui use de l’ensemble des techniques financières, notamment l’endettement à outrance.L’homme d’affaires franco-israélien, 4efortune de France selon le magazine Forbes, polytechnicien de 51ans,est passé maitre dans le rachat d’entreprise par effet de levier (LBO), stratégie non sans risque par période de crise, profitant de la baisse des taux d’intérêt obligataires aux entreprises. Il allie par la suite restructurations et licenciements, faisant payant aux travailleurs son objectif d’augmenter la rentabilité en vue de rembourser les emprunts.

En rachetant tour à tour,Numericable, SFR, Virgin Mobile, et avec l’offre de rachat aujourd’hui de Bouygues, ce sont donc les figures du capitalisme rentier, promu et maintenu au sommet par l’Etat français qui s’effritent. Le gouvernement est bien obligé de prendre acte du rapport de force imposé par Patrick Drahi, tout en vendant la peau de Bouygues Télécom, en crise depuis l’arrivée de Free, le plus cher possible au profit de Martin Bouygues, lequel est bien obligé de se recentrer sur son activité phare, elle aussi en crise du reste, le BTP.

De ces recompositions en vue dans un secteur stratégique du patronat et du gouvernement, ce sont bien les travailleurs de SFR, et Bouygues Télécom, et de l’ensemble des sous-traitants des télécommunications qui seront en ligne de mire. La seule solution pour notre camp, c’est leurs expropriations sans indemnité ni rachat et leur nationalisation sous contrôle des travailleurs et des usagers eux-mêmes.

22/06/15.


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