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La crise, c'est classe... contre classe

Rémunérations des grands patrons. Pour eux ce n’est jamais la crise

Dom Thomas La semaine dernière, la presse française s'est émue de l'indemnité de départ touchée par Michel Combes, ex-patron d'Alcatel-Lucent, parti avec 14 millions d'euros, après avoir supprimé 10.000 emplois en deux ans. Macron, Sapin, Cambadélis et Le Guen se sont offusqués de l'affaire, suivis de près par Thibault Lanxade (vice-président du Medef) ; même Challenges et Les Echos y sont allés de leur petit couplet. Michel Combes est pourtant loin d'être le seul à toucher des rémunérations scandaleuses. Pendant que les travailleurs et les travailleuses triment, les grands patrons trinquent à la santé de leur patrimoine.

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Le Journal du Net a épluché, comme chaque année, les comptes des 120 plus grandes entreprises françaises, et en a publié la synthèse dans un article paru le 2 septembre. Les résultats sont édifiants. Au total, en 2014, les rémunérations versées par ces entreprises à leurs dirigeants atteignent 203,3 millions d’euros, soit 10 millions de plus qu’en 2013 – encore faut-il tenir compte du fait que deux entreprises n’ont pas communiqué leurs données. Cela revient au final à une rémunération annuelle moyenne de 1,7 million d’euros par tête.

Le JDN ne s’arrête pas là et publie le classement des 20 patrons les mieux payés en 2014, dont les gains annuels varient entre 2,62 et 4,24 millions d’euros. Ces rémunérations exorbitantes sont pour plus de la moitié en hausse par rapport à l’année précédente. Quand baisse il y a, c’est de l’ordre de quelques points, à une exception près.

La crise économique n’impacte manifestement pas tout le monde de la même manière. Son évocation sert pourtant d’argument systématique contre les revendications des salariés. La hausse des gains des grands patrons est en effet en contraste direct avec la stagnation des salaires observée dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) en 2015, que les travailleurs subissent de plein fouet.

Petit tour d’horizon des entreprises dirigées par les patrons les mieux payés

Le grand gagnant de ces messieurs s’appelle Laurent Burelle ; à la tête de Plastic Omnium depuis 2001, il a touché 4,24 millions d’euros, soit 9,5% d’augmentation par rapport à 2013. Quant à ses salariés ardéchois de Saint Désirat, ils devront se contenter d’une hausse de... 0,5% en moyenne ! Encore devraient-ils probablement s’estimer heureux de ne pas subir la même chose qu’en 2013, où la direction profitait de l’incendie accidentel du site pour exiger un gel des salaires sur 12 mois minimum, et la suppression de RTT. En février puis en mai 2015, des travailleurs combatifs ont bien essayé de lancer un mouvement de grève ; mais il a été rapidement bloqué par un vote à bulletin secret organisé par la CGT et la CFDT, dans le cadre d’un référendum qui constitue en réalité une tactique du patron pour éviter tout conflit. Dans la mesure où il n’y a aucune obligation de consultation, rien n’obligeait les syndicats à accepter la tenue d’un tel vote, qui a abouti au blocage du mouvement à seulement 51% des voix. Pour le plus grand bonheur de Laurent Burelle.

Le patron qui s’est le plus augmenté est le tristement célèbre Lakshmi Mittal, patron d’Arcelor Mittal et responsable de la fermeture des hauts fourneaux de Florange en avril 2013. A l’époque, la direction d’ArcelorMittal nous faisait pleurer sur ses pertes, dues selon elle à d’énormes coûts de restructuration suite à la fermeture du site. Les affaires ont apparemment repris depuis, puisque Lakshmi Mittal a pu s’augmenter de 86,5% en 2014, pour une rémunération annuelle totale de 3,15 millions d’euros. Cet argent a le goût du sang : trois ouvriers sont morts sur différents sites d’ArcelorMittal entre décembre 2014 et juillet 2015. Mais les attaques de Lakshmi Mittal contre les travailleurs, à l’image de celles de tous les capitalistes, ne s’arrêtent pas aux frontières françaises : en juillet 2015, ce sont 2.800 emplois qui ont été supprimés par ArcelorMittal au Mexique. En Algérie, des travailleurs de deux sites sont en grève depuis avril pour obtenir une revalorisation de leurs primes salariales – mouvement que la direction tente de casser par des décisions de justice et une mise en congés forcée.

Un peu plus bas dans le classement, quatre autres patrons affichent des augmentations dépassant la barre des 30%. Franck Riboud, patron de Danone, s’est ainsi octroyé 48,2% de plus que l’an dernier, soit un total de 2,89 millions d’euros. Les salariés de Ferrières-en-Bray, en grève en mars dernier pour réclamer une revalorisation salariale et l’amélioration des conditions de travail, apprécieront. La direction leur avait alors royalement accordé 2%, prétextant un contexte économique « tendu ».

Chez Sodexo, les travailleurs n’ont pas eu cette “chance“, puisque leur patron leur a accordé... 0,4% en 2015 ! Il faut bien trouver quelque part les 2,89 millions d’euros de leur patron, Michel Landel, augmenté de 47%. Même rengaine à Solvay, dirigé par Jean-Pierre Clamadieu (3,16 millions d’euros, 45,5% d’augmentation), où les travailleurs de La Rochelle ont été en grève de décembre 2014 à janvier 2015 suite à l’échec des NAO, et où ceux de Tavaux ont mené la lutte en octobre 2014 pour défendre 1400 emplois.

Impossible de finir sans évoquer Vincent Bolloré, grand manitou de la Françafrique. Ce dernier a touché 2,82 millions d’euros, soit 34,2% d’augmentation. Il faut dire que ce monsieur est passé maître dans le pillage des ressources et l’exploitation des travailleurs du continent africain. En mai, des salariés gabonais était étaient en grève pour obtenir le paiement de plusieurs années d’arriérés de salaire, et leur intégration en tant que travailleurs permanents après 12 ans de travail dans l’entreprise. Au Cameroun, c’est en avril que la colère de travailleurs et de paysans grondait contre la spoliation des terres, les conditions de travail et les salaires dans les plantations. Dans le même temps, à la Réunion, des salariés étaient en grève dans le cadre des NAO, opposés à une direction qui leur annonçait une augmentation de... 0,9%, soit 22 euros mensuels. L’hypocrisie n’a pas de limites.

La liste pourrait encore être longue... On retiendra pour finir le patron (et ses représentants) champion dans le massacre des emplois : Carlos Tavares, PDG du groupe PSA, qui culmine avec 2,75 millions, soit un salaire de 9.000 euros par jour dimanche et jours fériés compris ; mais aussi Philippe Varin et Jean-Martin Folz, ex-PDG, partis avec des retraites-chapeaux de respectivement 300.000 et 800.000 euros par an à vie. Tout cela alors que depuis 2013, plus de 14.800 emplois ont été supprimés dans les usines du groupe, ce qui touche plusieurs sites – comme celui de PSA Aulnay.

On creuse, on creuse... jusqu’à toucher le fond ?

Pendant que les grands patrons augmentent en toute légalité leur rémunération, la stagnation des salaires des travailleurs provoque une dégradation rapide de leur niveau de vie. Les constats qui viennent d’être dressés participent d’un mouvement global et rapide de creusement des inégalités qui, en France, s’est accentué depuis les années 2000.

En effet, après avoir augmenté entre les années 1970 et les années 2000, le niveau de vie moyen (une fois l’inflation déduite), des 10% les plus pauvres a baissé de 6,2%, soit 531 euros entre 2002 et 2012. Par contraste, celui des 10% les plus riches a augmenté de 118%, soit 6.000 euros sur la même période ! Le revenu moyen des 10% les plus riches était 6 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres en 2002 ; en 2012, il est 7,2 fois supérieur. L’évolution est la même dans l’ensemble des pays de l’OCDE, où les inégalités n’ont jamais été aussi élevées.

Les luttes de travailleurs et travailleuses de nombreux secteurs démontrent leur combativité au quotidien malgré l’assourdissant silence médiatique qui les entoure. Salaires ridicules, conditions de travail dégradées, précarité renforcée : autant de raison de construire un mouvement ouvrier fort et déterminé, pour venir à bout de ce système basé sur l’exploitation et l’oppression de la majorité.

Pour plus de détails sur l’évolution des écarts de revenus et des niveaux de vie, consulter le Rapport sur les inégalités en France, publication de l’Observatoire des inégalités, 2015.


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