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Tribune libre

Tal Mitnick, 18 ans, emprisonné par Tsahal : « Je refuse de participer à une guerre de vengeance »

Tal Mitnick, militant pacifiste israélien de 18 ans, est le premier objecteur de conscience emprisonné par Israël depuis le 7 octobre. Un geste courageux suite auquel nous reproduisons son interview dans +972 Magazine en tribune libre.

29 décembre 2023

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Tal Mitnick, 18 ans, emprisonné par Tsahal : « Je refuse de participer à une guerre de vengeance »

Crédits photo : Tal Mitnick lors d’une manifestation contre le gouvernement à Tel Aviv, 29 avril 2023. Sur la pancarte, on peut lire : "Plutôt mourir que rejoindre l’armée" @Oren Ziv/+972 Magazine

Nous reproduisons ici l’interview de +972 Magazine, journal en ligne indépendant réunissant des journalistes Palestiniens et Israéliens, qui a pu rencontrer Tal Mitnick avant son incarcération. Il y explique son refus de rejoindre l’armée et donne son point de vue sur la guerre en cours. Il nous semble important de le proposer à notre lectorat, par-delà nos désaccords.

+972 : Comment as-tu pris la décision de refuser le service militaire ?

Tal Mitnick : Même avant le premier avis de mobilisation, je savais que je n’étais pas intéressé par le service militaire. Je savais que je ne voulais pas servir dans ce système qui perpétue l’apartheid en Cisjordanie et ne fait que contribuer au cycle de l’effusion de sang. J’ai compris que la position très privilégiée dans laquelle je me trouve, avec une famille et un environnement qui me soutiennent, m’oblige à l’utiliser pour toucher d’autres jeunes et leur montrer qu’il existe une autre voie.

Lorsque je parle à mes amis - dont certains font leur service et d’autres ont été exemptés - des raisons pour lesquelles je ne vais pas à l’armée, ils comprennent que c’est une question d’humanité et de considération pour l’autre. Personne ne pense que je soutiens le Hamas ou que je souhaite que [mes amis] subissent des représailles. Il y a des gens qui pensent que l’armée leur apportera la sécurité ; je pense que refuser de rejoindre l’armée est ce qui nous apportera le plus de sécurité.

+972 : Comment les manifestations contre la réforme du système judiciaire ont-elles participé à façonner ta vision du monde ?

Tal Mitnick : Avant les manifestations, je gardais mes distances avec l’activisme politique, et je ne pensais pas qu’il était possible d’avoir un impact en tant qu’individu. Lorsque les manifestations ont commencé et que j’ai vu que des membres de la Knesset (Parlement) descendaient dans la rue, j’ai réalisé que la politique était plus proche de moi que je ne le pensais, qu’elle pouvait toucher tous les coins du pays et qu’il était possible d’avoir une influence. C’est là que j’ai compris que mes actions pouvaient affecter la réalité que nous voyons ici, et que j’avais l’obligation d’agir pour un avenir meilleur.

+972 : Est-ce que tu t’es demandé si c’était le bon moment pour agir, vu le contexte ?

Oui, j’avais des doutes. J’ai toujours su que l’armée n’avait pas de politique cohérente à l’égard des objecteurs de conscience, que la réponse pouvait changer en un instant - libérer tous les objecteurs ou les emprisonner pour une longue période - et j’étais préparé à cela. Après le 7 octobre et l’attaque [du gouvernement] contre le mouvement pour la paix, contre le partenariat judéo-arabe et contre les citoyens palestiniens exprimant leur soutien et leur solidarité avec les innocents de Gaza, mais aussi contre les manifestations, la situation est devenue effrayante. Mais c’est précisément le moment de montrer l’autre côté, de montrer que nous existons.

+972 : Penses-tu qu’il y a des gens en Israël qui sont capables d’entendre ton message en ce moment ?

Nous savons tous que nous avons besoin d’une autre voie, surtout après le 7 octobre. Nous savons tous que cela ne fonctionne tout simplement pas, que Benjamin Netanyahu n’est pas « Monsieur Sécurité ». La gestion du conflit est une politique qui n’a pas fonctionné et qui a fini par s’effondrer.

Nous ne pouvons pas continuer avec la situation actuelle et il y a maintenant deux options : celle de la droite, qui veut le déplacement et le génocide des Palestiniens de Gaza, et l’autre, qui dit qu’il y a des Palestiniens ici, vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée, et qu’ils ont des droits. Même les personnes qui ont voté pour Bibi (Benjamin Netanyahu), et même celles qui ont soutenu la réforme judiciaire, peuvent accepter l’idée que chacun mérite de vivre dans la justice, que chacun mérite d’avoir un toit au-dessus de sa tête, et défendre la coexistence ici.

+972 : Après le 7 octobre, de nombreux partisans de la gauche ont affirmé avoir été « dégrisé » [sur leurs convictions pacifistes, NdT]. Cela a-t-il été ton cas ?

Rien ne justifie que l’on fasse du mal à des civils innocents. L’attaque criminelle du 7 octobre, au cours de laquelle des innocents ont été tués, constitue à mes yeux une résistance illégitime à l’oppression du peuple palestinien. Cependant, interdire la résistance légitime telle que les manifestations ou présenter les organisations de défense des droits de l’homme comme des organisations terroristes conduit les gens à déshumaniser l’autre et à mener des actions ciblant les civils.

Le 7 octobre n’a pas changé mon point de vue, il l’a seulement renforcé. Je continue de penser qu’il est impossible de vivre avec le siège de Gaza et l’occupation sans en ressentir les conséquences. Je crois que beaucoup de gens ont fini par le comprendre. L’idée que si l’on cache le problème il disparaît ne fonctionne pas. Quelque chose doit changer, et le seul moyen est de parler, de parvenir à un règlement politique. Je ne dis pas que cela résoudra tout, mais ce sera un pas de plus vers la justice et la paix.

+972 : Quelle a été ton expérience avec le « comité de conscience » [organisme qui étudie les cas des objecteurs de conscience, composé de militaires et d’universitaires] ?

L’enquêtrice de la pré-commission était agressive. Elle a remis en question ma non-violence parce que je m’opposais aux actions du gouvernement et à l’occupation. En raison de mes opinions, elle m’a dit que je n’étais pas un objecteur de conscience parce qu’il s’agissait d’opinions politiques.

En fin de compte, je suis passé par la pré-commission et j’ai comparu devant la commission elle-même moins d’une semaine après l’entretien, alors que de nombreuses personnes attendent habituellement une demi-année. C’était un entretien hostile : moi face à quatre personnes.

Ils ont attaqué mes opinions. Ils m’ont demandé ce que j’aurais fait le 7 octobre et comment j’aurais géré la situation. Ils m’interrompaient constamment et me disaient qu’ils allaient formuler la question différemment. J’ai essayé de continuer à répondre, mais ils m’ont dit que je ne leur répondais pas. Je ne suis pas le dirigeant d’Israël, ils ne peuvent pas faire comme si c’était le cas.

Ils m’ont demandé en quoi mon refus était différent de celui des Frères d’armes [un groupe d’anciens combattants de l’armée qui ont déclaré qu’ils refusaient de se présenter au service de réserve pour protester contre le coup d’État judiciaire]. J’ai répondu que je les appréciais et que je trouvais important qu’il y ait des gens qui aient une ligne rouge par rapport au service militaire - mais j’avais déjà ma ligne rouge avant, et j’espère que leur ligne rouge se rapprochera de la mienne.

Deux jours plus tard, on m’a dit que je n’avais pas été accepté par la commission [cela signifie ne pas être exempté de service militaire, et donc aller en prison]. Je n’ai pas été surpris. Je n’ai reçu aucune explication, ils m’ont simplement appelé pour m’annoncer le résultat.

+972 : Comment avez-vous prévu de passer le temps en prison ?

J’ai quelques longs livres que j’espère qu’ils m’autoriseront à les apporter : Drinking the Sea at Gaza d’Amira Hass, une histoire de la CIA, et une histoire de la lutte des Mizrahi (organisation sioniste israélienne) par Sami Shalom Chetrit. J’ai parlé avec des objecteurs de conscience qui ont déjà été en prison ; ce n’est certainement pas une colonie de vacances, mais d’après ce que j’ai compris, il est possible de s’en sortir. Il suffit de savoir quoi dire, et de ne pas se croire au-dessus des autres.


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