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Entretien

« Une mobilisation inédite par sa radicalité et son caractère politique », Marion, prof dans le 93

Depuis le 26 février dernier, les travailleurs de l’éducation du 93 se mobilisent pour un plan d’urgence et contre le « choc des savoirs ». Une mobilisation d’une profondeur et d’une radicalité importante. Nous avons interviewé Marion, enseignante dans un collège à Saint-Denis et militante à Révolution Permanente.

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« Une mobilisation inédite par sa radicalité et son caractère politique », Marion, prof dans le 93

Révolution Permanente : Cela fait près d’un mois que vous êtes mobilisés et en grève. Peux-tu revenir sur les raisons de la colère et les dynamiques de la mobilisation ?

Marion : Tout d’abord, il faut voir que la mobilisation a été d’une profondeur et d’une radicalité inédite qu’on n’avait pas vu depuis vingt ans. Cela fait des années que, face à la casse de plus en plus brutale de l’éducation, on se disait qu’on refuserait de faire la rentrée. Là, on l’a vraiment fait. La mobilisation a démarré autour de la revendication d’un plan d’urgence pour le 93 appelée par l’intersyndicale. On s’est lancé dans la bataille pour réclamer des embauches, des moyens, la rénovation des établissements, un plafonnement du nombre d’élèves par classe... Dans un contexte où le gouvernement Macron mène des attaques d’ampleur contre l’éducation, on a discuté de la nécessité de lier les revendications autour des moyens au retrait des attaques nationales en cours, notamment celles visant à accentuer le tri social. Ainsi, le retrait du choc des savoirs est l’une des revendications qu’on porte également au cœur de notre mobilisation.

Ainsi, dès le 26 février, on a décidé de ne pas faire notre rentrée et on s’est mis massivement en grève. Convaincus de la nécessité d’instaurer un rapport de force dur et le plus large possible, on a opté pour une grève reconductible et un phénomène de grève marchante a émergé. On a en effet cherché à mettre à profit le temps libéré par la grève pour aller chercher les autres collègues : tournées d’établissements, organisation de réunions et d’AG de ville, avec la volonté d’aller convaincre tous ceux qui n’étaient pas encore entrés dans la bataille de se mobiliser.

C’est une mobilisation très riche et passionnante de ce point de vue, car elle cherche à s’entourer, à convaincre. En communiquant sur les revendications, en cherchant à faire comprendre le sens profond des attaques.

Dès le début, on a également souhaité mettre les parents et les élèves dans la bataille. On a tracté dans les marchés, auprès des familles. On a organisé des réunions de quartier et des AG où parents et élèves étaient conviés. Avec une vraie volonté de discuter, de s’entourer, de faire de l’éducation une cause d’ensemble. Sur plusieurs établissements des piquets de grève ont été organisés, qui permettaient de discuter avec les collègues, mais aussi les élèves et les parents qui y passaient. C’est une dynamique de mobilisation très riche et passionnante de ce point de vue, car elle a cherché à s’entourer, à convaincre. En communiquant sur les revendications, en cherchant à faire comprendre le sens profond des attaques, les problèmes engendrés par une école à plusieurs vitesses qui touchent fortement nos élèves issus de quartiers populaires, qui sont des questions politiques qui dépassent la question des moyens. En clair, une mobilisation qui a touché à des questions très politiques, qui est pour moi une des raisons du blackout médiatique. Cela montre que, malgré le caractère localisé de la mobilisation, le rectorat a craint que cette dynamique, ses aspects progressistes, ne fasse tache d’huile dans toute l’Île-de-France, et puisse montrer la voie à une échelle plus nationale.

La mobilisation actuelle a marqué un retour notable des assemblées générales, qui nous avaient manqué l’année dernière au moment de la réforme des retraites. Dès les premiers jours, des AG de ville ont été organisées et certaines ont rassemblé beaucoup de monde, jusqu’à plus de 200 personnes dans le bassin d’Aulnay ou en AG 93. Elles ont permis d’organiser toutes les initiatives très progressistes que j’ai mentionnées plus haut. Plus récemment, elles ont commencé à devenir des cadres qui permettent de réfléchir et d’élaborer davantage autour de nos revendications. A l’image d’une motion de l’AG de la Courneuve dénonçant le crime policier de Wanys, ou d’une motion votée à l’AG de Montreuil exigeant le retrait de la loi Darmanin et des lois racistes et islamophobes, comme la loi de 2004 ou la circulaire autour des abayas. Et ça ce sont des éléments forts qui commencent à s’exprimer à la base : se retrouver en AG de ville et départementale non juste pour discuter des actions mais aussi des revendications pour lesquelles on souhaite se battre, et qui nous permettraient de faire l’unité la plus large possible pour obtenir des victoires.

RP : Tu as évoqué plusieurs éléments très progressistes de la mobilisation, qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?

Marion : Selon moi, l’un des acquis très important de cette mobilisation, c’est la réappropriation de méthodes de lutte très progressistes : auto-organisation, grève active, grève marchante, alliance avec les familles et la population… Avec l’émergence de personnels de l’éducation qui sont des militants actifs de la grève. Là où les dynamiques sont les plus fortes, dans l’est du département, ce sont souvent des jeunes générations de profs qui sont à la tête de la mobilisation, qui s’organisent avec beaucoup de détermination et de radicalité. Qui, bien souvent, ont peu d’expérience militante mais mettent au cœur la question de la stratégie à même de nous faire gagner. En tirant, entre autres, les bilans du mouvement des retraites de l’année dernière, autour de l’impasse des journées isolées. Qui, de ce fait, veulent être des militants actifs de la mobilisation, en se réunissant en assemblées générales et en décidant des initiatives permettant d’élargir et de durcir la mobilisation. Après la défaite des retraites, voir un secteur qui relève la tête, qui essaye de tirer des bilans et se réapproprie ses méthodes de lutte est un symptôme très intéressant. C’est un élément fort et un acquis pour la lutte actuelle mais également pour toutes les autres qui suivront.

L’autre acquis important, c’est la jonction forte qu’il y a entre les familles et les personnels de l’éducation. Depuis que je travaille dans l’éducation, je n’avais pas encore vu une dynamique pareille et une telle alliance tissée. Dès les premiers jours, on a écrit des tracts à leur destination, on a demandé aux élèves de les traduire en plusieurs langues pour qu’ils soient accessibles aux plus de familles possibles, on a fait le tour des marchés… Du côté des parents, en premier lieu beaucoup de mamans, on a eu comme retour immédiat une envie d’être à nos côtés, d’échanger, de nous soutenir mais aussi de participer activement à la lutte. En tractant avec nous, en participant aux manifestations et rassemblements locaux, en proposant des collèges et lycées morts pour alléger les pertes de salaire liées aux journées de grève.

J’ai trouvé les échanges riches et révélateurs du fait que le combat contre les attaques dans l’éducation est très politique. Quand on échange avec les parents, ces derniers lient les problèmes que ces derniers et leurs enfants rencontrent à l’école à d’autres problèmes sociaux. La question de la casse de l’hôpital public est un élément qui revient par exemple souvent dans les discussions. Les familles mettant en lien la destruction de l’école publique à celle des hôpitaux : « on est passé à côté de la destruction de l’hôpital public, là où on vit c’est difficile de trouver un accès aux soins, mais on ne veut pas passer à côté de la destruction de l’éducation publique ». La question des JO a été également mise sur la table, nos parents d’élève à Saint-Denis étant en ce sens scandalisés qu’on embellisse la ville en vue des JO, mais que les travailleurs et les jeunes des quartiers populaires souffrent toujours autant, que le coût des transports augmentera à l’occasion des jeux, que la ville sera la vitrine des JO alors que l’accès au sport pour la jeunesse qui y vit est un réel problème. Ils voient que tout ce qui n’est pas rentable pour Macron est sacrifié en priorité. Tous ces échanges nous montrent que le combat pour l’école est un combat d’ensemble, que c’est un enjeu de société. La casse de l’école publique et les offensives autoritaires et idéologiques en cours à l’école étant au service de l’offensive plus générale du gouvernement et de la guerre qu’il mène à l’ensemble des travailleurs et des classes populaires.

Se retrouver, élèves, parents, réapprendre à militer ensemble, discuter ensemble des revendications et des manières de les défendre, c’est une manière de répondre aux divisions entretenues par le gouvernement, l’extrême droite.

Ces réunions de quartier parents/personnels sont en ce sens des acquis précieux, qu’il serait important de pérenniser. Tout d’abord parce que ces réunions nous ont montré que nous avions besoin d’espaces pour échanger entre nous, et que ces derniers sont très riches et nous permettent de politiser davantage le combat que nous menons dans l’éducation. De plus, face à l’ampleur des attaques, sur le terrain de l’école et au-delà, avec entre autres la réforme chômage, le RSA conditionné, la hausse du prix du logement, ce dans un contexte où la période de forte inflation continue à peser sur nos salaires, il est nécessaire qu’on s’organise pour apporter une autre réponse à leur offensive néo-libérale tous azimuts. En tant que travailleurs de l’éducation, ces attaques qui visent l’ensemble du monde du travail et notamment les classes populaires, en l’occurrence les familles de nos élèves, sont des sujets qu’on doit prendre également à bras le corps. En effet, au-delà des attaques spécifiques sur l’école publique, il est évident, et on le voit malheureusement au quotidien, qu’il est impossible que nos élèves soient dans de bonnes conditions d’enseignement s’ils subissent à côté la précarité, le mal logement, le manque d’accès à la santé…

RP : Au-delà des parents, il y a eu la volonté de certains enseignants d’opérer la jonction avec leurs élèves. Avec une expérience de lutte commune profs/élèves au lycée Cendrars à Sevran.

Marion : C’est vrai que la mobilisation a été marquée par plus de tension à s’adresser et à se lier à nos élèves. Au niveau de l’état d’esprit, je perçois des changements s’opérant à ce niveau. La volonté d’arracher plus de moyens s’est accompagnée d’un discours fort sur le désir d’améliorer les conditions d’étude de nos élèves. Dans la mobilisation, nombreux sont ceux affirmant que s’ils se battent avec radicalité et détermination comme aujourd’hui, c’est avant tout et en priorité pour nos élèves. Je pense que c’est très impactant pour les élèves de voir que leurs profs souhaitent se battre à leurs côtés, pour leurs conditions d’enseignement et pour leur avenir.

De plus, le fait que la mobilisation soit allée au-delà de la question des moyens et ait intégré le retrait du choc des savoirs est un élément important. En AG, des interventions reviennent en effet sur la limite de revendiquer uniquement plus de moyens, si ces derniers sont mis au service d’une éducation visant à trier les élèves, qui n’est pas celle qu’on défend pour eux. Je pense que ce sont des symptômes intéressants et que l’ampleur des attaques, le malaise que ça engendre au sein du secteur, ouvrent un espace pour dépasser des luttes uniquement corporatistes, questionner le sens des réformes, du projet d’éducation du gouvernement, et à l’inverse, le type d’éducation et d’école qu’on veut défendre. Et ce questionnement et ce combat à mener contre le projet d’éducation du gouvernement doivent se faire en alliance avec nos élèves.

Au vu de la profondeur des attaques sur cette jeunesse, c’est primordial de briser cette espèce de rupture entre profs et élèves.

Au vu de la profondeur des attaques sur cette jeunesse, il est primordial de briser cette espèce de rupture entre profs et élèves. Qu’on discute avec eux de ce qui les attend. Parce que les réformes récentes et en cours, visant à accentuer le tri social, le bac Blanquer, Parcoursup, la réforme du lycée professionnelle, le choc des savoirs, sont au service d’un projet de société élitiste et réactionnaire. Elles visent à faire de cette jeunesse une future main d’œuvre corvéable, rentrant le plus tôt possible sur le marché du travail, peu qualifiée, qu’on pourra précariser à merci. Dans le contexte d’un capitalisme toujours plus pourrissant qui n’a aucune perspective d’avenir à proposer, hormis des crises, de la précarité, une planète qui brûle, une accentuation des conflits et des guerres, c’est ça le sens profond des réformes en cours dans l’éducation, le SNU, l’uniforme, les refontes de programmes d’EMC, les offensives racistes au nom de la laïcité, autour de pseudo valeurs républicaines.

Sachant que nos élèves font partie de cette jeunesse qui a grandi au travers de beaucoup de mobilisation. C’est la génération Adama, pour le climat, post Me Too. C’est la jeunesse qui a grandi face aux mobilisations des Gilets Jaunes, qui a traversé le Covid et a vu ses parents lutter contre la réforme des retraites. Cette jeunesse qui, il y a encore un an, se révoltait contre le crime policier de Nahel. C’est une jeunesse qui a en somme un fort potentiel politique, qui a une forte conscience de la violence de ce système, et qui, si elle commence à s’organiser pour réclamer un nouvel avenir, peut renverser la vapeur. C’est de ça dont le gouvernement a peur, et c’est pour ça qu’il formule des attaques pour la faire rentrer dans le moule.

La solidarité énorme dont les lycéens ont fait preuve à l’égard de leurs profs convoqués par l’institution m’a extrêmement marquée et touchée. Je n’avais encore jamais vu de liens aussi profonds se tisser dans la lutte.

Dans ce cadre d’offensive contre la jeunesse, l’émergence d’un phénomène comme à Blaise Cendrars, avec des lycéens relevant la tête, luttant avec détermination et radicalité aux côtés de leurs profs, faisant des Tik Toks pour dénoncer leurs conditions d’accueil et d’enseignement, mais aussi les coups de com’ du gouvernement au regard de la réalité de leur quotidien, est très fort. De plus, l’alliance tissée au cours de la mobilisation entre eux et leurs enseignants est exemplaire et subversive. A ce propos, la solidarité énorme dont les lycéens ont fait preuve à l’égard de leurs profs convoqués par l’institution m’a extrêmement marquée et touchée. Je n’avais encore jamais vu de liens aussi profonds se tisser dans la lutte. Dans le contexte où le gouvernement tente de nous diviser, d’instaurer l’idée qu’on serait victime de nos élèves “indisciplinés” et “incivilisés”, ces images sont très fortes et subversives et sont un contrepied à toute la stigmatisation à l’égard de nos élèves, à l’heure où le gouvernement, la droite, l’extrême droite parlent d’ensauvagement des quartiers.

Ça envoie un message fort à la jeunesse des quartiers populaires, qui a souvent été isolée dans ses luttes, contre les violences policières, contre le racisme, l’islamophobie et la stigmatisation. De plus, ça envoie un message au gouvernement. Sur le fait qu’on ne laissera pas faire et qu’on dénonce l’institution qui fait de nous le relai autoritaire, raciste, sexiste et de la mise au pas et de l’embrigadement de la jeunesse. C’est en ce sens que l’alliance entre la jeunesse et les personnels de l’éducation est une clé importante dans le combat à mener pour faire reculer le gouvernement et imposer nos réponses à la crise. Et c’est une jonction qui leur fait en réalité très peur. C’est pour ça qu’ils ont tenté d’intimider, de démoraliser, à travers la menace de répression, les grévistes de Blaise Cendrars. Mais on a eu une réponse exemplaire, à travers la solidarité et la mobilisation, qui les a fait reculer.

RP : Peux-tu nous faire un bilan d’étape de la mobilisation et nous dire comment tu vois les suites ?

Marion : Aujourd’hui, alors qu’on a mené 5 semaines de mobilisation, et qu’une nouvelle journée de mobilisation contre le choc des savoir est prévue ce mardi 2 avril, le rectorat et le ministère n’ont toujours rien lâché concernant nos revendications propres au plan d’urgence. Cela confirme la radicalisation du gouvernement et du patronat que nous avions déjà observé lors du mouvement contre la réforme des retraites. Ceux d’en haut ne sont même plus prêt à lâcher des miettes pour faire baisser la pression, car ils ont eu de nombreux épisodes de luttes de classes ces dernières années pour mesurer l’instabilité politique et sociale qui règne dans le pays. Dans cette situation, lâcher des concessions à un secteur combatif, qui relève la tête et exprime des tendances politiques progressistes, risquerait de donner des idées à d’autres. Ainsi, ils continuent à jouer la carte de l’épuisement, des divisions et de l’isolement.

Dans ce contexte, force est de constater que la dynamique en baisse, que ce soit en termes de taux de grève, de présence aux rassemblements et dans les cadres d’auto-organisation. Tout en ayant une dynamique qui se poursuit et s’inscrit dans la durée, avec des réunions avec les familles, des rassemblements locaux qui se maintiennent, à l’image du rassemblement appelé par la FCPE dimanche dernier, qui a été réussi, réunissant 1500 personnels et familles. Cela témoigne du fait qu’il y a des acquis qui se maintiennent, une volonté de continuer à se battre, mais qu’il y a une nécessité à tirer un bilan d’étape de la mobilisation, afin de cerner les limites qu’il y a dans la mobilisation actuelle pour pouvoir obtenir des victoires revendicatives.

Face à la dynamique de baisse de la mobilisation à l’échelle locale comme nationale, les responsabilités me semblent devoir être posées à plusieurs niveaux. D’abord, il est évident que, loin des discours défaitistes, la colère à la base est là. Non seulement dans le 93, mais plus largement dans l’ensemble de la profession. Les difficultés se posent davantage sur la question du plan de bataille et de la stratégie pour gagner.

Ce qu’il faut voir, c’est que nous sommes dans un contexte et une situation politique et économique qui est très différente de 1998 […] la question d’un rapport de force dur, à l’échelle nationale est déterminante.

De ce point de vue, la responsabilité des directions syndicales nationale est centrale, mais j’y reviendrai après. La stratégie adoptée par l’intersyndicale locale, visant à instaurer un rapport de force au niveau départemental pour gagner le plan d’urgence 93, sur les bilans de la mobilisation victorieuse et progressiste de 1998. Après plusieurs semaines de grève reconductible, en alliance avec les familles qui avaient également participé à la mobilisation, un plan d’urgence, permettant la création immédiate de 3000 postes et l’obtention de moyens supplémentaires, avait été arraché. Cette victoire locale avait été importante et progressiste, quand bien même les acquis de la mobilisation ont été progressivement rognés par l’administration. Ce qu’il faut voir, c’est que la situation actuelle est très différente de 1998. Le gouvernement a démontré ces dernières années, notamment pendant le profond mouvement des retraites, qu’il ne reculerait pas sans un rapport de force à même de bloquer le pays au travers d’une grève de masse. Malgré ses faiblesses institutionnelles et son caractère ultra minoritaire à l’Assemblée, Macron a même démontré qu’il était prêt à prendre d’important risques, comme l’a illustré le passage en force avec le 49.3, malgré l’opposition d’une majorité écrasante de la population à sa réforme. Ainsi, il est depuis clair que pour obtenir la moindre concession, que ce soit autour des moyens ou du retrait des réformes en cours, à l’instar du choc des savoirs, l’instauration d’un rapport de force local est nécessaire mais non suffisant. Et que la question d’un rapport de force dur, à l’échelle nationale est déterminante.

C’est en ce sens que, depuis le 26 février, les autres militants éducation de Révolution Permanente et moi intervenons pour construire la mobilisation localement, revendiquer un plan d’urgence pour le 93, tout en mettant au cœur la nécessité de nationaliser le rapport de force. Il y a en effet un espace pour un sursaut de l’ensemble de l’éducation, pour que notre lutte, sa radicalité, son caractère très politique, serve d’exemple et fasse tache d’huile. On voit des symptômes qui montrent les possibilités que le phénomène comme celui qui s’exprime aujourd’hui dans le 93, de reprise en main de ses méthodes de lutte, à travers le retour de l’auto-organisation, d’une grève active et militante, d’une volonté de s’entourer, se répande ailleurs. A l’échelle de la région parisienne, on a vu que notre lutte a pu donner des idées à l’avant-garde des départements voisins. L’AG Ile-de-France, qui s’est tenue le soir du 19 février, a en effet montré que des dynamiques de mobilisation était en train de se construire ailleurs, à l’instar de collègues du 94, qui se sont réunis avant la manifestation en AG de 200 grévistes pour discuter des suites, organiser des réunions de quartier avec les familles, et voté une motion appelant « les organisations syndicales nationales à organiser et coordonner la mobilisation sur l’ensemble du territoire, pour étendre le mouvement initié par les collègues du 93, jusqu’à l’abrogation du “choc des savoirs” et des groupes de niveaux, l’abandon de l’acte 2 de l’Ecole inclusive, le retrait de la réforme de la voie professionnelle et du SNU, l’abrogation du bac blanquer et de Parcoursup ».

Cependant, force est de constater que l’intersyndicale, que ce soit à l’échelle du 93 ou au national, a fait le pari d’un rapport de force uniquement local, essayant par là-même de canaliser les volontés d’élargissement qui ont pu s’exprimer en AG. Cela s’est notamment exprimé lors des premières AG 93, par l’opposition des directions syndicales locales à certaines motions, comme celles discutant de l’élargissement, de revendications politiques comme des motions antiracistes, ou encore de l’interpellation des directions syndicales ou d’un appel de l’AG 93 à une AG Ile-de-France la semaine du 19 mars, afin de commencer à opérer, à la base, cette jonction et cette coordination avec les autres départements. Une ligne politique qui, à mon sens, a été un frein pour que nous puissions exprimer un discours politique permettant de donner du moral à l’ensemble du secteur et d’exploiter au plus possible la radicalité qui s’exprime chez nous, en montrant que c’est la voie à suivre : auto-organisation, reconductible, rupture du corporatisme avec la jonction avec les familles et la tension à aller voir les élèves…

Nous devons remettre en question le logiciel corporatiste porté par les organisations syndicales nationales de l’éducation qui façonnent nos luttes et un militantisme et nous maintiennent dans le carcan d’une école où le tri social est déjà de mise.

Alors que les directions syndicales nationales auraient pu s’appuyer sur la colère latente dans le secteur, sur la radicalité s’exprimant dans le 93, elles ont, depuis le 7 février, proposé dans le paysage la seule date du 19 mars, une date isolée et peu préparée, qui a constitué un échec, notamment au regard de l’importante colère exprimée le 1er février. Depuis, le SNES, FO, la CGT éducation, et Sud éducation, ont appelé à une journée de grève le 2 avril prochain, là encore sans aucune préparation, et surtout sans aucun bilan sérieux de l’échec du 19 mars. Dès lors, s’il est nécessaire de se saisir de cette nouvelle date, nous ne pouvons que déplorer l’absence de bilan réel de la part de l’intersyndicale qui, bien loin de tirer les conséquences de ses échecs répétées, semble s’entêter dans la voie des journées isolées, dénuée de plan de bataille visant à construire un mouvement d’ensemble.

Face à l’impasse du plan proposée par les directions syndicales nationales, il est indispensable de maintenir et construire les Assemblées générales, qui constituent le lieu où doivent se mener les discussions sur la stratégie et le programme qu’il nous faut formuler pour donner une seconde vie à la mobilisation. C’est à la base que nous devons ainsi imposer nos exigences aux directions syndicales nationales.

Dans ce cadre, nous devons commencer à remettre en question de manière plus frontale le logiciel corporatiste porté par les organisations syndicales nationales de l’éducation qui façonnent nos luttes et un militantisme qui, loin de remettre en cause le rôle de l’institution scolaire, nous maintient dans le carcan d’une école où le tri social est déjà de mise. Face à ce système, des secteurs du monde enseignant commencent à le remettre en cause. On voit des personnels de l’éducation questionner le sens des réformes en cours, ou dénoncer la violence de l’institution à l’égard de nos élèves, et aspirer à une autre éducation. La mobilisation locale actuelle est un premier symptôme de ça, de même que certaines expressions politiques qui ont émergé dans la dernière période : les cortèges de personnels de l’éducation au sein des manifestations contre la loi immigration, la lutte menée par les collègues d’Utrillo à la rentrée, combinant l’exigence de moyens supplémentaires face à une rentrée sociale catastrophique au refus de la nouvelle offensive islamophobe autour de l’interdiction de l’abaya. Tout ce qu’on est en train de construire aujourd’hui, avec cette mobilisation, doit être un point d’appui pour incarner une nouvelle génération de profs, qui refusent la division, qui luttent aux côtés de leurs élèves, qui ont conscience de la dimension profondément politique de l’école, et qui dénoncent toutes les violences, sociales, racistes, sexistes et autoritaires et portent un autre projet de société.


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