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Appel à « dégager » Urgence Palestine : un texte policier contre les soutiens de la Palestine

Dans un texte publié mardi sur le Club de Mediapart, une quarantaine de signataires appellent à « dégager » Urgence Palestine. Une reprise du discours du gouvernement et de la droite, assimilant le soutien à la lutte du peuple palestinien à l’antisémitisme et au soutien au Hamas.

Paul Morao


et Joshua Cohn

22 février

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Appel à « dégager » Urgence Palestine : un texte policier contre les soutiens de la Palestine

Ce mardi, une tribune signée par une quarantaine de signataires a été publiée sur le Club de Mediapart sous le titre « Lettre ouverte aux organisations qui convergent au sein d’Urgence Palestine ». En fait de « lettre ouverte », le texte est un brûlot contre les organisations participant à Urgence Palestine, dont Révolution Permanente, visant à permettre « aux camarades qui se sentent concernées par l’urgence du cessez-le-feu permanent pour le peuple palestinien (…) de faire leur choix de s’engager aux côtés d’Urgence Palestine en connaissance de cause », voire, en fin de texte, à les « dégager ». Un objectif policier, tout comme la rhétorique déployée.

Une accusation publique d’apologie du terrorisme

Urgence Palestine est un front d’organisations représentant différentes sensibilités politiques, constitué en réponse aux premiers bombardements d’Israël suite aux attaques du 7 octobre et à la répression et criminalisation du soutien à la lutte du peuple palestinien. Reprenant la rhétorique du gouvernement et de la droite, les auteurs de la tribune commencent par accuser ses membres d’« apologie des massacres du 7 octobre » et de « connivence envers l’idéologie d’extrême droite du Hamas ». L’argumentation développée consiste en un procédé grossier, listant dans un premier temps des prises de position des organisations d’Urgence Palestine en soutien à la résistance palestinienne, avec leurs sensibilités et leurs nuances respectives, pour ensuite citer la Charte et des déclarations réactionnaires et antisémites du Hamas ; les premières étant censées exprimer une « connivence » avec les secondes.

En cause ? Le fait que les organisations associatives, syndicales et politiques regroupées dans Urgence Palestine proclament leur soutien à la résistance palestinienne et refusent de céder à l’injonction de la qualifier de « terroriste ». Concrètement, cette position de principe n’exclut pas la critique de l’idéologie et des méthodes du Hamas. Elle assume en revanche de se placer résolument dans le camp militaire des Palestiniens dans la guerre coloniale en cours depuis 76 ans, par-delà les désaccords politiques, stratégiques et de méthode avec sa direction actuelle. A l’inverse, le raisonnement parfaitement fallacieux de la tribune trace un raccourci entre soutien à la lutte du peuple palestinien et soutien politique au Hamas.

Ce faisant, le texte publié sur le Club de Mediapart s’apparente à un véritable réquisitoire contre Urgence Palestine, dans la lignée de la politique de l’État français qui utilise l’accusation d’« apologie du terrorisme » tout azimut depuis le début de l’offensive israélienne pour réprimer la solidarité avec Gaza. On ne compte plus les gardes à vue, les convocations au commissariat, les procès et les procédures disciplinaires lancés contre des militants anti-racistes, des lycéens, des députés, des syndicalistes ou encore des organisations d’extrême gauche comme le NPA. De même, le 11 février dernier, Aurore Bergé annonçait qu’elle souhaitait retirer toutes leurs subventions aux associations féministes suspectées d’« ambiguïtés » sur l’attaque du 7 octobre.

Un bricolage fragile des pires clichés contre les soutiens de la Palestine

Tout en assimilant soutien à la lutte du peuple palestinien et soutien politique au Hamas, la tribune réaffirme l’idée que dénoncer le projet sioniste, sa nature coloniale, et le soutien dont il bénéficie de la part des principales puissances mondiales, serait nécessairement le fruit de l’antisémitisme. La tribune s’appuie pour cela sur un bricolage de courtes citations des organisations visées ou de liens parfois ténus, voire totalement fumeux, très rapidement extrapolés, afin de démontrer la prétendue parenté entre Urgence Palestine et la Charte du Hamas, la falsification tsariste antisémite du Protocole des Sages de Sion ou l’extrême-droite de Soral et Dieudonné.

Le texte cite ainsi un article publié sur Révolution Permanente le 11 octobre 2023 en prétendant que nos désaccords politiques avec les directions actuelles du mouvement palestinien, dont le Hamas, n’y seraient pas explicités. Cette affirmation ne peut relever que de la paresse ou de la mauvaise foi, l’article en question qualifiant explicitement le Hamas de direction bourgeoise et réactionnaire, un « obstacle à la construction de mobilisations de masse » en Palestine. Cet exemple est révélateur de la rigueur avec laquelle ont été traitées les citations des autres organisations mises en cause.

Un communiqué d’Urgence Palestine rappelant, entre autres choses, le soutien international dont jouissent l’État d’Israël et l’idéologie sioniste, est utilisé pour démontrer qu’Urgence Palestine en appellerait à l’imagerie de la « conjuration juive » occulte dépeinte dans le Protocole des Sages de Sion. Pour les auteurs de la tribune, toute critique du projet sioniste qui dépasserait la simple dénonciation « de la politique menée par l’extrême-droite israélienne » serait antisémite. Il ne semble pas venir à l’esprit des signataires que l’on puisse dénoncer le soutien des États occidentaux à Israël et les investissements réalisés par les grands groupes dans les territoires colonisés sans tomber dans le conspirationnisme et le racisme. Ces soutiens à l’entreprise coloniale israélienne sont pourtant on ne peut plus publics et correspondent à des intérêts géopolitiques et économiques qui n’ont rien de secret, encore moins alors qu’ils s’étalent depuis des mois devant nos yeux en plein génocide à Gaza.

Si les auteurs de la tribune sont persuadés que la critique du sionisme ne peut être qu’animée par l’antisémitisme, c’est parce que, selon eux, le mouvement sioniste serait « traversé par des courants allant de l’extrême-gauche anticoloniale à l’extrême droite-fasciste religieuse ». Ce déni des fondements et de la réalité coloniale du sionisme, à l’origine de 76 ans d’oppression des Palestiniens par l’État d’Israël, sous des gouvernements de gauche comme de droite, confine à l’aveuglement. Là encore, celui-ci les conduit à converger avec les saillies médiatiques et politiques visant à remettre en question le droit de dénoncer la politique coloniale et pro-impérialiste de l’Etat d’Israël, ainsi qu’à défendre la perspective d’une Palestine libérée de la colonisation, où pourraient vivre en paix Juifs et Arabes. Une perspective qui, comme nous l’avons répété, ne sera possible de notre point de vue que dans le cadre d’une Palestine ouvrière et socialiste.

L’accusation en conspirationnisme et en antisémitisme ouvre la porte à une comparaison finale avec les prises de positions antisémites de Soral et de Dieudonné. La confusion est alors totale : les organisations palestiniennes, anti-racistes et d’extrême gauche sont mises dans le même sac que l’extrême droite la plus ouvertement antisémite. Les premiers doivent donc être « dégagés » au même titre que les seconds, comme y appelle un post-scriptum qui mérite d’être reproduit ici dans son intégralité : « PS : Nous avons appris récemment que Gérald Darmanin envisage de dissoudre deux associations membres d’Urgence Palestine : Europalestine et Samidoun. Malgré notre profonde opposition aux positions prises par ces organisations, nous sommes opposés à leur dissolution par la force de l’État. C’est au mouvement social de prendre conscience des aspects problématiques de ces organisations et de les dégager. »

Un texte policier contre des Palestiniens et des organisations actives dans la solidarité avec la Palestine

Dans les semaines qui ont immédiatement suivi le 7 octobre, dans un contexte de forte répression des premières manifestations de soutien à Gaza, sous le coup des premiers bombardements israéliens, Urgence Palestine a joué un rôle central pour amorcer une dynamique de lutte malgré la pression du régime. Le 28 octobre jusqu’à 10 000 personnes se mobilisaient par exemple Place du Châtelet à l’appel d’Urgence Palestine malgré l’interdiction, infligeant un véritable camouflet au gouvernement, qui malgré un dispositif policier particulièrement important et la distribution de centaines de contraventions aux manifestants, n’est pas parvenu à disperser la foule.

Par la suite, Urgence Palestine, active dans l’organisation de l’ensemble des mobilisations, a également participé à la structuration du mouvement, à Paris mais aussi dans d’autres villes. En Île-de-France, une assemblée générale étudiante et lycéenne impulsé par les organisations jeunes d’Urgence Palestine a rassemblé 350 jeunes le 15 novembre et débouché sur le premier cortège inter-facs lors de la manifestation du 18 novembre et une veillée de plusieurs centaines de personnes Place de la Sorbonne deux semaines plus tard. En lien avec les mobilisations et Urgence Palestine, des comités de quartier et d’arrondissement se sont constitués en Île-de-France et ont mené des opérations de boycott dans les Carrefour, un die-in au Trocadéro, ou encore une déambulation dans le 20e arrondissement de Paris, en même temps que se construisaient des comités dans de nombreuses facs.

De nombreux évènements ont également été organisés pour donner la parole aux réfugiés palestiniens, éclairer le rôle des populations en France dans la lutte contre la colonisation en Palestine, et combattre la criminalisation de la solidarité. C’est en ce sens qu’Urgence Palestine s’est associé à l’évènement organisé ce 3 mars « contre l’antisémitisme et son instrumentalisation » au même titre que de nombreuses organisations et collectifs, comme l’Union juive française pour la paix et Révolution Permanente. Dans un contexte très adverse, toutes ces initiatives ont participé à consolider un front de solidarité avec la Palestine en indépendance de l’État et de ses institutions, malgré les pressions énormes subies par celles et ceux qui n’épousent pas le discours de soutien critique au génocide du gouvernement Macron.

Les signataires de la tribune, parmi lesquelles on trouve des membres d’organisations ayant légitimé des opérations politiques tournées clairement contre le soutien à la Palestine, à l’image de la marche du 12 novembre « contre l’antisémitisme », n’ont quant à eux à revendiquer que des formules de solidarité rituelles et creuses. Dans ce cadre, non seulement leurs accusations sont scandaleuses, mais on se demande bien d’où leur vient la légitimité de proférer des appels à « dégager » des organisations qui participent activement à structurer la solidarité avec la Palestine depuis plusieurs mois. La réponse est dans la question. Ajoutant sa petite pierre à l’édifice déjà immense des intimidations contre les acteurs de la lutte pour la Palestine en France, la tribune, relayée par Edwy Plenel, n’apparaît finalement comme rien d’autre qu’une version « de gauche » (mais laquelle ?) de la rhétorique forgée par le régime ces derniers mois, dans le cadre d’un saut important dans l’offensive contre les droits démocratiques et la liberté d’expression. Pas sûr que l’État, qui a déjà ses listes d’organisations à harceler, en demandait tant.


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