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Afrique

Crise au Soudan. Vers une nouvelle guerre civile réactionnaire ?

Depuis le 15 avril, Al-Khartoum est le terrain d’une véritable guerre. L’affrontement sanglant pour le pouvoir de deux généraux réactionnaires entérine le détournement de la mobilisation populaire de 2019. On parle déjà de plus de 400 morts.

Mariam Amel

24 avril 2023

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Depuis le coup d’État de 2021, le Soudan est dirigé par deux militaires qui ont plongé le pays dans la crise économique et politique, promettant en même temps la transition vers un « gouvernement civil ». Le samedi 15 avril, les tensions ont explosé entre les deux chefs militaires, la capitale Al-Khartoum devenant un champ de bataille avec des affrontements sanglants qui se sont répandus par la suite à l’ensemble du pays.

Les deux hommes à l’origine de ce conflit qui vient d’éclater sont le général Abdel Fattah Al-Burhan et son adjoint, le général Mohamed Hamdan Dagalo, commandant des Forces de Soutien Rapide (FSR) connu sous le nom de « Hemetti ». Abdel Fattah Al-Burhan président actuel du pays est un officier des forces armées qui a participé à la guerre au Darfour et a été promu général de première classe par l’ancien président destitué Omar Al-Bashir après les massacres commis dans ce conflit.

Les origines des Forces de Soutien Rapide (FSR) dirigées par Hemeti remontent à la milice Janjaouid qui avait réprimé avec férocité les rebelles au Darfour entre 2008 et 2012 et participé au projet de nettoyage ethnique systématique, et à une foule d’autres crimes de guerre. Pour récompenser Hemetti, le président destitué Omar Al-Bashir avait transformé ses forces paramilitaires en forces quasi régulières en août 2013, les FSR comptant entre 30.000 et 50.000 soldats contre 100.000 pour l’armée régulière. En 2016, Hemetti a remporté la victoire sur les mouvements armés au Darfour et s’est allié à l’Union européenne dans ce qui a été appelé le « processus de Khartoum », visant à mettre fin à l’immigration de l’Afrique subsaharienne en échange de récompenses financières.

Le mardi 11 avril 2023 devait marquer l’annonce d’un nouveau premier ministre et d’autres nominations importantes, selon un calendrier convenu pour la transition du gouvernement militaire vers un gouvernement civil en Soudan ; le gouvernement militaire avait en effet pris le pouvoir en octobre 2021 après un coup d’Etat. Cependant, à cette date les deux chefs d’armée n’avaient toujours pas signé l’accord-cadre déjà annoncé à deux reprises depuis le 5 décembre 2022, en raison de divergences sur l’intégration des FSR dans l’armée régulière. Samedi dernier, les FSR ont déployé leurs membres autour de la capitale, des affrontements armés ont alors éclaté avec l’armée, conduisant à un bain de sang qui est toujours en cours.

Depuis le début de l’affrontement samedi dernier, on compterait plus de 400 morts et au moins 2000 blessés, selon un bilan provisoire des ambassades occidentales. 320 militaires ont fui les combats sanglants vers le Tchad. Avec l’électricité coupée, des hôpitaux ravagés, des balles perdues transperçant les murs et les fenêtres des civils, des bombes tombant sur des immeubles, des habitants qui fuient leurs résidences, la situation est dramatique. Neuf hôpitaux à Al-Khartoum ont été bombardés par les deux camps, 39 hôpitaux ont été mis hors d’usage car frappés par les combats, et le nombre des victimes ne cesse d’augmenter.

Une dizaine d’avions sont en cendres sur le tarmac de l’aéroport, avec des scènes qui font revivre les souvenirs des massacres commis par Omar Al-Bashir au Darfour. Malgré les appels récurrents au cessez-le-feu, les deux chefs poursuivent leur guerre en ignorant la catastrophe qu’ils sont en train de provoquer.

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De la déviation de la révolte populaire aux affrontements actuels

Pour comprendre la situation actuelle au Soudan, il faut revenir à décembre 2018, lorsqu’une révolte a éclaté contre Omar Al-Bashir qui gouvernait le pays depuis 30 ans. Les forces de Hemetti ont commis des massacres contre les manifestants le 3 juin de 2019, en collaboration avec l’armée soudanaise dirigée par Abdel Fattah Al-Burhan. Après cette journée sanglante qui a fait au moins 180 morts, les deux chefs armées ont déclaré l’état d’urgence, annulé les négociations, expulsé les médiateurs internationaux et coupé Internet.

Face à cette répression féroce, des manifestations de masse sont organisées le 30 juin 2019 pour forcer le conseil militaire à reculer. Dans la crainte d’être renversés par ces mobilisations considérables, les chefs de l’armée ont alors signé un accord de « transition démocratique » en formant une nouvelle alliance de « partage du pouvoir » entre l’armée et le mouvement pro-démocratie, dans un plan de transition progressif de 3 ans et 3 mois.

Les puissances impérialistes occidentales ont joué un rôle important pour canaliser la mobilisation populaire vers une « solution » pactisée entre des franges du régime, afin d’aller vers une supposée « transition démocratique ». Pourtant, ces accords signifiaient surtout de laisser en place l’essentiel du régime, même si le dictateur était destitué. En effet, ce gouvernement de transition avec un premier ministre civil à sa tête n’était qu’une illusion de démocratie, le pouvoir réel étant déjà entre les mains des deux généraux issus des rangs des forces armées d’Al-Bachir. Ce gouvernement de transition, censé tracer les grandes lignes pour ouvrir la voie à des élections démocratiques prévoyant le retrait de l’armée du gouvernement, a été renversé en octobre 2021 par un coup d’État mené par ces deux chefs militaires, afin de rester au pouvoir. Ce coup d’État a été suivi de manifestations contre la junte qui ont été durement réprimées.

Depuis lors, Al-Burhan et Hemetti sont tous les deux préoccupés par le fait que l’un d’entre eux puisse renverser l’autre. Aussi, l’armée ne veut pas abandonner le pouvoir parce que sa position lui permet de contrôler de vastes secteurs de l’économie. Les élites de la sécurité contrôlent en effet 408 entités commerciales y compris des conglomérats agricoles, des banques et des sociétés d’importation de matériel médical. De plus, 28% des actions de la grande banque Khalee sont contrôlées par le seul Hemetti.

Les Émirats Arabes Unis (EAU) quant à eux, entretiennent une relation étroite avec Hemetti en raison de leur hostilité partagée envers les islamistes, mais aussi afin de faciliter le trafic d’or. Les forces de Hemetti ont en effet participé à la guerre au Yémen pour soutenir l’offensive réactionnaire menée par l’Arabie Saoudite et les EAU. Les FSR de Hemetti ont également combattu en Libye aux côtés des forces de Khalifa Haftar.

Du côté de Moscou, il est difficile de dire avec certitude quel est le véritable rôle de la Russie dans le conflit. En effet, le Kremlin est présent dans la région et compte construire dans le pays sa première base militaire à l’étranger depuis la chute de l’URSS. Pour autant ces derniers jours des informations annoncent que les forces du groupe Wagner seraient en train d’aider Hemetti à combattre l’armée soudanaise. Cependant, ces accusations sont difficilement vérifiables en l’état et pourraient être utilisées par un camp ou l’autre pour s’attirer une forme de légitimité internationale de la part des puissances impérialistes occidentales. En ce sens, Hemetti accuse Al-Burhan d’être un « islamiste radical ».

Quant aux puissances impérialistes justement, cette situation expose les limites de l’influence étatsunienne. Washington semble avoir pour le moment très peu d’influence pour mettre fin aux combats. Les Etats-Unis tentent de négocier avec leurs partenaires régionaux mais ceux-ci se trouvent au Soudan dans des camps opposés (l’Egypte soutien Al-Burhan, l’Arabie Saoudite et les EAU Hemetti). Les affrontements actuels apparaissent même comme une conséquence de la politique qu’il ont mené dans le pays.

Pour une mobilisation ouvrière indépendante face aux généraux et à l’impérialisme

Depuis le coup d’État d’octobre 2021, le pays est devenu isolé, détériorant drastiquement sa situation économique. La livre soudanaise a perdu environ 30 % de sa valeur par rapport au dollar, le gouvernement putschiste a augmenté les prix de nombreux biens et services, de l’impôt sur les sociétés aux droits de douane en passant par les frais de santé. Le prix du pain a augmenté de plus de dix fois, tandis que d’autres produits de base ont connu une augmentation de prix de 200 à 300 % et les prix de l’essence et du diesel ont augmenté de plus de 135 %.

Pour les travailleurs et les classes populaires au Soudan, le salut ne pourra pas venir de l’une ou une autre de ces factions réactionnaires des classes dominantes soudanaises. Elle ne pourra pas venir non plus de la main des puissances impérialistes ou de leurs agences internationales comme l’ONU , ni des puissances régionales.

Le drame qui se déroule actuellement au Soudan est une conséquence directe du détournement du grand mouvement de révolte commencé en décembre 2018. Celui-ci n’a pas réussi à renverser l’ensemble du régime afin de commencer à poser les bases d’une nouvelle société débarrassé de l’exploitation mais aussi de l’oppression. Les puissances occidentales ont contribué à préserver le pouvoir des généraux qui aujourd’hui se font la guerre en détruisant villes entières, tuant des civils, pillant les magasins.

La seule solution réaliste face à la situation actuelle est de renverser les héritiers de l’ancien dictateur Omar Al-Bachir qui s’affrontent aujourd’hui. Et cela passera inévitablement par le développement de la mobilisation indépendante des travailleurs, des femmes, de la jeunesse et des classes populaires contre les différentes factions bourgeoises nationales mais aussi leurs partenaires impérialistes et régionaux. Indépendamment de comment s’oriente la lutte actuelle entre les factions de Hemetti et d’Al-Burhan, la classe ouvrière devra trouver les voies pour s’organiser autour d’un projet révolutionnaire et socialiste, pour mettre fin à ce cycle de conflits et de guerres réactionnaires au Soudan et dans la région.


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