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Analyse

« Dette » et « guerre » : double matraquage et attaques en préparation

La multiplication des références à la « dette » et à la « guerre » dans les récits gouvernementaux de ces dernières semaines exprime des tendances de fond, mais a surtout pour fonction de préparer à de nouvelles attaques contre les classes populaires.

Nathan Deas

15 avril

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 « Dette » et « guerre » : double matraquage et attaques en préparation

154 milliards d’euros de dette en 2023, soit 5,5 points du PIB, un dérapage par rapport aux prévisions de l’Elysée (4,9%) et des attaques en préparation contre les classes populaires. Après avoir multiplié ces dernières semaines, à l’approche des européennes, les déclarations guerrières et bellicistes, le gouvernement, déjà fragilisé sur le terrain politique, est percuté par une nouvelle crise, celle de la dette publique. Pour y répondre, c’est une nouvelle fois le monde du travail et les classes populaires qu’il compte faire payer, en ajoutant une corde nouvelle à son arc : le « retour de l’austérité ».

La mise en scène est connue et bien rodée. A intervalles réguliers, en effet, un ministre de l’Économie ou des Finances, soutenu par une juridiction publique complaisante (cette fois-ci : la Cour des Comptes) déterre avec fracas l’existence de titres de dettes jusqu’alors soigneusement enterrés. S’ensuit un branle-bas généralisé. La faillite est à l’horizon et les marchés financiers menacent d’attaquer. Chacun vient sonner l’alarme et appeler à la « responsabilité ». Cette fois-ci, le 18 février, c’est Bruno Le Maire qui ouvre le bal et annonce 10 milliards d’économie et prévient aussitôt : il faudra « économiser » davantage.

« Faire la guerre à la dette »

Quelques semaines plus tard, Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, prend la balle au rebond. Ce devra être « 50 milliards »100 milliards surenchériront les Républicains. Suivent une publication, La voie Française, du ministre de l’Economie et, au lendemain de la révélation par l’Insee d’un niveau de déficit public à 5,5% (en lieu et place des 4,9% annoncés), une réunion de tous les chefs de partis convoqués en urgence à l’Élysée au sujet des finances publiques. Le Figaro, de son côté, titre sur le « toboggan de l’enfer » sur lequel « la France » serait désormais jetée. François Lenglet sur TF1 fait monter les enchères : la « France est au bord du gouffre ». Et la Tribune de conclure : il faut faire « la guerre à la dette ».

Dix nouveaux milliards de coupes budgétaires sont rapidement annoncés par Bercy en 2024 en plus des dix premiers décidés en février.« Nous devons réfléchir plus globalement au financement de notre modèle social » défend Bruno Le Maire. Au programme de cette « réflexion » : une énième réforme de l’Assurance chômage (alors que le taux de chômage risque de grimper autour de 8% fin 2024), mais aussi une réduction de la durée d’indemnisation des séniors, une nouvelle réforme du marché de travail, des attaques contre les arrêts de travail, l’augmentation du nombre de jours de carence (de trois à sept éventuellement), un texte de loi de « simplification » prévu au Printemps et qui s’appuiera sur les revendications patronales (sont dans le viseur notamment les CSE, le recours aux prud’hommes, les temps-partiels, etc). Plus encore ? Dès le mois de mai, l’utilisation du CPF pour une formation impliquera pour le salarié un reste à charge de 100 euros. Depuis avril, les franchises sur les médicaments, mais aussi les consultations paramédicales et les transports sanitaires ont doublé. Le gouvernement réfléchirait également à « freiner les dépenses des collectivités locales » et à attaquer le statut des fonctionnaires.

Faire la guerre aux classes populaires

Cette longue liste d’offensives en préparation s’inscrit bien évidemment dans les coordonnées d’une instabilité économique globale, conséquence des effets a posteriori du Covid mais aussi et surtout des tendances internationales à la guerre et aux crises.

Mais à regarder de plus près les « économies » que le gouvernement souhaite réaliser, mais aussi celles qu’il exclut, il n’est pas difficile de voir la fonction que satisfait « l’omniprésence » du discours sur la dette ces dernières semaines (et sa reprise dans les rangs de l’opposition, notamment par le Rassemblement National). Bruno le Maire a ainsi déjà prévenu, le 3 avril dernier, devant un parterre de chefs d’entreprises : « je vous garantis la stabilité fiscale, nous n’augmenterons pas vos impôts ». Hors de question également de toucher à la fiscalité des entreprises et à leurs aides publiques. Autrement dit, comme le défend à juste titre Romaric Godin dans un récent article pour Mediapart :« l’épouvantail de la dette a pour fonction de démanteler ce qui reste de l’État social pour préserver les transferts vers le secteur privé et soutenir sa rentabilité face à une croissance stagnante ». C’est-à-dire, détricoter toujours plus les acquis sociaux, pour faire payer leur crise de la dette au monde du travail et aux classes populaires.

Alors que le FMI prévoit une croissance mondiale de 3,1 % très inférieure à la moyenne de 3,8% (1,5% pour les pays avancés), une telle situation annonce des perspectives sombres pour la dette publique française. Dans ce contexte, l’austérité qui s’annonce pour les classes populaires est plus que jamais le corollaire de la volonté de l’exécutif de donner des signaux aux marchés financiers sur la capacité de la France à garantir ses engagements, tout en maintenant sa politique de subvention aux profits patronaux. Voilà la raison d’être de cette nouvelle offensive contre l’assurance chômage, mais aussi des nouvelles attaques contre les malades, etc, justifiées au nom du maintien d’un flux fiscal de plus de 200 milliards d’euros en faveur des entreprises et qui se double du refus d’augmenter les impôts des grandes fortunes. Au nom du maintien de cette même « logique », l’augmentation des salaires devrait être moins importante en 2024 qu’en 2023 malgré une inflation, certes à la baisse, mais qui se maintient. En bref, « la dette » a bon dos.

La situation en réalité est préoccupante. La paupérisation continue des classes populaires pourrait finir par fragiliser l’ensemble de l’économie française. On sait déjà qu’il ne faudra vraisemblablement pas compter sur la consommation des ménages (qui compte tout de même pour la moitié du PIB) pour relancer la machine en 2024. Ce pronostic se traduit déjà dans les faits par les faillites des chaînes spécialisées les plus fragiles économiquement, notamment dans la distribution de textiles. En février dernier Le Monde notait que les faillites d’entreprise étaient au plus haut depuis 2008-2009. Selon le groupe BCPE plus de 250 000 emplois seraient menacés en 2024.

A nouveau : « faire la guerre à la dette »

On aurait ainsi tort de ne pas prendre au sérieux le gouvernement. Si l’exécutif (aidé des médias et d’une bonne partie de la classe politique) en dramatise les enjeux, son discours sur la « dette » n’en correspond pas moins à une nouvelle étape dans les tendances en cours, à la fois du point de vue du renforcement de l’instabilité économique actuelle, des attaques contre les classes populaires mais aussi, et de façon partiellement combinée, de son rapport à la « guerre ». D’abord parce qu’alors que les tensions géopolitiques se conjuguent avec les risques de récession économique dans plusieurs pays, les grandes puissances impérialistes dont la France se sont engagées dans une surenchère au militarisme s’appuyant sur une rhétorique autour de « l’économie de guerre ». Ensuite parce que les discours sur la « guerre » et la « dette » remplissent deux fonctions idéologique et politique complémentaires et ou adossées l’une à l’autre : justifier l’austérité et les attaques contre les classes populaires au nom d’une menace extérieure (la réalité économique d’un côté, la séquence belliciste de l’autre).

Lire aussi : Consensus militariste aux européennes : il faut faire entendre une perspective ouvrière contre la guerre

Sur le terrain directement économique, la dynamique est encore très largement embryonnaire. Mais indéniablement, les réductions budgétaires qui s’annoncent participent de politiques pro-patronales, mais aussi et en même temps de « rationnement ». Les propositions faites pour financer l’industrie militaire par le livret A, la construction et la médiatisation d’une usine de poudre à Bergerac, tout comme la menace du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, de « réquisitionner » les industriels militaires, qui rechigneraient à augmenter leur production, déclinent un tournant dans le militarisme des Etats et la production d’armements.

Au-delà des éléments de langage, la politique de « réarmement » est déjà une réalité. Paris est devenu le deuxième vendeur d’armes au monde, dépassant une Russie concentrée sur « sa » guerre en Ukraine. L’Union Européenne et l’OTAN ont de leur côté consenti ces derniers mois à des investissements considérables (50 milliards d’un côté, 100 milliards de l’autre). Dans un document d’orientation stratégique publié le 5 mars dernier, l’UE assume de vouloir accélérer dans cette double perspective, défend un tournant militariste inédit et la nécessité d’augmenter encore les budgets militaires tout en les finançant par de nouvelles offensives austéritaires et libérales. Le programme n’est pas sans contradictions, mais il est possible d’en retenir quelque chose. En clair, les dizaines de milliards d’euros (voire davantage) consacrés à la guerre seront pris ailleurs et notamment dans le portefeuille des classes populaires.

Lire aussi : « Projet stratégique de défense européenne » : l’UE propose un plan de militarisation coordonné

Construire une riposte d’ensemble

« Guerre » et « dette ». Le gouvernement est donc décidé à faire payer ses crises aux travailleurs, mais la situation n’est pas sans difficultés. Sans majorité à l’Assemblée, tiraillé entre le danger d’une motion de censure évoquée par la droite et le risque que la colère sociale ne soit attisée par une offensive trop importante à quelques semaines des Européennes, mais aussi et surtout des JO, le gouvernement hésite sur la marche à suivre. Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont pour l’heure fermé la porte à une loi de finances rectificative. Bruno le Maire a exprimé son désaccord. Fin mars, le gouvernement a pris un premier coup sur la tête. Dans un sondage Elabe, seuls 46% des interrogés estimaient qu’il fallait couper les allocations chômages pour baisser les dépenses publiques.

Dans ce contexte, les directions syndicales ne cherchent toujours pas à proposer la moindre alternative sur le terrain de la lutte des classes. C’est pourtant cette passivité qui laisse un boulevard au gouvernement pour attaquer et à l’extrême droite pour capitaliser sur les colères populaires. Ce mardi, à nouveau, elles se sont rendues à la table des négociations, au nom du « dialogue social », quelques semaines après avoir signé l’accord national interprofessionnel sur les accidents du travail et les maladies interprofessionnelles qui acte une future refonte de l’indemnisation aux résultats incertains, ainsi que l’accord sur les retraites complémentaires de l’AGIRC-ARRCO, acceptant que les futures revalorisations ne suivent pas l’inflation. Lors des négociations sur l’emploi des séniors, le patronat et les directions syndicales n’ont pas trouvé d’accord mais une nouvelle fois démonstration a été faite de l’impasse et de l’échec de la stratégie du dialogue social.

En l’absence de bilan de la défaite sur la réforme des retraites, les directions syndicales laissent entendre qu’il serait possible de négocier l’ampleur des attaques infligées aux travailleurs, voire d’espérer quelques maigres compensations. A l’heure du retour de l’austérité et des tambours de la guerre, cette politique ne constitue plus seulement une impasse mais une humiliation pour l’ensemble des travailleurs et des travailleuses. Plus que jamais, un calendrier et un plan de bataille sont nécessaires pour construire la riposte dans la rue et par en bas, en s’inspirant de la détermination des personnels de l’éducation du 93 ou des travailleurs sans papiers qui ont mené, et continuent de le faire, des luttes importantes ces derniers mois. C’est cette stratégie qu’il s’agit plus que jamais d’imposer dans les semaines à venir. Si le gouvernement, fragilisé par la crise, hésite encore sur la nature et les modalités des prochaines attaques, une chose est sûre : c’est l’austérité qui vient.


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