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Autoritarisme

Dissolutions validées par le Conseil d’Etat : des précédents graves sur la base de la loi séparatisme

Ce jeudi, le Conseil d’Etat a annulé la dissolution des Soulèvements de la Terre mais a également confirmé les dissolutions de la GALE et de la CRI. Une décision scandaleuse qui pourrait faire office de précédent pour les futures offensives autoritaires de l’Etat.

Joshua Cohn

10 novembre 2023

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Dissolutions validées par le Conseil d'Etat : des précédents graves sur la base de la loi séparatisme

Crédit photo : Conseil d’Etat, wikimedia commons

L’annulation de la dissolution des Soulèvements de la Terre constitue une victoire certaine dans la séquence de répression que connait le mouvement écologiste depuis la lutte de Sainte-Soline au printemps dernier. Ce recul partiel de l’Etat dans son offensive contre des organisations du mouvement social s’explique largement par la mobilisation qui s’est exprimée en solidarité avec les Soulèvements, du soir même de l’annonce de leur dissolution par Darmanin à leur audience devant le Conseil d’Etat le 27 octobre dernier.

Toutefois, à y regarder de plus près, si l’arrêt du Conseil d’Etat censure la mesure particulière de la dissolution des Soulèvements, il ne remet pas en question sa logique profonde. La haute juridiction retient ainsi que les Soulèvements auraient diffusé des propos constitutifs d’une « provocation explicite et implicite à des agissements violents contre les biens », ce qui permettrait de fonder en droit une décision de dissolution : « Ce groupement, soit en en prenant l’initiative, soit en relayant des messages ayant le même objet émanant d’autres structures, a ainsi incité à porter des dommages à certaines infrastructures telles que les « méga-bassines », à mettre « hors d’état de nuire » des sites industriels jugés polluants, à arracher des plantations qualifiées d’« intensives » ou encore à détériorer des engins de chantier, alors qu’il ne pouvait ignorer que de tels appels à l’action étaient susceptibles de se traduire, et se sont traduits parfois, par des dégradations effectives. »

Ce n’est que dans les derniers paragraphes de la décision que les Soulèvements échappent finalement à la dissolution, le Conseil d’Etat retenant que celle-ci ne constitue pas « une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée » aux griefs assénés plus hauts. Une pirouette argumentative qui permet au Conseil de donner tort au gouvernement dans cette affaire sans faire le procès du principe même des dissolutions.

Derrière la victoire des Soulèvements, la confirmation des dissolutions de la GALE et du CRI

Le Conseil d’Etat, dans son communiqué de presse, inscrit sa décision sur les Soulèvements dans un ensemble de quatre arrêts qu’il qualifie lui-même de « mode d’emploi » de la dissolution. Les trois autres décisions rendues le même jour valident toutes les dissolutions prononcées par le gouvernement et imposent de replacer la décision favorable aux Soulèvements dans un contexte d’élargissement des prérogatives du gouvernement en matière de contrôle des activités des organisations politiques et associatives.

Le Conseil valide ainsi la dissolution de la GALE en criminalisant la lutte contre l’extrême-droite. Il est retenu que le groupe antifasciste lyonnais aurait « diffusé des messages approuvant et justifiant, au nom de « l’antifascisme », des violences graves commises à l’encontre de militants d’extrême-droite et de leurs biens » et que ces actes constitutifs de « provocations à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens » fonderaient en droit la décision de dissolution.

La dissolution du groupe d’extrême-droite Alvarium est également validée au regard des discours et des agissement du groupe visant « à stigmatiser les personnes issues de l’immigration et, en particulier, celles qui sont de confession musulmane, et à leur imputer la responsabilité des actes de criminalité et de délinquance commis sur le territoire national », et « qui tendent à justifier ou à encourager la discrimination, la haine ou la violence envers les personnes d’origine non-européenne, en particulier celles de confession musulmane ».

En confirmant la dissolution de l’Alvarium le même jour que celle de la GALE, le Conseil d’Etat entretient l’idée que l’extrême-droite raciste se situerait sur le même plan que ceux qui la combattent. Cela revient in fine à justifier la répression de la gauche en la comparant à la lutte contre les groupes fascistes, tandis que dans le même temps le gouvernement court derrière l’extrême-droite.

L’argumentaire de la dissolution de l’Alvarium, agitant la protection des étrangers et des personnes musulmanes contre l’extrême-droite, est d’autant plus hypocrite que la dernière décision rendu jeudi confirme la dissolution de la CRI (Coordination contre le racisme et l’islamophobie). Comme pour la GALE, le motif avancé pour la dissolution est celui de « provocations à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens ». Or, les seuls fait reprochés à l’association sont d’avoir « publié en grand nombre, notamment dans la période comprise entre 2019 et sa dissolution en 2021, des propos, dont certains outranciers, sur l’actualité nationale et internationale, tendant, y compris explicitement, à imposer l’idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que de nombreux partis politiques et médias seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l’antisémitisme pour nuire aux musulmans ».

Le Conseil d’Etat, reconnaissant entre les lignes que cet exercice par l’association de sa liberté d’expression ne saurait suffire à justifier la dissolution, insiste sur le fait que « ces publications ont suscité, sur ces mêmes comptes, de nombreux commentaires haineux, antisémites, injurieux et appelant à la vindicte publique, sans que l’association ne tente de les contredire ou de les effacer ». Comme pour le CCIF avant lui, le Conseil d’Etat s’appuie donc exclusivement sur l’attribution fallacieuse de propos tenu par des tiers sur les réseaux sociaux pour bâillonner les acteurs de la lutte contre l’islamophobie en France.

L’application par le Conseil d’Etat des nouveautés de la loi séparatisme

Dans le détail, l’examen des fondements des dissolutions permet de dérouler les fils qui lient les dissolutions examinées cette semaine au Palais Royal à l’escalade autoritaire plus large menée par le gouvernement de Macron. Les arrêts sur les Soulèvements, la GALE et la CRI se fondent en effet sur un motif de dissolution introduit par la loi séparatisme de 2021.

Votée dans un contexte marqué par les démonstrations de force des ligues d’extrême-droite, la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées introduisait la possibilité pour le gouvernement de dissoudre des associations et des groupements. Elle créait une liste de motifs pouvant fonder de telles dissolutions et dont le premier est « les provocations à des manifestations armées dans la rue », une référence directe à l’épisode du 6 février 1934 au cours duquel les ligues d’extrême-droite avaient tenté de prendre d’assaut l’Assemblée nationale. Alors que la liste des motifs de dissolution s’est allongée au fil des années, le premier motif historique était lui resté inchangé jusqu’à ce que la loi séparatisme de 2021 vienne le compléter.

Le premier motif de dissolution listé à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure est aujourd’hui « les provocations à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». En confirmant la dissolution de la GALE et de la CRI, et en examinant sérieusement la possibilité de dissoudre les Soulèvements sur la base de ce nouveau motif, le Conseil d’Etat donne tout son effet à la mesure autoritaire introduite par la loi séparatisme qui avait été votée quelques mois après la dissolution du CCIF.

Quels bilans tirer des arrêts du 9 octobre ?

Si la décision favorable aux Soulèvements de la Terre constitue une victoire, il n’est pas possible d’oublier les dissolutions de la GALE et de la CRI confirmées le même jour. Il est certain que les mobilisations de soutien en faveur des Soulèvements ont eu un impact déterminant sur le résultat final des décisions.

Lors de l’audience du 27 octobre sur la dissolution des Soulèvements de la Terre, le rapporteur, membre du Conseil d’Etat chargé de présenter l’affaire aux juges afin de les aider à prendre leur décision, s’était prononcé favorablement à la confirmation de la dissolution. L’annulation annoncée ce jeudi a ainsi été une heureuse surprise, remportée à l’issue de long mois de mobilisation et de recherche d’alliés, tels que les signataires de la tribune « Nous sommes les Soulèvements de la Terre ».

A l’inverse, les dissolutions de la GALE et de la CRI constituent des défaites pour le mouvement social dont il convient de prendre acte et de tirer les enseignements. Face à la politique soutenue de dissolutions administratives menée par Macron qui a déjà dissous 33 groupes depuis 2017, les mobilisations de soutien sont donc indispensables pour résister à la répression dont les dissolutions ne sont qu’une modalité parmi d’autres. La solidarité face à la répression est d’autant plus urgente dans un contexte où le gouvernement instrumentalise la situation en Palestine pour réprimer celles et ceux qui protestent et qui s’organisent contre le génocide en cours à Gaza. Alors que de nouvelles menaces de dissolutions sont agitées contre les organisations qui expriment une solidarité en direction du peuple palestinien, il y a plus que jamais urgence à construire une riposte large et à faire front.


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