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Elections : qui est Javier Milei, le nouveau président d’extrême-droite ultralibéral argentin ?

Le candidat d’extrême-droite aux présidentielles argentines parvient à rallier un vote contestataire aussi large qu’hétéroclite, grâce à un discours « anti-caste » politique. Pourtant, les attaques anti-sociales qu’il prône pourrait entraîner de nombreuses contradictions vis-à-vis des secteurs populaires qu’il courtise.

Jyhane Kedaz

9 octobre 2023

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Elections : qui est Javier Milei, le nouveau président d'extrême-droite ultralibéral argentin ?

Crédits : Instagram de Javier Milei. Le candidat d’extrême-droite est apparu dans un festival de manga, déguisé en “Capitaine Anarco-Libertarien”

Edit. Nous republions cet article paru dans nos colonnes le 9 octobre dernier après la victoire de Javier Milei, dimanche 19 novembre en Argentine.

Il pourrait arriver en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle Argentine du 22 octobre, crédité de 33 à 35% des intentions de vote. L’ultra-libéral et conservateur Javier Milei, qui a créé la surprise lors des primaires d’août, se positionne devant l’actuel ministre de l’Economie Sergio Massa (29-30%), et l’ancienne ministre de la sécurité Patricia Bullrich (25-26%).

Avec son style brutal, son discours contre la caste politique et un ultralibéralisme économique présenté comme une ode à « la liberté », cet ancien polémiste habitué des talk-shows argentins est parvenu ces derniers mois à rallier un soutien aussi large qu’hétéroclite dans une Argentine rongée par la crise sociale et une inflation à 124,4% sur un an en août 2023. Jusqu’à bousculer aux côtés de son mouvement La Libertad Avanza (« La liberté avance ») l’élection de 2023, aujourd’hui la plus incertaine depuis la fin de la dictature militaire en 1983, dans un pays gouverné par le péronisme de manière quasi-continue depuis plus de vingt-ans.

Par son programme de privatisations des services publics, de dérégulation de l’économie et de dollarisation de la monnaie, ainsi que par son discours profondément misogyne, anti-LGBT et immigration, Javier Milei cherche à incarner un programme d’attaques réactionnaires contre les mouvements sociaux et féministes, et d’application des plans du FMI et d’austérité souhaités par les classes dominantes argentines. Un projet politique qui porte ainsi des contradictions vis-à-vis d’un électorat composé y compris de secteurs populaires séduits en premier lieu par son discours dégagiste.

Proche des élites économiques et politiques

Qui est vraiment Javier Milei ? Né à Buenos Aires, d’un père entrepreneur dans le domaine des transports et d’une mère femme au foyer, il fait son éducation dans un lycée catholique d’élites, El Colegio Coppelo, où ses camarades de classe le surnomment El loco (« le fou ») en raison de son humeur agressive. Après avoir été diplômé en Économie auprès d’une université privée, celui qui se présente comme « anti-système » a d’abord œuvré pour la banque HSBC en Argentine.

A la fin des années 90, Javier Milei est conseiller économique du général Antonio Bussi, gouverneur de la province de Tucuman (nord-ouest), accusé de crimes contre l’humanité sous la dictature. L’actuel candidat lui-même porte une position négationniste concernant cette période de l’Histoire argentine, affirmant qu’il n’y a pas eu « 30 000 disparus » opprimés par le régime, comme l’affirment les organisations de défense des droits humains « mais 8753 », a-t-il soutenu lors du débat présidentiel, arguant que le régime militaire n’avait enfait été qu’une « guerre » symétrique entre « des terroristes d’extrême-gauche » et l’Etat.

Poursuivant sa carrière auprès de grands groupes économiques, il travaille au début des années 2000 pour une société gérant les aéroports argentins. « Son patron de l’époque, Eduardo Eurnekian, l’un des hommes les plus riches du pays, est également propriétaire de la chaîne de télévision qui l’a rendu célèbre », indique El Pais Argentine, dans un portrait publié mi-août, au lendemain de la percée surprise du candidat aux primaires. A partir de 2014, Javier Milei a en effet été régulièrement invité dans des émissions pour débattre de sa vision libertarienne de l’économie, rejetant l’intervention de l’État. Sa volonté de privatiser l’éducation publique, acquis social très important, et le système de santé représentent ainsi l’une de ses attaques les plus directes envers les milieux travailleurs.

Un faux-ami des secteurs populaires

Élu député au Congrès en 2021, Javier Milei est parvenu, en promettant de « virer les politiciens à coups de pied au cul », à séduire un électorat composé de la droite radicale, d’une partie des secteurs populaires épuisés par la crise économique, mais aussi de jeunes chez qui « résonne un discours sur l’autonomie, la liberté, un certain individualisme, contre l’Etat, a fortiori après la pandémie, analyse pour l’AFP Valentin Nabel, de l’Institut d’enquête Opinaia. Selon cette même source, près de 30% de son électorat aurait ainsi moins de 30 ans.

Personnalité grossière et démagogique, il met régulièrement en jeu son salaire de député lors de tombolas organisées auprès de ses supporters. Parmi ses propositions polémiques celui qui se dit favorable à la vente d’organe, « un marché comme un autre », au nom de la liberté de chacun, est en revanche farouchement opposé au droit des femmes à disposer de leur propre corps, notamment en ce qui concerne la conquête historique du droit à l’avortement en Argentine, et à l’éducation sexuelle à l’école. Fin septembre, des milliers d’Argentine sont ainsi descendues dans la rue lors de la journée internationale pour le droit à l’avortement, en défense de cette mesure arrachée il y a trois ans par le mouvement des femmes, et dont Javier Milei incarne la réaction.

Personnage cliniquement instable et politiquement réactionnaire, Javier Milei, qui dit pratiquer la télépathie, puiserait même certaines de ses propositions économiques dans des communications avec l’au-delà, qu’il pense échanger avec certains de ses confrères décédés, selon les rumeurs de l’un de ses biographes.

Un candidat réactionnaire qui capitalise sur la crise sociale

Pour Fernando Rosso, éditorialiste du média-frère de Révolution Permanente, La Izquierda Diario, les causes de l’ascension d’une telle personnalité sont à chercher dans « le mécontentement vis-à-vis de la situation économico-sociale, qu’elle soit liée aux précédents gouvernements aussi bien péronistes [mouvement politique argentin qui va du centre-gauche à la droite dure, ndlr] que de Macri (droite, ndlr) ». Mais aussi « dans le rejet d’un discours affirmant qu’il faut avoir confiance dans l’Etat » et sa protection sociale, ce en quoi plus personne ne croît, ou encore par « l’espoir en un discours individualiste et méritocratique chez les personnes abandonnées à leur sort, enchaînant les emplois précaires », poursuit-il.

Car alors que le péronisme a bâti son argumentaire politique ces dernières années sur la sauvegarde des acquis sociaux de la classe ouvrière, ce discours sonne creux auprès d’une armée de travailleurs ne jouissant plus, de fait, d’aucun droit. « Plus la dépendance à l’aide sociale est grande, moins les bénéficiaires ont confiance dans leur capacité à surmonter la pauvreté, en particulier si l’économie n’offre pas d’autres possibilités de mobilité sociale », analyse Adriana Clemente, professeure de Sciences Sociales, dans Pagina 12, journal d’inspiration kirchneriste (centre-gauche). En réalité, Javier Milei bénéficie avant tout de la profonde instabilité des organisations politiques de gouvernement, qui ont dirigé le pays ces vingt dernières années et qui connaissent une crise historique pour avoir mené, l’une après l’autre, les plans austéritaires du FMI et le pillage économique et des ressources naturelles du pays.

Canalisant le vote contestataire, la candidature de Javier Milei porte ainsi en elle la contradiction d’être profondément anti-sociale. Ainsi, comme le note Julien Anchaing, « les dévaluations successives du gouvernement Fernandez avec à leur tête le ministre actuel de l’Économie et candidat, Sergio Massa, supposé « rempart » de la démocratie contre Milei, ont largement fragilisé des couches de la population qui voient dans la promesse d’une dollarisation la possibilité « d’enfin » stabiliser les salaires qui se dégradent de jour en jour en fonction du marché monétaire du peso. Pourtant, ce sont ces mêmes électeurs de Milei qui paieraient le plus cher une telle mesure. »

Bien que le populiste ait atteint des scores importants notamment dans les banlieues pauvres d’Argentine, ces résultats ne signifient pas un chèque en blanc vis-à-vis, par exemple, de ses propositions de privatiser l’éducation ou la santé. Mais expriment bien une réaction aux politiques menées par les précédents gouvernements. « Le triomphe électoral n’est pas synonyme de conquête du rapport de force pour imposer un projet politique (...) l’ampleur de l’espoir que suscite réellement [Javier Milei] reste à évaluer », note à ce sujet Fernando Rosso..

En réalité, les classes dominantes argentines sont conscientes que certaines de ses mesures économiques les plus radicales ne pourraient être acceptées sans donner lieu à des explosions sociales, au vu de la situation de crise dans le pays.

Face à Milei, Sergio Massa : un « moindre mal », vraiment ?

Face à la menace de l’extrême-droite, l’un des représentants du gouvernement actuel, Sergio Massa, tente de s’afficher comme rempart, alors même que ses politiques économiques ont servi de tremplin à Javier Milei. « L’application des plans austéritaires, la vente des ressources naturelles aux grands groupes économiques, la baisse des pensions de retraites, son application à défendre un discours sécuritaire et ses attaques contre les enseignants sont autant d’expressions du fait que Massa n’est en aucun cas une alternative à gauche pour les classes populaires, mais plutôt une teinte plus centriste des politiques de rigueur imposées dans le pays ces dernières années », expliquions-nous précédemment dans un article consacré au profil des candidats en lice.

Cherchant une porte de sortie à la crise politique, Sergio Massa est même allé jusqu’à promettre, lors du 1er débat télévisé du 1er octobre, « un gouvernement d’union nationale », ouvert à des ministres venus de la droite et de l’extrême-droite, faisant ainsi du pied aux secteurs soutenant Javier Milei. Hypocrisie à laquelle a réagi la candidate d’extrême-gauche Myriam Bregman : « Javier Milei est arrivé jusqu’ici en s’attaquant à ‘la caste’ des politiciens. Il n’est pas comme eux mais il soutient les listes de Sergio Massa. Il n’est pas comme eux mais sa candidate à la vice-présidence fait partie de la caste militaire. Milei est un pion des grands patrons, qui ont gagné des millions ces dernières années (...) ce n’est pas un lion [comme l’affirme son slogan, ndlr], c’est ‘le gentil petit chat’ du pouvoir économique. »

Face à la menace de l’extrême-droite et aux politiques néolibérales et austéritaires menées par la droite, qui cherchent aujourd’hui à s’affirmer comme « un moindre mal » une autre voix est possible : celle pour la défense d’une rupture totale avec le FMI et ses plans économiques, une répudiation de la dette extérieure qui étouffe le pays, la lutte pour la défense du droit à l’avortement et la bataille contre le chômage et la précarité, par le partage du temps de travail. Un programme défendu par la coalition du FIT-U, qui met en avant la nécessité de se préparer au combat contre le prochain gouvernement par les méthodes de la lutte des classes.


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