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Etats-Unis

Le mouvement pour la Palestine aggrave les problèmes de "Genocide Joe" avant les élections de 2024

Joe Biden est dans une position incroyablement faible à l'approche de sa campagne de réélection de l'an prochain. Le mouvement pour la Palestine, qui a de plus en plus pris un caractère anti-Biden, a aggravé cette crise, endommageant sérieusement les chances de réélection du président démocrate.

Sybil Davis

20 novembre 2023

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Le mouvement pour la Palestine aggrave les problèmes de "Genocide Joe" avant les élections de 2024

Crédits Photo : U.S. Secretary of Defense

Ces dernières semaines ont été difficiles pour Joe Biden. Tout d’abord, lui et son administration se sont montrés spectaculairement inefficaces face à la guerre d’Israël contre Gaza. Malgré les multiples visites du secrétaire d’État Anthony Blinken et celle de Joe Biden lui-même, les États-Unis ont été largement incapables de contrôler Israël, notamment de l’empêcher d’intensifier le conflit et d’entamer une invasion terrestre.

Au fur et à mesure que la guerre s’aggrave, un mouvement en faveur de la Palestine se développe aux États-Unis. Des campus universitaires aux manifestations de juifs antisionistes, en passant par une marche massive sur Washington, le plus grand mouvement social américain depuis Black Lives Matter en 2020 a éclaté et Biden a été incapable de le contenir. Pour ne rien arranger, ce mouvement met en lumière le rôle de son administration dans le génocide en cours à Gaza. Ce mouvement a baptisé Biden "Genocide Joe" et lui a déclaré "en novembre, nous nous souviendrons", en référence à sa complicité avec les crimes d’Israël.

Comme si cela ne suffisait pas pour le président, un sondage a montré que Biden perdait à l’heure actuelle face à Trump dans presque tous les "swing states". L’affaiblissement de la campagne de réélection de M. Biden se reflète également dans la popularité des autres candidats : 10 % des électeurs des swing states ont déclaré qu’ils soutiendraient Robert F. Kennedy, Jr [qui compte se présenter en tant que candidat indépendant des deux partis traditionnels Ndt]. Les résultats de Kennedy sont encore meilleurs dans un autre sondage récent, où il obtient 22 % lorsqu’il est comparé à Trump et à Biden. Ce même sondage a montré que Kennedy était en tête parmi les électeurs indépendants - un groupe démographique toujours important dans les élections présidentielles.

Par ailleurs, Cornel West, un autre candidat d’un parti tiers qui se présente à la gauche de Biden, obtiendrait 6 % des voix face à M. Trump, M. Biden et M. Kennedy - M. Kennedy obtiendrait 19 % des voix dans ce cas. Ces données montrent ce que beaucoup savent déjà : les masses sont mécontentes de Biden et de Trump et certaines cherchent une alternative. C’est très mauvais pour Biden, qui a besoin de rassembler tous les votes anti-Trump et de maintenir sa coalition pour 2020 afin de battre l’ancien président, qui gagne du terrain sur Biden dans des catégories démographiques clés comme les électeurs noirs et latinos.

Dans l’ensemble, il est clair que M. Biden est en pleine crise. Une majorité d’Américains désapprouve son travail, il est à la traîne dans les États clés et perd du terrain dans des groupes démographiques importants. De plus en plus de démocrates commencent à se demander si M. Biden doit ou non se représenter. Alors que le mouvement pour la Palestine continue de se développer, il semble peu probable que la crise de Joe Biden soit résolue rapidement.

Un mouvement contre "Genocide Joe"

Le mouvement pour la Palestine a pris un caractère explicitement anti-Biden. Des chants accusent ainsi Biden de génocide lors des manifestations qui ont lieu à l’extérieur (et à l’intérieur) des événements organisés par le président, en passant par les dizaines de milliers de personnes qui ont marché sur la Maison Blanche. Il est clair que ce nouveau mouvement en développement reconnaît Biden comme son ennemi, il y a d’ailleurs même eu une marche vers sa résidence personnelle. Ce mouvement a aggravé la crise plus large à laquelle Biden est confronté, car il remet en question l’idée qu’une grande partie des personnes qui ont bien sagement voté pour lui en 2020 le feront à nouveau. Partout sur les réseaux sociaux (et dans les pages de In These Times), des militants s’engagent à ne pas soutenir Biden en 2024 en raison de son soutien continu à l’offensive israélienne à Gaza. Il reste à voir si ce sentiment est répandu et s’il persistera une année de plus, mais il remet en question deux secteurs clés de la coalition de Biden : le vote arabo-américain et le vote des jeunes.

Dans un nouveau sondage réalisé auprès des Arabo-Américains, seuls 17 % d’entre eux ont déclaré qu’ils soutiendraient Joe Biden en 2024, contre 59 % en 2020, soit une chute vertigineuse de 42 points. Le même sondage a montré que deux tiers des personnes interrogées avaient une opinion négative de sa réponse à la guerre et, pour la première fois en 26 ans, une majorité d’Arabo-Américains n’a pas dit qu’elle préférait le Parti démocrate. Un autre sondage réalisé par un groupe de défense des musulmans a révélé que seuls 5 % des musulmans américains ont déclaré qu’ils soutiendraient M. Biden en 2024, alors qu’ils étaient 80 % à le faire en 2020. Ces chiffres sont frappants et ne feront probablement que s’intensifier à mesure que la guerre se poursuivra, que les pertes augmenteront et que M. Biden continuera à soutenir la terreur.

Ces données sont d’autant plus préoccupantes pour Biden que le vote arabo-américain est très important dans des États clés comme le Michigan. Pour battre Trump (ou tout autre adversaire du GOP), Biden devra remporter cet Etat et il semble pratiquement impossible qu’il y parvienne sans le soutien de la communauté arabo-américaine. Les Arabo-Américains représentent également un bloc de voix non négligeable dans d’autres États clés comme l’Ohio et la Pennsylvanie. La centralité du Michigan dans la course à la présidence s’est manifestée il y a quelques semaines, lorsque la grève de l’UAW a commencé et que Biden a immédiatement essayé de se positionner comme un allié de la grève dans l’espoir d’obtenir l’appui du syndicat et de gagner le soutien des travailleurs de l’automobile du Michigan et d’ailleurs.

En 2020, M. Biden a remporté l’Etat avec moins de 200 000 voix d’avance, de sorte que la perte du vote arabo-américain compromettrait considérablement ses chances de le remporter. En effet, des données récentes en provenance du Michigan montrent à quel point le dégoût pour Biden est profond : 74 % des démocrates arabes et musulmans déclarent qu’ils envisageront de voter pour un parti tiers si 2024 est un match retour entre Biden et Trump. Pour aggraver encore les choses, ce même sondage du Michigan montre que 84 % des démocrates arabes et musulmans seront moins enclins à voter pour Biden s’il parvient à faire passer sa proposition de vente d’armes à Israël - une proposition qu’il s’est stratégiquement engagé à faire adopter par le Congrès. À moins que Biden ne fasse brusquement volte-face ou ne trouve un moyen de faire passer sa rhétorique atténuée sur le conflit pour un revirement, il est probable qu’il perdra un grand nombre d’électeurs arabes et musulmans en 2024.

Le vote des jeunes est également un sujet de préoccupation pour le président. Dans une lettre ouverte adressée à M. Biden et signée par plusieurs dirigeants de groupes qui s’efforcent de mobiliser les jeunes électeurs, les signataires déclarent : "Nous n’avons pas passé des heures et des heures à frapper aux portes et à téléphoner pour faire voter les jeunes afin que vous puissiez soutenir le massacre aveugle de civils et les violations du droit international…". La lettre poursuit en avertissant M. Biden : "Vous ne pouvez pas gagner cette élection en disant à notre génération que vous êtes le moindre des deux maux... Cette [guerre] est déjà en train de devenir un problème dont nous parlent des milliers de jeunes à travers le pays. Nous ne pouvons pas expliquer votre position aux gens de notre génération".

Cette lettre est le reflet (et, en fait, une réaction) des sondages qui montrent régulièrement un large écart d’âge sur la question de la guerre, les jeunes étant nettement plus favorables aux appels à un cessez-le-feu et à la cessation des livraisons d’armes américaines à Israël. Le sondage réalisé auprès des démocrates du Michigan a montré que, parmi les jeunes démocrates, 80 % s’opposent à l’invasion terrestre israélienne, 73 % s’opposent à la proposition d’aide israélienne de M. Biden et 43 % envisageront de voter pour un tiers si 2024 est une réédition de la confrontation Trump-Biden. Ces chiffres vont de pair avec les mobilisations massives qui ont eu lieu dans tout le pays, où une avant-garde de jeunes - y compris un mouvement étudiant - s’est levée pour dénoncer l’offensive israélienne contre Gaza et la complicité de Biden.

L’angle de tir de Biden pour se faire réélire était déjà incroyablement étroit étant donné la polarisation générale de l’électorat américain, et cet angle se rétrécit considérablement à mesure que la guerre contre Gaza fait rage. Joe Biden est coincé entre le diable que sont les intérêts de l’impérialisme américain et l’océan déchaîné de la rage des électeurs. "Genocide Joe" devra trouver des moyens d’atteindre les blocs de vote arabes, musulmans et jeunes s’il veut trouver un moyen de remporter une campagne de réélection très difficile l’année prochaine.

Les élections de 2023 fournissent une feuille de route pour les démocrates en 2024

Les élections de 2023 ont apporté un peu d’espoir aux démocrates. Au milieu de la crise croissante de la campagne de réélection de Joe Biden, on se demandait si les démocrates seraient capables de mobiliser suffisamment d’électeurs pour remporter des courses clés lors d’une élection hors année. Toutefois, à l’instar des élections de mi-mandat de 2022, les démocrates ont réussi à remporter des victoires importantes, notamment en conservant le poste de gouverneur du Kentucky et en remportant les deux chambres du Parlement de Virginie. Autre résultat important des élections du 7 novembre, les électeurs de l’Ohio ont voté en faveur de la protection de l’avortement dans la constitution de l’État. Ces résultats suggèrent que la crise de Biden pourrait être plus limitée à Biden lui-même qu’à l’ensemble du parti démocrate. En d’autres termes, il semble que les électeurs en aient assez de Biden, mais qu’ils soient toujours prêts à soutenir les démocrates.

Dans les trois États (Kentucky, Virginie et Ohio), l’avortement a été l’un des principaux thèmes de mobilisation. Comme lors des midterms de 2022, les démocrates ont réussi à utiliser le soutien à l’avortement parmi les masses pour mobiliser les électeurs en leur promettant que les démocrates protégeraient ce droit fondamental. Cela a très bien fonctionné en 2022 pour stopper la "vague rouge" et le fait que cela ait fonctionné à nouveau cette année signifie que les démocrates ont maintenant une feuille de route solide pour conserver le pouvoir en 2024 : exploiter les peurs liées à l’avortement.

D’ores et déjà, des agents démocrates et des ONG affiliées s’efforcent de faire inscrire l’avortement sur les bulletins de vote dans des États clés, dans l’espoir que ces référendums favoriseront la participation des électeurs dans un contexte de déclin de l’enthousiasme pour Biden, pour ne pas dire plus. En d’autres termes, les démocrates cherchent à exploiter nos craintes quant à l’érosion de notre droit à l’autonomie corporelle dans l’espoir de nous faire voter pour eux. Il s’agit là d’un cynisme de premier ordre que nous devons rejeter fermement. Nos droits ne doivent pas servir de monnaie d’échange politique chaque fois qu’un parti pense que cela peut lui être profitable. La lutte pour la protection de notre autonomie corporelle n’est pas en sécurité entre les mains des démocrates, qui ne cherchent qu’à l’exploiter pour leur capital politique. Nous devons plutôt nous inspirer du mouvement pour la Palestine qui se déroule actuellement et de l’histoire des luttes pour l’avortement en Amérique latine et en Irlande. C’est à nous de défendre le droit à disposer de notre corps, pas aux démocrates de l’exploiter.

Par ailleurs, cette stratégie consistant à utiliser l’avortement comme arme pour permettre à Biden de passer le cap pourrait bien ne pas fonctionner. Trump a modéré sa position sur l’avortement et Nikki Haley - l’une des challengers de Trump qui a le vent en poupe - adopte également une position beaucoup plus modérée sur l’avortement que d’autres républicains, appelant à laisser les Etats décider. Face à un adversaire républicain qui n’est pas impatient d’interdire l’avortement au niveau fédéral, il pourrait être difficile pour le Parti démocrate de faire valoir que M. Biden est tout ce qui sépare la nation d’une interdiction de l’avortement.

Au delà de Biden

La crise de Biden n’est que la dernière manifestation d’une crise plus large. La crise organique - un terme inventé par le marxiste italien Antonio Gramsci qui peut être résumé comme une "crise entre les représentés et les représentants" - est à son point culminant depuis que Biden a pris ses fonctions et il est clair que ses tentatives pour re-légitimer les institutions du régime sont en train d’échouer. Lorsqu’une majorité d’Américains soutient un cessez-le-feu mais que seule une infime minorité de représentants élus le fait, comment le régime peut-il prétendre représenter la volonté du peuple ? Lorsque les gens peinent à payer leurs factures, que les remboursements des prêts étudiants reprennent, que les hôpitaux, les écoles et les autres services publics tombent dans un état de délabrement encore plus profond, mais que des milliards de dollars sont mystérieusement trouvés pour financer un génocide, comment les masses peuvent-elles croire que leur gouvernement les représente ? La crise de Biden est un symptôme de la crise plus large du régime - également visible dans la crise du président de la Chambre il y a quelques semaines - et cette crise n’est pas près de disparaître.

Pour le mouvement de libération de la Palestine, il a été incroyablement progressiste d’identifier Biden comme le méchant de notre mouvement. Il s’agit en effet d’un criminel de guerre qui dépense des milliards de notre argent pour soutenir un génocide. Mais pour approfondir et renforcer notre mouvement, nous devons comprendre les horreurs de l’impérialisme américain de manière holistique. En d’autres termes, le soutien à Israël est plus qu’un simple échec de Biden et d’autres qui sont vocalement sionistes, mais plutôt un impératif stratégique pour les États-Unis. Cela signifie que ce n’est pas seulement Biden qui est le problème. Il fait partie du problème et nous ne devrions absolument pas le soutenir en 2024, mais nous devons regarder au-delà de sa figure et voir que la machine de guerre qu’il dirige est une opération massive et bipartisane. Ainsi, le simple fait d’échanger Biden contre un autre démocrate (ou un républicain ou même un candidat tiers) ne résoudra pas les problèmes sous-jacents. Nous devons plutôt nous battre contre l’État capitaliste et tous ses appendices si nous voulons vraiment obtenir gain de cause. Nous ne devons pas oublier la complicité de Biden, même s’il finit par soutenir un cessez-le-feu. Il a du sang sur les mains, beaucoup de sang, et nous ne pouvons pas l’oublier.

Pour vraiment faire aboutir nos revendications, nous devons réfléchir stratégiquement à la marche à suivre. Cela signifie que nous ne pouvons pas soutenir Biden ou tout autre démocrate. Cela signifie également que nous devons nous opposer à tout financement de la machine de guerre - pas un centime de notre argent ne doit être dépensé pour l’impérialisme américain. Cela signifie qu’il faut voir comment les appendices de l’État dans les organisations à but non lucratif tentent de nous manipuler pour que nous soutenions encore plus la même chose. Cela signifie qu’il faut résister aux tentatives de nous effrayer en faisant appel à notre soutien à l’avortement et aux droits des homosexuels. Cela signifie qu’il faut reconnaître que l’État est responsable, que le régime bipartisan est responsable de la terreur et de l’horreur que nous voyons se dérouler à Gaza en ce moment même. Pour combattre le régime, nous aurons besoin de notre propre organisation - un parti à nous - qui s’oppose à toutes les horreurs et à tous les maux de l’impérialisme et du capitalisme et qui propose une alternative dans le socialisme. En d’autres termes, nous avons besoin d’un parti de la classe ouvrière et des opprimés qui lutte pour le socialisme avec toute la force de notre classe.


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